Hennig Brandt, la lumière est au fond du pot de chambre

Hennig Brandt, la lumière est au fond du pot de chambre

« L’alchimie ? Pfff, autant pisser dans une cornue. »

Aaaaah, le Moyen-Age… On a beau dire, mais la vie était quand même beaucoup plus simple à l’époque. Déjà parce qu’elle durait sensiblement moins longtemps, ce qui limitait les risques de se la compliquer. En plus, aujourd’hui, on développe des maladies dont le simple nom est impossible à écrire, et je ne vous parle d’essayer de les comprendre. Alors qu’il y a une dizaine de siècles, hop, une coupure en se rasant et c’est la septicémie. On s’écorche en jardinant, tétanos. Un verre d’eau, choisissez votre infection bactérienne. D’ailleurs à ce sujet, la médecine était également beaucoup plus facile à appréhender : on saigne, on coupe, ou les deux.

Sans doute un rhume.

Et puis tout ce qu’il y avait vraiment à savoir était contenu dans un seul livre, la Bible. Pratique.

Mais ce n’est pas pour autant que des esprits audacieux et inventifs ne n’étaient pas mis en quête de découvrir tous les mystères de la Création. Pour un peu, on les aurait appelés scientifiques. Le « un peu » étant en l’occurrence des méthodes qui tenaient debout. Faute de science, donc, nous eûmes des alchimistes. Evidemment, de nos jours, personne ne pourrait être pris au sérieux en se posant comme alchimiste, parce que la marche de la civilisation a fait accomplir des progrès incommensurables à la pensée rationnelle, qui invalident d’emblée les prétentions d’une telle pratique. Une autre des « sciences » de l’époque était l’astrologie, et de la même façon, au XXIème siècle, l’idée même que les positions relatives d’une planète du système solaire et d’une étoile à plusieurs milliers d’années-lumière au moment de votre naissance déterminent les chances que votre projet professionnel soit couronné de succès ne saurait rencontrer que rires et moqueries, et pas une publication censément sérieuse n’oserait accorder la moindre ligne à ces foutaises… Pardon ? Vous plaisantez ?

Bref, revenons à l’alchimie. Ce qui est bien pratique, et simple à suivre, c’est qu’elle fonctionne par association d’idées. Vous voyez un métal qui ne se ternit pas, typiquement l’or, et vous vous dites « hey, on devrait en boire, comme ça on ne vieillirait pas non plus ». Ca marche ! Enfin non, bien sûr, mais comme raisonnement alchimique, c’est tout à fait valable. Vous constatez que le corps humain est somme toute un système qui fonctionne bien, donc on doit pouvoir y trouver toutes les règles qui régissent l’univers. Ce qui nous amène aux remarquables travaux d’Hennig Brandt.

Précisons d’emblée, avant que les lecteurs rigoureux en matière d’histoire, qui sont ô combien bienvenus ici, s’étranglent, que ce brave Hennig étant né en 1630, il n’appartient certes pas au Moyen-Age. Mais comme nous allons le constater, il s’inscrit totalement dans cette tradition.

Hennig Brandt, de Hambourg, fait initialement profession d’artisan verrier. Heureusement pour lui, il réussit un joli mariage, entendre par là qu’il épouse une demoiselle fortunée, ce qui lui permet de plier boutique et d’arrêter de bosser (entre nous, c’est complètement mon plan de carrière, n’hésitez pas à me contacter). Ou plutôt, il peut s’atteler à sa véritable vocation, à savoir la recherche de la pierre philosophale. Rappelons que la pierre philosophale, qui est peut-être une pierre mais peut-être pas, est capable de transmuter les métaux de peu de valeur (plomb, fer, zinc) en or. Ou en argent, aussi, éventuellement. Elle détient aussi le secret de l’immortalité et de la jeunesse éternelle. Elle peut guérir les maladies, tant qu’on y est. Et fait revenir l’être aimé, répare les fuites, rend le sommeil, favorise la repousse des cheveux, traite les disfonctionnements érectiles, et améliore la réception Wifi. Entre nous, qui ne se mettrait pas la rechercher plutôt que de produire du verre ?

