Halley plus haut
Est-ce qu’il y a de quoi faire trois articles avec la biographie d’Edmond Halley, après tout ce qu’on a vu dans les épisodes un et deux ? Absolument. Et dans le troisième acte, apparaît la figure qu’on attend depuis le début.
– Bon, je te remercie, il y a en effet bien plus à dire d’Edmond Halley que « il a donné son nom à une comète ».
– Déjà parce qu’il n’a pas donné son nom à une comète.
– Qu…non, non non non, ça va bien là, tu te fous de moi.
– Jamais.
– Pardon ?
– Ok, souvent, mais en général tu n’es pas là. Mais en vrai non, Halley n’a pas donné son nom à une comète.
– J’exige une explication détaillée.
– Volontiers. Histoire de boucler le tout, je te propose de rassembler dans un même ensemble les calculs divers, les maths, et l’astronomie.
– Ca ne me paraît pas aberrant, je te l’accorde.
– Bon, tu te souviens, Halley a pu voir ses premières comètes à même pas dix ans, puisque deux « astres chevelus » ont traversé le ciel européen en 1664 et 1665. Pour autant, sa première véritable observation scientifique remonte à 1680.
– Je note quand même qu’à même pas trente ans il avait vu trois comètes. Moi je me souviens avoir vu la comète de Halley, justement, en 1986, et puis depuis nada.
– Ben oui, que veux-tu que je te dise.
– On n’est pas nés à la bonne époque.
– Ouais, enfin nous on a des antibiotiques et le vaccin anti-tétanos.
– Ca se défend.
– Toujours est-il qu’en 1680, Edmond vient faire un tour en France…
– Parce qu’il a envie de savoir ce qu’est que ce truc, là, un bon repas.
– Sans doute. Il observe donc une comète, et en discute avec Jean-Dominique Cassini. C’est ce dernier qui a l’idée que les comètes ne font pas des passages uniques dans le ciel, mais reviennent régulièrement parce qu’elles décrivent des orbites. Halley note ça quelque part, mais n’en fait rien pour l’instant. Deux ans plus tard, en 1682 il rencontre la femme et la comète de sa vie. Mais il est surtout occupé à se marier et à observer la Lune.
– Cette façon de glisser des formules délibérément ambiguës et salaces…
– C’est un art. Bref, Edmond observe la Lune, et s’intéresse aussi à la démonstration des lois de Kepler sur les mouvements planétaires. En 1684, il se rend à Cambridge pour en discuter avec un autre imbécile notoire, Isaac Newton. Newton lui annonce que oui, effectivement, les comètes ont des orbites comparables à celles des planètes, et d’ailleurs il l’a démontré, mais euh, bon, il a oublié de le publier, et d’ailleurs il ne sait plus ce qu’il a fait de ses calculs.
– Ah ouais. Pas mal dans la lune aussi, Isaac.
– Sans le moindre doute. Mais ils deviennent potes, bossent un peu ensemble, puis en 1687 Edmond finance la publication des Principes mathématiques de philosophie naturelles de Newton, un petit truc obscur qui va, oh, révolutionner la physique.
– Tu veux dire que c’est LE bouquin majeur de Newton, avec la loi de la gravitation et tout ?
– Celui-là même. Publié aux frais de Halley, qui rédige la préface. Et surtout, Newton fournit ainsi à Edmond les outils dont il a besoin pour s’amuser à calculer les orbites de comètes. Ce qui implique d’abord un travail d’archiviste et d’enquêteur, puisqu’il s’efforce de récolter autant de témoignages et d’observations sur les passages de comètes au cours de l’histoire, pour essayer de les identifier et de déterminer la fréquence de leurs rotations.
– Ah ben oui, c’est vrai que j’avais pas pensé à ça. Si on pensait jusque-là que c’était des phénomènes uniques.
– C’est ça. Bon, comme on l’a vu, il ne fait pas que ça. Entre l’invention de la cloche de plongée et la théorie de la terre creuse, soit en…
– Euh, attends, je reprends mes notes. Ca devrait nous mettre en…1691 ?
– Tout juste. En 1691, il est candidat pour un poste de professeur à Oxford.
– Ah ben tranquille, attends avec le palmarès qu’il a déjà l’époque.
– Eh ben non. Il se fait débiner par John Flamsteed.
