On peut y mettre les doigts
Si vous êtes représentatifs de la population francophone…ah, attendez. Le département Etudes statistiques d’En Marge me signale que les lecteurs ne sont pas du tout représentatifs de la population francophone. Je cite : ils sont mieux éduqués, plus cultivés, plus intelligents dans l’ensemble. Et aussi plus beaux et meilleurs amants, semblerait. A l’image de la rédaction, quoi.
Si vous étiez représentatifs de la population francophone, vous seriez environ 0,14% à pratiquer la langue des signes française. Autrement dit, pas des masses. Vous me direz que c’est encore sensiblement plus que les locuteurs de l’esperanto, mais la grande différence est quand même que parler la langue des signes sert à quelque chose.
Pour autant, nous utilisons tous à l’occasion nos mains pour nous faire comprendre. Je ne parle pasde grands gestes pour accentuer les paroles, mais de signes pour nous exprimer. Je pense évidemment au pouce levé pour signaler aux automobilistes que vous souhaitez épargner un gladiateur…
Ou à la sinistre confrérie des plongeurs-racistes.
Mais pas uniquement. Nous sommes au moins quelques-uns à recourir régulièrement à des petits signes dont le sens est communément admis, mais les origines parfois confuses. Alors c’est parti pour une mise au point digitale sous format numérique.
Toutes cornes dehors
Notre mission ici, c’est de vous apporter dans toute la mesure de nos moyens des connaissances aussi solides et établies que possible, et de les présenter de façon objective, modérée, et ouverte à la discussion. On n’est pas là pour affirmer des convictions de manière dogmatique. Il est donc établi au-delà de toute forme raisonnable de doute que le metal est la forme la plus aboutie et supérieure de l’expression musicale. Et nous nous devons de le dire parce qu’il en est ainsi, et évidemment pas parce que nous serions d’accord.
Malheureusement, en dépit de sa supériorité incontestable, le metal souffre encore à l’occasion d’une mauvaise réputation. Avant tout parce que son moteur est de chercher en permanence l’extrême (jouer plus vite, plus fort, plus TOUT), mais aussi en raison d’une iconographie qui emprunte volontiers au sombre, au ténébreux, au morbide, voire au diabolique. Et quelle meilleure illustration que ces défilés de barbares qui, à la moindre provocation, arborent le signe de leur inféodation à la Bête.
Oups, pardon, regrettable erreur du service Iconographie. Je voulais parler de ces hordes de sauvages qui prêtent allégeance au démon.
Et quel signe de reconnaissance est plus indissociable du metal que celui-ci, qui consiste à tendre l’index et l’auriculaire ? Autrement dit, à afficher le symbole des cornes, et qui dit cornes dit diable, évidemment.
Eh ben oui, sauf que pas du tout. D’où vient l’ubiquité de ce signe dans tout rassemblement d’individus venus se faire masser les tympans au doux son d’une double-pédale ? De l’association entre le metal, cette musique obscure et ténébreuse, avec une forme ou une autre de satanisme ? Non, au conraire.
L’origine de la pratique remonte aux années 70, soit globalement du début du metal lui-même, et peut même être pointée encore plus précisément en la personne de Ronnie James Dio. De son vrai nom Ronald James Padavona, Ronnie est un chanteur dont la puissance vocale était inversement proportionnelle à la taille, et il n’était pas grand. Ronnie se retrouve au micro de plusieurs groupes majeurs de l’époque, notamment Rainbow puis Black Sabbath. Black Sabbath un groupe qui fait partie de ceux qui peuvent légitimement prétendre au statut de fondateur du heavy metal. Or il se trouve que sur scène, Dio adresse régulièrement au public notre fameux signe, pointant l’index et l’auriculaire.
Parce qu’il cherche à transformer les concerts en sabbats satanistes ? Non, parce qu’il est d’origine italienne. Mais si, il y a une différence. Le petit Ronald a pris cette habitude auprès de sa grand-mère, laquelle « pointait les cornes », ou encore la corna, à tout bout de champ. Pour se prémunir du mauvais sort. Ce signe est en effet utilisé depuis fort longtemps dans le bassin méditerranéen, et en particulier en Italie, comme protection contre la mauvaise fortune ou le mauvais œil. Il s’agit donc d’une forme de superstition, certes, mais qui a bien plutôt des supposées vertus de protection contre le mal, plutôt que de prosélytisme diabolique. D’où l’on peut conclure que quand des métalleux dressent leurs doigts vers la scène, il s’agit plus de souhaiter un bon concert que d’autre chose (même si ce sens leur échappe, mais c‘est une autre histoire).
