Das Capital

Das Capital

– […] Et là, on se rend compte qu’en fait…

– Non mais attends. Je suis totalement convaincu que ton projet de film sera un succès planétaire, mais j’ai du boulot, t’es gentil.

– Tu as vu tous les Sharknados, je te rappelle. Tu vas pas me dire que tu n’avais pas mieux à faire.

– Non mais quand je commence un truc…

– Tu m’as fait regarder Abraham Lincoln chasseur des vampires, ne viens pas me dire que mon idée de scénario est pire.

– Ok, vas-y, livre-moi la révélation finale.

– Eh bien le tueur est un ancien séminariste qui s’appuie sur les sept…

– Samurais ?

– Non.

– Mercenaires ?

– Non plus.

– Merveilles du monde ?

 -Hein ?

– Nains ?

– Porte quoi !

– Coups de…7 heures ?

– Mais non ! Les sept p…

– Ah non ! Tu vas pas me refaire le coup des sept péchés capitaux ?!

– Ben attends, il s’est passé du temps depuis Se7en. Et puis c’est quand même un point super-important du catéchisme.

– Mais c’est complètement éculé comme trame scénaristique. Et puis…bon, d’abord, que ce soit clair, l’idée de l’ancien séminariste devenu meurtrier de masse, rien à dire. Même s’ils constituent certainement des exceptions, il y a eu des exemples qui justifient qu’on puisse reprendre l’idée.

Regardez-moi cet avenant et sympathique jeune homme, tout juste sorti de 6 ans de séminaire.
Joseph…attendez, c’est mal écrit…Staline. Joseph Staline. Me demande ce qu’il est devenu.

– Voilà, tu es d’accord.

– Pas sur le coup de péchés capitaux. Un peu d’originalité, que diable.

– Mais enfin c’est le fondement de la définition de ce qu’on peut faire ou pas dans la doctrine chrétienne, qui constitue une source culturelle majeure !

– Je crois qu’il est temps d’un petit rappel sur la notion de capital.

Je sens une thématique sous-jacente dans les choix d’illustration.

Permets-moi tout d’abord de te rappeler que bien avant que n’apparaisse l’idée de péché capital, les religions « du Livre » posent déjà un ensemble de règles pour définir ce qu’on a le droit de faire ou non.

– Tu veux parler des Dix Commandements ?

– Oui. Avec des principes assez simples, même si pour leur application c’est une autre paire de manches : ne pas tuer, ne pas voler, ne pas mentir, mais aussi ne pas jurer, ou encore bien veiller à ne rien foutre le dimanche ou ne pas convoiter l’âne de son voisin.

Et l’Eternel dit :  » Sérieux, évitez les adaptations par Obispo, quoi. »

Le Décalogue, ce sont des lois dictées directement par le Tout-Puissant. Autrement dit, les enfreindre c’est particulièrement grave. C’est capital au sens de la sévérité de la faute, et pourtant tu auras remarqué qu’il n’y a pas de lien direct et évident avec les fameux 7 péchés qui ont repris cette qualification.

– On ne souligne pas assez le caractère impie du travail du dimanche, je suis bien d’accord.

– C’est que les 7 péchés capitaux présentent deux caractéristiques. D’abord ils sont spécifiquement chrétiens, là où Moïse et ses tablettes appartiennent aux trois religions monothéistes. Ensuite, le terme capital fait l’objet d’un joli contresens.

– Je t’en prie, fais-moi l’histoire.

– Précisons tout d’abord que si les péchés capitaux au sens où nous les connaissons sont une notion chrétienne, elle ne vient pas des Evangiles. Pas de Jésus, autrement dit, dont le message, quoi qu’on en dise, consistait plutôt à nous inviter à être gentils, et à suggérer l’impôt sur la fortune, qu’à dénoncer tel ou tel agissement. Pour trouver l’origine des péchés capitaux, il faut partir dans le désert égyptien au 4ème siècle. C’est là que vit Evagre le Pontique. C’est un moine ascétique, de ceux qui partent à l’époque vivre et chercher le salut loin de tout, et que l’on appelle les Pères du Désert.

Ils y découvrent les secrets du passé, de l’avenir, et comment chevaucher les vers des sables.

Evagre réfléchit à ce qu’est l’âme, et définit huit pensées mauvaises.

– Huit ?

– Oui. Il les classe en deux catégories. La première, ce sont les appétits lubriques et désirs de possession : la fornication, la gourmandise, qu’il faudrait bien plutôt appeler goinfrerie, la cupidité, et ce qu’on peut traduire par la démesure, la vantardise, ou encore la vaine gloire.

– Ha ha, tout ça m’est familier.

– Bien trop familier, je le crains. Je précise qu’Evagre écrit en grec, et que ses pensées seront traduites en latin avant d’arriver jusqu’à nous, d’où des imprécisions et transformations dans les termes. Ainsi la vaine gloire, qui a donné le mot anglais vainglory, c’est le besoin de jouir d’une reconnaissance indue.

– Pas exactement la même chose que l’orgueil, donc.

– Eh non. L’orgueil fait lui partie de la deuxième catégorie de pensées mauvaises, les irascibilités ou frustrations : colère, désespoir, orgueil, et tristesse.

– Le désespoir et la tristesse ?! C’est mal d’être triste ?

– Evagre parle à la fois de la lûpé en grec, ou tristitia, et de l’acédie, Ce dernier terme a disparu en français depuis un moment. Il renvoie en fait au désespoir, à la déprime, au découragement.

– La nuance est…subtile.

– J’imagine qu’il faut vivre plusieurs années dans le désert pour bien saisir la différence entre tristesse et désespoir. Enfin globalement, faut éviter les deux.