– Sérieux ? Flamsteed, le gars qui l’avait encouragé quand il avait 18 ans ?!
– Lui-même. Flamsteed a des doutes sur ses convictions religieuses, et de fait un évêque et un archevêque s’opposent également à Halley. Le poste échoit à un certain David Gregory, soutenu par Newton.
– Attends, Newton ne soutenait pas Halley ? Mais c’est un vrai panier de crabes l’astronomie !
– Toujours est-il qu’Edmond continue à faire des calculs. En 1693, il publie ainsi des études statistiques sur les rentes à vie, qui serviront de base au développement des calculs actuariels.
– Les quoi quoi ?
– Les calculs actuariels, ou calculs d’actualisation. Ce sont les calculs statistiques qui permettent de déterminer les taux d’un emprunt ou le niveau de cotisation d’une assurance en fonction de la probabilité de réalisation du risque.
– Ca a l’air absolument fascinant.
– Ouais, ben en attendant c’est encore un truc compliqué dont s’est mêlé Halley entre des calculs de trajectoires de comète et la préparation d’une expédition océanographique.
En 1703, ses opposants cléricaux ayant été rappelés auprès de leur patron, il obtient un poste de professeur de géométrie à Oxford.
– Ah ben quand même !
– C’était pas volé. Puis en 1705, il publie les résultats de ses calculs sur les comètes dans Synopsis Astronomicae Cometicae, ou Synopsis de l’astronomie des comètes. Il postule notamment que la comète qu’il a observée en 1682 était déjà passée en 1531 et 1607, et reviendra en 1758. En sachant qu’il avait quand même peu de chance de le constater lui-même.
– Parce que ça lui ferait…ah oui, 102 ans.
– Dans le même temps, il apprend l’arabe, parce que pourquoi pas, hein.
Ce qui lui permet de traduire des bouquins de maths. Bon par la suite, il suggère en 1716 un mode de calcul de la distance ente la Terre et le Soleil en observant le transit de Vénus. Puis en 1718 il découvre les lois du mouvement des étoiles dites fixes.
– Le genre de truc qui aurait permis à un astronome lambda de passer à la postérité.
– Voilà. Tout ça lui permet en 1720 de succéder à son…mentor/ennemi Flamsteed comme Astronome royal, deuxième du nom.
– J’aime mieux ça.
– Malheureusement, et même si des calculs actuariels assez simples le laissaient fortement penser, Halley ne tient pas la distance pour observer le retour de la comète qu’il avait prédit, puisqu’il tire sa révérence en 1742.
– Rendez-vous raté.
– D’autant plus qu’à l’époque on retient surtout son œuvre d’explorateur. Sa prédiction sur le retour de la comète a été largement oubliée. En fait, c’est en 1757 que le Français Alexis Clairaut décide de reprendre ses calculs pour déterminer la date exacte du retour de la comète. Ce qui lui permet d’annoncer qu’elle atteindra son périhélie, c’est-à-dire le point de son orbite le plus proche du soleil, en avril 1759. Ce en quoi il se plante.
– Ah merde.
– Mais c’est pas grave. Déjà Clairaut et ses collègues ne se trompent que d’un mois, ce qui n’est déjà pas si mal, mais surtout ça permet de relancer l’intérêt autour des calculs de Halley. Qui lui a tout bon : la comète réapparaît le 25 décembre 1758, alors qu’il avait annoncé son retour pour Noël.
– Dans le mille !
– Et c’est en vertu de cette éclatante démonstration que la comète est baptisée « de Halley », 16 ans après la disparition de ce dernier. Ce n’est donc pas lui qui lui a donné son nom, mais ses successeurs, pour honorer la justesse de ses travaux.
– Uh. Tu joues quand même un peu sur les mots.
– Tu dis ça comme si c’était une découverte. A chaque fois tu as l’air de penser que c’est une occurrence unique, mais en fait ça revient périodiquement, tu comprends.
– Ok. Bon ben t’as gagné. Il était fort ce Edmond.
2 réflexions sur « Halley plus haut »
« Moi je me souviens avoir vu la comète de Halley, justement, en 1986, et puis depuis nada. »
Ah ben si quand même : Hale-Bopp en 1997 !
Si je peux me permettre vous n’avez pas vu Hale-Bopp en 1997?
Elle a pourtant été visible pendant plus d’un an (18 mois) et même de jour à son passage au périhélie