L’étoile rouge
Attention ! Ce n’est pas parce que nous aimons à vous entretenir de choses parfois un peu anciennes que nous ne sommes pas à la pointe de l’actualité. Ainsi la FDA, c’est-à-dire l’Agence états-unienne de l’Alimentation et du Médicament, vient de publier un message (ici en VO) pour mettre en garde les éventuels intéressés à propos des injections de plasma de donneurs jeunes.
Mais qu’est-ce que c’est que ce truc ? C’est l’idée d’ores et déjà commercialisées par certaines sociétés locales, que recevoir des produits sanguins de donneurs juvéniles pourrait lutter contre les effets du vieillissement chez des individus plus âgés. Voire lutter contre des pathologies liées au vieillissement. Et c’est une réelle piste de recherche, mais la FDA rappelle que les bénéfices cliniques ne sont pas encore établis, et qu’il y a par ailleurs des risques.
Ce qui renvoie directement à l’individu dont il est question aujourd’hui, un précurseur en la matière. Non, c’est pas la comtesse Bathory. Qui n’était qu’une amatrice, puisqu’elle se serait contentée de faire trempette dans le sang de ces victimes. En plus elle tuait supposément de jeunes vierges et a donné son nom à un groupe de black metal, et il y a des choses que nous ne pouvons pas cautionner.
Sous nos latitudes, le nom de Bogdanov est associé à une paire d’individus de plus en plus bizarres, que nous classons maintenant davantage dans la catégorie fiction que science. Comme c’est regrettable. Non pas pour eux, mais parce que le patronyme mérite beaucoup mieux. Le Bogdanov que je m’en vais vous présenter aujourd’hui n’était rien moins que docteur, économiste, philosophe, révolutionnaire, auteur de SF, précurseur de la théorie des systèmes et organisations et de la cybernétique, poète, génie criminel, et pionnier des études sur le sang et la transfusion (pour son malheur).
Alexander Bogdanov…ne s’appelait pas Bogdanov. Il est né Alexandre Malinovski, en 1873, dans une partie de l’empire russe qui fait aujourd’hui partie de la Pologne.
Il part étudier les sciences naturelles à l’Université de Moscou, dont il se fait virer pour ses activités politiques. Il obtient son diplôme de docteur en médecine à l’université de Kharkov en 1899, mais comme il s’est mis à lire Lénine entre-temps et ne cache pas ses opinions, il se fait arrêter par la police tsariste et passe six mois en prison.
A noter que pour tenter d’échapper aux services de renseignement du Tsar (avec un succès manifestement relatif), il prend plusieurs pseudonymes, et finit par porter son choix sur le nom de jeune fille de sa femme, Bogdanov (parce que la police ne fera jamais le lien entre lui et sa femme, sans doute[1]).
Dans les années qui suivent, il
se rapproche encore plus du mouvement bolchévique, et écrit plusieurs essais
philosophiques marxistes, ce qui le conduit à nouveau à la case prison, puis en
exil. En 1906, il rejoint donc Lénine en Finlande, pour devenir une des
principales figures bolchéviques. Et jouer aux échecs.
En 1907, Bogdanov se fait également braqueur. Avec notamment Lénine et Staline, il élabore le casse de Tiflis, à l’occasion duquel un groupe de Bolchéviques attaque un convoi de la Banque d’Etat de l’Empire russe, selon nos sources à coups de faucilles et de marteaux, et rafle l’équivalent d’environ 4 millions d’euros pour financer les activités révolutionnaires. Et peut-être éventuellement une petite bouteille de mousseux pour marquer le coup, quand même.
En 1908, Bogdanov publie Etoile Rouge, une œuvre de science-fiction utopique. L’action se déroule sur la planète Marx Mars, et décrit une société idéale et égalitaire dans laquelle toute forme de travail manuel et pénible a été confiée à des automates, ce qui permet aux individus de se consacrer exclusivement à des activités intellectuelles, scientifiques, culturelles, et artistiques. Le paradis sur la planète Rouge.
Alexandre se détourne des activités révolutionnaires en 1912, et rentre en Russie en 1914 à la faveur d’une amnistie. Il participe à la guerre en tant que médecin, tout en rédigeant des essais sur l’économie de guerre. Il ne prend pas activement part à la révolution de 1917, mais la soutient, notamment à travers des articles. En 1918, il fonde un mouvement culturel prolétarien, qui finit cependant par être considéré comme « petit bourgeois » par les autorités en 1920.
Sa principale activité intellectuelle de l’époque est cependant l’élaboration de la tectologie, à laquelle il travaille de 1913 à 1922. La tectologie, c’est…une discipline transverse qui regroupe les sciences sociales, biologiques, et physiques considérées comme l’étude de systèmes de relations, afin d’en distinguer les principes organisationnels sous-jacents. Dit comme ça, ça pourrait aussi bien être de la fumisterie qu’autre chose, mais les idées que Bogdanov développe dans ce cadre sont aujourd’hui considérées comme les précurseurs de la théorie des systèmes et de la cybernétique, avec néanmoins une ambition encore plus large puisque ses réflexions s’étendent également aux domaines des arts, de la philosophie, ou de la politique.
En 1924, Alexandre se dit sans doute qu’il n’aura jamais le temps de mener à terme toutes ses activités et idées, et décide donc de travailler à prolonger son existence. Souvenez-vous, il est aussi médecin. Pour lui, la clé de la vie rallongée voire éternelle se trouve dans la transfusion sanguine, notamment depuis des sujets jeunes[2]. Il reçoit ainsi le sang de plusieurs jeunes donneurs, et note des résultats très encourageants sur l’amélioration de sa vue, le ralentissement de sa calvitie, et son bon état général. En 1925, il va même fonder l’Institut d’Hématologie et de Transfusion, avec le soutien de l’académie de médecine de Moscou. C’est la première institution au monde entièrement consacrée à ce sujet.
Et c’est ainsi que… Alexandre Bogdanov précipita sa dernière heure en cherchant à la repousser. En 1928, il reçoit le sang d’un donneur, évidemment jeune mais également porteur de la malaria et de la tuberculose, histoire de ne pas faire les choses à moitié. Alors que le donneur finit par guérir, Alexandre fait une réaction particulièrement négative, sans doute liée à une incompatibilité de type sanguin, phénomène qui n’était pas encore pleinement compris à l’époque (en plus de la tuberculose et de la malaria).
Professionnel jusqu’au bout, Alexandre Bogdanov décrit scrupuleusement la dégradation de son état, puis disparaît en avril 1928. Il est salué comme un héros de la science soviétique.
[1] Et là vous vous dites qu’il n’était pas bien doué en activités illégales. Attendez un peu.
[2] Une idée qui fait donc complètement l’objet de plus en plus d’études.
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