– Allez, faut pas se laisser…
– Mais je viens d’apprendre que la fornication et la gourmandise c’était mal !

Si tu veux tout savoir des principes ascétiques du 4ème siècle, les appétits lubriques sont des appétits de plaisir, et prennent donc leur source dans l’égoïsme. A l’inverse, les frustrations ont pour origine la tristesse, qui est sans plaisir.

– C’est bien festif tout ça.

– N’est-ce pas ? On s’éclate dans le désert. Tout ça passe donc en latin, et en occident. En 590, le pape Grégoire, premier du nom et lui-même ancien moine, reprend la liste et la modifie un peu. L’acédie, qui était donc comprise comme désespoir, devient la paresse. Elle est entendue comme une forme de dépression due au relâchement de l’ascèse. Elle est donc plus spirituelle que physique : ne plus prier, ni lire les écritures, ni faire pénitence. Autrement dit ce n’est pas passer la journée devant Netflix, sous réserve que tu fasses un peu pénitence entre deux épisodes. De la même façon, la cupidité devient avarice. Par ailleurs la tristesse est supprimée, de la même façon que la vaine gloire, tandis que Grégoire rajoute l’envie.

– Si je compte bien, nous sommes à sept.

– Exact. Un chiffre qui est en outre tout à fait symbolique et déjà largement présent dans le culte, donc ça tombe bien. La liste finale est établie lors du Concile de Latran, en 1215, puis reprise par Thomas d’Aquin dans sa Somme théologique. Il distingue d’ailleurs les péchés et les vices, qui poussent à pécher. Et de ce point de vue, les sept péchés sont plus des vices.

– Comment ça ?

– La luxure, la gourmandise, l’envie, la colère, la paresse, l’orgueil, ou l’avarice ne sont pas des actes en soi, ce sont des motivations qui poussent à commettre des actes. C’est en ce sens que les 7 péchés sont dits capitaux, c’est-à-dire qu’ils sont à l’origine des autres. Le critère n’est pas leur gravité, mais le fait qu’ils entraînent les autres.

– Ca devient un peu byzantin ton histoire.

 – Mais non. Il ne faut simplement pas confondre péché capital et péché mortel.

– Encore une catégorie ?!

– La luxure est un péché capital. Mais tu ne commets pas une luxure.

– Si, ça m’est arrivé, au genou.

– Non, c’est une luxation, banane. Par luxure, tu vas commettre un adultère, qui lui est un péché mortel, c’est-à-dire très grave. De la même façon, l’envie ou l’avarice, par exemple, peuvent conduire au meurtre, également mortel. Par définition.

– D’accord. Effectivement le meurtre est un acte, mais pas la paresse ou l’orgueil.

– Voilà. Les péchés capitaux sont les moteurs des autres.

– Tant qu’on y est, tu as d’autres catégories ?

– Bien sûr. A l’opposé du péché mortel, tu as le véniel. C’est pas bien, mais c’est pas grave non plus. C’est un délit, pas un crime.

 -C’est le péché sympa.

– Il n’y a pas de péché sympa.

Des pécheresses, en revanche…

Toujours est-il que les péchés capitaux, peut-être en raison de l’ambiguïté du terme, connaissent un indéniable succès populaire.

– Tu m’étonnes.

– Non, je ne parle pas des vices eux-mêmes. La notion. Elle est par exemple mise en avant lors de la Contre-Réforme. Et puis par la suite, je ne reviens pas sur son intégration dans la culture populaire. Un ressort narratif très prisé des scénaristes un peu faignants.

– Oui oh hé.

– Mais sache pour finir que contrairement à son image pour le moins conservatrice, l’Eglise sait parfois se mettre au goût du jour.

– Ah, bien.

– Pour définir de nouveaux péchés.

– Ah, merde.

– C’est ainsi qu’en 2008, Monseigneur Gianfranco Girotti…

– Un prélat, donc.

– Mieux que ça. Le Régent de la Pénitence Apostolique, donc le gars qui gère au Vatican les questions de péchés.

– Ah non Monseigneur, on n’a que des pommes ici.
C’est pas mieux !

– Il peut t’expliquer dans le détail pourquoi tout ce que tu fais est mal.

– Mais quelle vision négative ! Toujours est-il qu’en 2008, donc, il a proposé d’allonger la liste des péchés capitaux, en développant une notion moderne du péché.

Toujours une bonne idée de moderniser un peu les concepts.

– Je sens qu’on va rire.

– Attends, ça pourrait être pire. L’idée était d’introduire la notion de péché social, qui inclurait : pollution, manipulation génétique, trafic de drogue, injustices sociales et économiques, accumulation d’une richesse extraordinaire.

– Effectivement, je n’y vois trop rien à redire.

– Bon, pour la bonne mesure, il met aussi l’avortement et la contraception.

– Je suis surpris.

– Ou encore la pédophilie.

– Je suis surpris aussi.

– Enfin si tu te souviens bien de la distinction, ce sont plus des conséquences que des causes. Donc y’a de bonnes chances pour que la liste pour le coup canonique des péchés capitaux reste en l’état encore un petit moment. Mais c’est pas une raison. Va me retravailler cette histoire.

2 réflexions sur « Das Capital »

  1. Alors là, bravo, parce que non seulement on apprend plein de trucs sur les péchés, mais en plus, au moment où on veut pointer une possible erreur (vénielle), on découvre que faignant est une vieille variante de feignant, qu’il est l’étape intermédiaire entre le feignant (qui feint de travailler) et son altération en fainéant (qui fait néant mais en fait c’est une recréation), et du coup, au lieu de blâmer et d’appeler à la pénitence, on se découvre et on dit : non, rien, faignant, d’accord, ça passe.
    Quel talent !

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