Elisabeth Short’s story
Bienvenue dans l’ouest de Los Angeles en 1947, plus précisément dans le quartier de Leimert Park, une zone résidentielle en plein boom immobilier. Depuis quelques années, les maisons y poussent comme des champignons. Petit à petit, les terrains vagues laissent place au paysage typique des banlieues américaines avec son quadrillage de pavillons standardisés, alignés derrières une bande de pelouse.
Le 15 janvier 1947, autour de 10 heures du matin, Betty Bersinger se promène avec sa fille de trois ans lorsqu’elle aperçoit une silhouette coupée en deux, comme désarticulée, jetée dans les hautes herbes d’une large zone à construire. Ce qu’elle prend d’abord pour un de ces mannequins de plastique ou de bois qu’on trouve dans toutes les vitrines des boutiques de vêtements est le corps pâle et mutilé d’une jeune femme blanche.
Un crime hors norme
Rapidement alertée, la police de Los Angeles comprend rapidement qu’elle fait face à un crime comme on n’en voit pas tous les jours dans une ville qui n’est pourtant pas avare en bizarreries criminelles.
Les inspecteurs du LAPD accumulent les constatations macabres : entièrement sectionné au niveau de la taille, le corps de la victime est exsangue et dénudé. Premier constat, d’ailleurs essentiel : il n’y a aucune trace de sang autour de la jeune femme, preuve qu’elle n’a pas été tuée sur place, mais abandonnée là par un tueur qui a d’ailleurs pris soin de laver le corps de sa victime pour effacer ses traces. À l’essence, vu l’odeur.
Le pire n’est pas là. Ses cuisses et ses hanches ont été tailladées profondément par son meurtrier, qui a prélevé des morceaux entiers de chair. Le visage est mutilé : l’assassin a découpé les joues de sa victime du coin de ses lèvres jusqu’aux oreilles, dessinant un atroce « sourire » qui rappelle forcément celui du Joker, l’ennemi juré de Batman apparu sept ans plus tôt sous le pinceau des dessinateurs de DC Comics.
Et manifestement, le tueur ne s’est pas contenté d’abandonner le corps en quelques secondes. Il a pris son temps pour disposer le corps d’une manière bien particulière, les mains au-dessus de la tête et les coudes pliés à angle droit. Détail insoutenable, même pour des détectives habitués au pire, les intestins de la jeune femme ont été placés sous ses fesses.
Elizabeth Short, 165 centimètres, 52 kilos
Les enquêteurs parviennent rapidement à identifier la victime, et pour cause : ses empreintes digitales figurent dans leurs fichiers. Arrêtée en 1943 dans un bar de Santa Barbara, Elizabeth avait été poursuivie pour consommation illégale d’alcool en raison de son jeune âge. La photo prise à cette occasion par montre une jeune femme au visage de star de ciné, aux yeux pâles et aux longs cheveux noirs : Elizabeth Short, 22 ans à la date de son décès, née à Boston en 1924. Rapidement, l’enquête montre que personne n’avait plus de nouvelles d’elle depuis le 9 janvier.
Six jours avant que Betty Bersinger ne décide d’aller faire une petite promenade avec sa fille.
L’autopsie menée le lendemain, apporte d’autres éléments : attachée, frappée probablement violée et longtemps torturée, Elizabeth est morte une dizaine d’heures avant d’être retrouvée. Son corps n’a été découpé en deux que post mortem : la cause de la mort est liée à la série de coups qu’elle a reçue au front et sur le crâne.
Naissance d’un mythe
Toujours bien informés, les journaux se ruent évidemment sur l’affaire et les reporters commencent à enquêter. Certains vont malheureusement s’illustrer dans l’ignoble, à commencer par le Los Angeles Examiner : sitôt l’identité de la jeune femme dévoilée, ils se débrouillent pour retrouver l’adresse de sa mère, Phoebe Short, et l’appellent à Boston pour lui annoncer que sa fille a… remporté un concours de beauté.
Ravie, la mère leur fournit toute une série de détails sur la vie privée de sa fille avant que les reporters ne lui avouent la véritable raison de leur appel. Alors que Phoebe Short s’effondre, ils ont encore le culot de lui proposer de faire payer son trajet depuis Boston par leur journal – une manière là encore de griller la politesse à la concurrence en les privant d’un accès à leur source.