On s’accroche
Passons maintenant à une autre signature manuelle. Mais avant, puisque nous avons commencé en abordant une forme supérieure de divertissement, continuons sur la lancée. Parlons surf. Trois-quatre choses que vous pourriez avoir intérêt à savoir sur le sujet :
Un, le surf vient d’Hawaï, ça vous le saviez sans doute. L’archipel d’Hawaï qui a été fondé en royaume cohérent assez tardivement, soit en 1810. Sous l’autorité de celui est devenu son premier souverain, qui s’appelait, prenez votre souffle :
Kalani Paiʻea Wohi o Kaleikini Kealiʻikui Kamehameha o ʻIolani i Kaiwikapu kauʻi Ka Liholiho Kūnuiākea
Vous n’avez pas lu ça en entier, soyons honnêtes, ou vous l’avez fait histoire de dire sans bien prêter attention à la partie qui constituait son nom usuel, parce que reconnaissons qu’au quotidien un raccourci était utile. A savoir : Kamehameha. Kamehameha 1er, même.
Et je ne doute pas que ça va bien amuser certains d’entre vous.
Deux, si deux surfeurs parlent de « point break », il y a 99% de chances pour qu’il s’agisse de l’endroit très précis (en général un banc rocheux), le point, où une vague « casse » et déferle, le break. Et non d’un film somme toute assez oubliable qui ne constitue pas du tout la pierre angulaire de la culture du sport.
Trois, continuons dans les références ciné (ou supposées telles) : on ne farte pas une planche de surf. Le fartage sert à faire en sorte que la face inférieure des skis, c’est-à-dire celle qui est en contact avec la neige, glisse mieux. Si vous voyez un surfeur étaler un truc sur sa planche…
Il est en fait en train de la « waxer », c’est-à-dire de mettre sur la face supérieure, celle sur laquelle il pose les pieds, un produit (à base de cire) à l’inverse destiné à accrocher pour mieux tenir dessus. Demander à un surfeur si « ça farte », c’est à peu près comme demander à un basketteur s’il a marqué beaucoup d’essais. Et à ceux qui tenteraient de s’en sortir en parlant d’une planche de « surf des neiges », ça s’appelle un snowboard.
Enfin quatre, Sage Erickson.
Et donc, ceci :
Attention, à ne pas confondre avec le précédent, il s’agit ici d’étendre le pouce et l’auriculaire. Le surf et le metal, rien à voir.
Le signe en question est communément appelé hang ten, hang loose, ou shaka. Il vient d’Hawaï, et est utilisé comme une forme de salutation, une façon de souhaiter le bonjour à votre interlocuteur. Autrement, c’est l’équivalent gestuel du fameux aloha local. On va donc le retrouver chez tous ceux qui sont de culture hawaïenne…
Et de manière générale chez les surfeurs et les adeptes des sports de glisse.
Oui mais, d’où est-ce qu’il vient-il ? D’un drame. Le drame subi par Hamana Kalili, un Hawaïen né à la fin du 19ème siècle. Hamana est pêcheur, puis plus tard dans sa vie il travaille à la sucrerie Kahuku. Il y est victime d’un accident : le pauvre Hamana perd trois doigts de la main droite, à savoir ses index, majeur, et annulaire. Il est alors réaffecté à la surveillance du train qui transporte le sucre vers Sunset Beach. Or il se trouve que de nombreux vauriens essaient régulièrement d’embarquer clandestinement sur le train histoire de voyager gratos. Hamana a notamment pour mission d’éviter ça.
