Ferme les yeux, ouvre la bouche (1/4)
On vous dit tout : cet article fut initialement conçu et rédigé pour Cracked, d’où sa forme. Ils n’en ont pas voulu, parce que…ben si vous avez une idée dites-nous, on n’a toujours pas compris. Mais il nous a semblé qu’il valait quand même la peine d’être publié quelque part. Par exemple comme feuilleton estival.
L’essentiel de nos médicaments vient des plantes et minéraux. L’essentiel de nos drogues aussi, d’ailleurs. Et dans la mesure où la chimie moderne est très sensiblement plus jeune que notre habitude collective d’absorber des substances diverses pour aller mieux, ou passer le temps, cela signifie que l’humanité a passé quelques millénaires à…faire des essais. Selon la méthode essai-erreur. Essai-horreur, plutôt. Et si vous pensez qu’on a arrêté ce genre de choses il y a longtemps, mmm, non.
La gueule de plomb
Les Romains aimaient notoirement marcher sur leurs voisins et mettre la main sur tous les territoires à proximité. Et les aliments sucrés, aussi (une tendance archaïque et que la civilisation dans son ensemble a complètement dépassé de nos jours). Le problème est qu’à l’époque, le seul sucre à disposition était le miel, coûteux et pas toujours disponible.
Ils ont eu l’idée de faire bouillir des fruits pour obtenir une mixture sucrée, appelée sapa. Ce qui doit globalement vouloir dire compote en latin. Heureuse surprise, le sapa était encore plus sucré quand il était cuit dans certains types de récipient. En plomb. Des scientifiques qui ont essayé de reproduire du sapa avec des conteneurs de ce type sont arrivés à des teneurs en plomb jusqu’à 1000 fois au-dessus des seuils de toxicité de la plupart des pays.
Les Romains aimaient tellement leur sucre au plomb qu’ils allèrent même jusqu’à élaborer un processus d’affinage pour obtenir de l’acétate de plomb, qu’ils utilisèrent alors pour sucrer tout ce qui passait, notamment leur vin. C’est génial la chimie, en particulier quand on veut s’empoisonner. Un citoyen romain qui buvait son litre de pinard quotidien pouvait ainsi ingurgiter environ 20 mg de plomb. Finalement, la gueule de bois c’est pas si mal.
L’âge d’or
Il y a deux raisons pour lesquelles nous considérons l’or comme précieux. La première est que c’est brillant et joli. Ce qui est un rien idiot et ne tient pas vraiment debout, mais allez l’expliquer à votre conjoint. La seconde est que l’or présente quelques caractéristiques chimiques intéressantes : il ne s’oxyde pas, ne se ternit pas, et est au final particulièrement durable et stable. Et malléable, aussi, ce qui permet d’en faire toutes sortes de breloques, voir raison n°1.
Les Anciens ne savaient pas pourquoi, mais ils avaient remarqué ce caractère durable et stable. Aussi, brillant et précieux. L’or c’est joli, et pour longtemps. Si vous commencez à vous dire que ce serait une bonne idée de vous en mettre dans le corps pour récupérer ces qualités, félicitations, vous avez un esprit scientifique ! Scientifique antique. Donc un assez mauvais scientifique, désolé.
Vivre mieux et plus longtemps a toujours été un objectif pour les hommes, par conséquent des « docteurs » ont commencé à imaginer des élixirs de longue vie depuis l’époque de la Chine ou de l’Inde antiques (quelque chose comme 2 500 avant JC). Leur conclusion était qu’il fallait boire de l’or. Le problème est que l’or ne dissout pas particulièrement dans l’eau. Créer de l’or soluble devint donc l’une des principales quêtes des alchimistes médiévaux, juste après créer de l’or tout court. Ils finirent par trouver une solution, à savoir l’eau royale (aqua regia), une sympathique mixture à base d’acide et de mercure. A la vôtre. Nous rappelons que le ministère de la Santé préconise de ne boire précisément pas une goutte de mercure par jour. Mais toujours est-il que l’eau royale permit de créer, finalement, de l’or potable, le secret de la jeunesse éternelle. Et c’est ainsi que nous sommes depuis le Moyen-Age gouvernés par des rois immortels et dorés.
Le problème, c’est que si l’or est brillant et durable, ça n’en reste pas moins un métal lourd. Et le métal lourd c’est bon dans les oreilles, mais sensiblement moins dans l’organisme. Si l’or est utilisé dans certains traitements médicaux de nos jours, en boire comme du petit lait provoque ce que l’on appelle, à la grande surprise de personne, un empoisonnement à l’or. C’est certainement classieux et clinquant comme empoisonnement, mais ça reste de l’empoisonnement. Un exemple ? Diane de Poitiers, maîtresse d’Henri II, en prenait un grand bol tous les matins. Résultat, même si elle a atteint l’âge respectable à l’époque de 66 ans, elle était décrite comme particulièrement pâle, édentée, les cheveux cassants et les os fragiles. Ah oui, à propos, ses os présentent des concentrations en or à peu près 500 fois plus élevés que la référence moyennes. On peut dire ce qu’on veut des nobles de l’époque, mais ils faisaient pas les choses à moitié en matière de bling-bling.
Le « bon miel »
A la Renaissance, la médecine est entrée dans une nouvelle ère, notamment grâce à Paracelse. Il a, entre autres choses, intégré différents métaux dans la pharmacopée, qui était jusque-là essentiellement végétale. Merci Paracelse. L’un de ses favoris était le mercure, ou plus exactement le chlorure mercureux, plus connu sous le nom beaucoup moins alarmant de calomel (le bon miel, en grec). Merci, Paracelse. Il voyait le calomel comme un laxatif et purgatoire des plus efficaces, mais l’utilisait aussi pour traiter toutes sortes de maladies et problèmes : syphilis, fièvre jaune, vers, dépression, cholera, douleurs liées à la pousse des dents, scorbut, ainsi que beaucoup de troubles psychologiques divers (qui étaient alors considérés comme les conséquences de la constipation).
De fait, consommé à haute dose, le calomel est effectivement un laxatif très efficace. A petite dose et sur la durée, il provoque ce que la médecine définit aujourd’hui comme l’empoisonnement au mercure (est-ce que vous commencez à percevoir une espèce de tendance ?) : excès de salive, perte des dents, troubles gastro-intestinaux, et puis plus généralement dégradation des fonctions rénales et neurologiques.
A suivre.
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