La science perchée (1ère partie)
Souvenez-vous de Noël, ce n’est pas si loin. Surtout quand vous étiez enfants, et que vous découvriez au matin, entre les reliefs éparpillés d’agapes déraisonnables auxquelles vous n’aviez pas participé, les nouveaux jouets avec lesquels vous pensiez ne pas avoir suffisamment du reste des vacances pour en profiter pleinement. Cette profusion de projets qui germait dans votre esprit fébrile à peine l’emballage écharpé. Cette exaltation débridée. Sans doute l’expérience la plus proche de l’ébriété que vous pouviez connaître alors. Sauf à ce que les reliefs susmentionnés incluent quelques flûtes de champagne pas vidées et laissées sans surveillance.
Eh bien cet état d’esprit surexcité et stupéfait est précisément celui dans lequel baignait la communauté militaro-scientifique à la sortie de la Seconde Guerre Mondiale. Entre Saint-Nicolas von Braun venu d’Allemagne pour apporter des fusées (Vroooouuuush ! Pew pew !) et les merveilleux joujoux issus du Projet Manhattan (KABOUM ! Oups, désolé le Japon), le tout dans un contexte de concours de zizi mondial entre grandes puissances, pendant lequel à peu près n’importe quel projet pouvait être financé pour peu qu’il s’agisse de surveiller, attaquer, ou neutraliser le camp adverse, les années 50 et 60 prirent des airs de magasins de bonbons géants pour les chercheurs des domaines spatiaux et/ou nucléaires. Sachant qu’Oncle Sam ou Maman Russie ne feraient pas de problème pour régler la note.
Résultat : des expériences et projets dont le moins qu’on puisse dire est qu’ils ne manquaient pas d’ambition, et n’avaient pas peur de viser haut. Très haut. A plusieurs centaines voire milliers de kilomètres d’altitude.
Allô ? La Lune ?
Si vous prenez l’essentiel de vos informations en ligne, préparez-vous à un choc. Vous êtes bien assis ? Attention : la Terre est ronde. Si si, vraiment. Nan, je déconne, en fait elle est sphérique (globalement, on va pas chipoter pour les pôles). Et si vous êtes à la surface d’une sphère, vous êtes confrontés à un problème si vous voulez envoyer ou recevoir un signal vers un autre point du globe qui se situe au-delà de la courbe de ce dernier. Par signal, j’entends typiquement une communication radio, ou une onde radar (un autre jouet qui sort de la Seconde Guerre pleinement testé et opérationnel, et en développement rapide). Si vous envoyez une onde électromagnétique, radio ou radar, depuis un point donné, le seul moyen pour qu’elle atteigne les antipodes, plutôt que de partir d’ans l’espace, serait qu’elle traverse la Terre. Or les ondes ne font pas ça. A défaut, deux solutions : un fil pour vous relier à l’autre point, comme les câbles téléphoniques sous-marins, ou un moyen pour que votre onde envoyée dans l’atmosphère rebondisse dans l’air et redescende vers la destination voulue. Mais depuis quand les ondes rebondissent-elles dans l’air ? Dans les années 50, les ingénieurs de l’armée américaine en viennent à se poser précisément cette question. Leur problème est de repérer les stations radars soviétiques. Parce que s’ils savent où elles sont, ils peuvent essayer de les neutraliser ou de les contourner dans l’hypothèse d’une attaque lancée contre le territoire russe. Le plus simple est de faire voler des avions espions à haute altitude au-dessus du pays du prolétariat conquérant. Un appareil spécifiquement conçu pour la reconnaissance à haute altitude est mis en service en 1957, le fameux U2. Modernisé, il est d’ailleurs toujours en service.
Cependant l’exercice est particulièrement complexe et dangereux pour les avions en question. En 1960, un U2 est abattu au-dessus de l’Union Soviétique, ce qui crée de vives tensions avec les Etats-Unis, et son pilote est condamné à 10 ans de prison. Ce serait donc bien de trouver autre chose.
Une station radar envoie des ondes électromagnétiques, c’est son principe de fonctionnement. Une station qui surveille le territoire contre des incursions aériennes envoie donc des ondes vers le ciel. A une certaine altitude, au-delà de 50 km, les ondes en question entrent dans la ionosphère, une partie de l’atmosphère qui, comme son nom l’indique, contient de nombreux ions. Lorsqu’ils rencontrent une onde électromagnétique, ils [on va résumer pour faire simple] peuvent la renvoyer vers le sol. Le problème est que le comportement de la ionosphère est erratique et difficilement prévisible. Sa composition est directement influencée par les vents solaires et autres bombardements cosmiques, elle n’est donc pas fiable en tant que relais radio. En revanche, nous avons, pas trop loin dans le ciel, une grosse masse solide qui peut renvoyer les signaux…
Dans la première moitié des années 50, la Navy met donc au point une antenne qui doit recueillir les émissions des stations radar soviétiques réfléchies par la Lune. Les résultats sont décevants, au sens où les signaux sont beaucoup trop faibles pour être vraiment exploitables, mais le concept de la Lune comme relais radio est validé. L’opération Moon Bounce (que nous traduirons par renvoi ou rebond lunaire) est donc lancée.
Deux antennes sont mises en service en 1955, qui permettent d’établir des communications « par l’espace » entre Washington et Hawaï, puis entre des navires. Le projet est rendu public en 1960, mais entre-temps les développements technologiques le rendent obsolètes, comme nous le verrons par la suite.
(A suivre)
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