La course au sensationnel des journaux de Los Angeles, qui fouillent chaque recoin de la vie d’Elizabeth Short, fait le reste. Décrite comme une jeune femme paumée, à la vie sexuelle errante et aventureuse, Elizabeth est rapidement peinte comme une victime-coupable. La thèse qui s’installe fait le lien entre le drame et un mode de vie très éloigné des codes moraux de la bonne société. Tant pis pour les faits, tant pis aussi pour la réputation de la jeune femme : toutes les rumeurs se succèdent. On en fait tour à tour une prostituée occasionnelle, une idiote, une lesbienne, une vamp, une femme frigide, une briseuse de couples…
Au passage, un journal particulièrement inspiré croise la couleur noire de l’uniforme de serveuse que portait Elisabeth Short avant sa disparition avec le titre d’un film récent, le Dahlia Bleu, avec Veronica Lake. Elizabeth Short y gagne le surnom sous lequel elle aujourd’hui célèbre : le Dahlia Noir.
Beaucoup trop de suspects
À Los Angeles, les investigations commencent, rapidement polluées par un emballement médiatique qui prend vite une dimension nationale. Plus de 750 enquêteurs du LAPD ou d’autres autorités travaillent sur l’affaire – la plus grande enquête criminelle depuis la mort de Marion Parker en 1927, la petite fille d’un banquier américain, tuée à l’âge de 12 ans.
Certains retournent la ville pour tenter d’identifier le lieu du meurtre, d’autres s’intéressent aux lieux que fréquentait la victime et cuisinent ses proches et ses connaissances. En vain : on retrouve bien le sac de la victime, mais là encore, nettoyé avec suffisamment de soins pour qu’il soit impossible relever ne serait-ce que l’ombre d’une empreinte.
Tandis que toute l’Amérique se passionne pour cette affaire hors norme, une foule d’individus [1] se précipitent bien évidemment dans les commissariats de Los Angeles pour s’accuser du meurtre, la nature humaine étant ce qu’elle est. Comme soixante plus tôt dans l’affaire des meurtres de Jack l’Éventreur ou vingt ans plus tard dans celle du Zodiac, la presse est aux avant-postes de l’enquête. Un journal reçoit même un colis truffé de papiers et de bricoles qui appartiennent bel et bien à la victime, suivi de plusieurs lettres laconiques d’un homme qui se présente comme le tueur.
En dépit des analyses menées par le LAPD, c’est une impasse de plus, comme lorsque les enquêteurs intrigués par le côté clinique des mutilations subies par le Dahlia, fouillent un temps du côté de la faculté de médecine.
Comme les autres, d’ailleurs. 150 personnes furent interrogées par les inspecteurs du LAPD dans les semaines qui suivent la découverte du corps d’Elizabeth Short et sept furent identifiées comme des suspects potentiels ; aucune ne fut accusée formellement et la plupart avaient des alibis en béton. Au printemps 1947, le LAPD déclare forfait ou presque : le Dahlia Noir devient petit à petit un cold case de plus.
Un de trop : en septembre, un Grand Jury pointe l’incapacité
récurrente du LAPD à résoudre une longue série de meurtres, notamment de
femmes. À la clé, une crise profonde qui conduisit à une profonde
réorganisation d’un service jugé désorganisé, inefficace et corrompu.
[1] Mais vraiment une foule, d’autant que ça n’a jamais cessé. Aux dernières nouvelles, on en était à 500 dont certains n’étaient… pas nés à l’époque du meurtre.
2 réflexions sur « Elisabeth Short’s story »
Bonjour,
Une bien belle histoire comme on aimerait en lire plus souv… non, moins… enfin, bref, un récit bien troussé, une fois encore.
Je suis étonné que la police de Los Angeles soit habituée au poire, mais soit il manque la marque du pluriel, soit, dans le pire, s’est glissé le « oh » que l’on pousse quand on tomber sur une poi… sur le pire.
Et puis aussi, les mutilations devaient avoir un caractère vraiment clinique pour qu’en une seul phrase, vous le souligniez deux fois. On sent que cette histoire vous a retourné les intes… non, rien.
Merci pour tant de poésie, en tout cas !
C’est corrigé, et merci beaucoup 😉 (c’est le problème d’écrire en la buvant, la petite poire)