Ici, les versions divergent un peu. Ou bien Hamana faisait des gestes de la main, et donc de sa main amputée, pour signaler au conducteur qu’il pouvait y aller, et le signe en est venu à signifier « c’est bon » « bonne route », et autres, d’où son acception actuelle. Ou bien Hamana agitait la pogne pour faire déguerpir les garnements, qui ont donc pris l’habitude, pour se foutre un peu de lui, de reprendre le signe en pliant trois doigts pour dire que la voie était libre, et qu’ils ne risquaient pas de se faire attraper par le vigile. Dans la mesure où je suis plus disposé à penser que des bandes de jeunes sont plus de nature à faire passer un geste dans la culture populaire qu’un cheminot, je penche pour une forme ou une autre de la deuxième version.
Quoi qu’il en soit, le signe qui est devenu synonyme de coolitude renvoie à un infortuné qui avait perdu 30 % de ses doigts. Pauvre Hamana.
V pour va te faire…
Parmi les règles bien établies de l’univers, il y a la suivante : les Anglais sont un peuple profondément tordu, et ne font rien comme tout le monde. Il est même établi qu’ils prennent un plaisir (évidemment pervers) particulier à faire l’inverse de tout le monde, dans le but bien sûr de casser les pieds du monde en question. Voir : ben, l’Angleterre.
Prenons ainsi l’un des Anglais les plus célèbres de l’histoire, affichant face au monde entier l’un des gestes les plus célèbres de l’histoire.
Le fameux V pour la victoire, si bien popularisé par la figure de l’opiniâtre résistance britannique. Sur ce geste, que dire ? Ben rien de particulier, on fait un V, ça veut dire victoire, voilà. Puis, par extension, cette alliance index-majeur est devenue le symbole de la paix, de l’amour, de la bienveillance…
Mais il se trouve que dans la culture grand-bretonne, ce signe est l’exact inversion d’un autre, dont le sens est lui aussi diamétralement opposé :
De nos jours encore, si vous faire un V en tournant la paume vers vous, il ne s’agit pas d’adresser un amical « peace » à votre interlocuteur, mais au contraire de l’inviter à aller se faire pendre, pour rester poli.
Pourquoi donc ? L’explication la plus couramment répandue place l’origine à la bataille d’Azincourt. Azincourt, site d’une infâme défaite infligée par l’armée anglaise aux honorables et vertueuses et loyales et courageuses troupes françaises, par le moyen d’une honteuse tricherie [citation requise]. L’affrontement se tient en 1415, et constitue une date importante de la guerre de Cent ans. La légende veut que les Français avaient promis de couper l’index et le majeur des archers anglois, dont ils redoutaient l’efficacité, pour qu’ils ne puissent plus se servir de leur armes. Victorieux, les archers en question auraient montré aux Français leurs doigts en V, en signe de défiance et de mépris. D’où la popularité du geste jusqu’à nos jours.
L’histoire est séduisante, mais il n’y a aucune documentation historique qui l’atteste, et si l’on en croit des gens qui ne sont en général pas des gugusses, elle est fausse. Selon les académiciens, le signe serait en fait une dérive…des fameuses cornes dont je parlais dans la première partie. Dans le nord de l’Europe, elles auraient progressivement pris le sens d’une insulte à l’encontre des hommes que l’on accusait d’être trompés par leur femme (les fameuses cornes des cocus). Et dans le même temps, dans le contexte spécifiques des iles britanniques, le geste lui-même se serait modifié, passant d’index-auriculaire à index-majeur.
Quoi qu’il en soit, si vous traverser la Manche, il en va des doigts comme du code de la route : ne vous trompez pas de sens.
2 réflexions sur « On peut y mettre les doigts »
Alors en Italie et dans le bassin méditerranéen, certes, et notamment en Corse évidemment, où on fait notamment les cornes lorsqu’on croise une personne mal intentionnée, que l’on entend un compliment qui paraît hypocrite et de manière générale qu’on cherche à détourner le mauvais oeil. D’où le nombre de pendentifs cornes qu’on accroche aux bébés en particulier.
Autant dire que Marlène Schiappa (à ce qu’il semblerait) et I Muvrini font les cornes au moins aussi souvent que Kirk Hammett !
Le sigle du »cornu » des metaleux (paume vers l’intérieur) n’est il pas le détournement d’un sigle hippie-summer-of-love (paume vers l’extérieur) ?
Jettez un oeil à la pochette de Yellow Submarine des Beatles.