Alors que le meilleur moyen de devenir riche avec l’alchimie était sans doute de vendre de la verrerie aux alchimistes.

Hennig se met donc à triturer des machins dans des cornues, en espérant trouver de l’or, négligeant toute autre tâche en dépit des appels de sa femme, qui aurait préféré que Brandt lui construise une machine à laver, un lave-vaisselle, un four…

Non, aucune honte. Jamais.

A la surprise de…essentiellement Hennig et personne d’autre, ses recherches parviennent surtout à cramer les finances du ménage. Coup de bol, sa femme meurt, et il peut se remarier avec une riche veuve et reprendre ses travaux.

Hennig Brandt s’intéresse particulièrement à l’eau. Il considère que l’eau étant essentielle à la vie, elle possède forcément des propriétés mystiques. C’est…tout. C’est globalement l’intégralité de son raisonnement scientifique. Puisqu’on en a besoin, ça doit être magique, tiens je vais faire de l’or avec. Il pense qu’en combinant de la flotte avec d’autres substances, on peut obtenir ce qu’on veut.

Ha, mais en fait il a inventé l’homéopathie…

Hennig s’appuie également sur l’idée que le corps humain détient les secrets de l’alchimie. Pourquoi donc, vous demandez-vous, esprits décidément obtus et revêches au raisonnement scientifique ? Parce qu’il transforme des éléments. Le corps est la fournaise mystique qui convertit des matières en d’autres. Regardez, vous buvez de l’eau, et qu’est-ce que vous obtenez à l’arrivée ? Un liquide doré. Doré, donc or. Imparable. Hennig Brandt acquiert ainsi la certitude que le secret de la pierre philosophale se trouve au fond du pot de chambre, et se lance dans une étude passionnée de l’urine.

Mais ça veut dire quoi, une étude passionnée de l’urine ? J’en connais qui vont regretter d’avoir posé la question. Après s’être procuré des quantités significatives du précieux (euh…non) liquide, il le laisse au soleil pendant quelques heures. Non, attendez, ce sont des jours. Non plus, des semaines. Ensuite, il fait bouillir cette abomination, pour obtenir une substance sirupeuse, dont il tire une forme d’huile. Il la laisse refroidir, puis la chauffe à nouveau, et la distille. Il obtient ainsi un liquide blanchâtre, qui s’enflamme au contact de l’air et produit une odeur qu’Hennig compare à l’ail (la question de savoir comment il pouvait encore avoir des cellules olfactives fonctionnelles à ce stade reste ouverte).

Nous avons rarement été aussi heureux que l’Internet en odorama n’existe pas.

Brandt est alors convaincu d’avoir découvert la pierre philosophale. Pour autant il doit bien se rendre à l’évidence : sa trouvaille ne transforme rien en or. Il se trouve en présence d’un nouvel élément, soluble dans l’eau, et inflammable voire explosif au contact de l’air. Du fait de cette luminescence, Brandt baptise sa découverte du nom grec de Vénus, « qui apporte la lumière », à savoir phosphore. Il a donc vraiment mis la main sur un élément chimique inconnu.

A nouveau ruiné, Hennig finit par révéler à d’autres collègues alchimistes le secret de son nouvel élément, et surtout de sa méthode de production, avant de tomber dans l’oubli. La découverte du phosphore fut donc longtemps attribuée à d’autres, avant que des documents historiques permettent de lui redonner toute sa place dans l’histoire de la chimie.

Oui, je sais ce que vous vous demandez. C’est quoi « des quantités significatives d’urine » ? Il semblerait qu’en suivant sa méthode (pas la plus efficace pour extraire du phosphore de l’urine, soit dit en passant), il a produit en tout 120 grammes de phosphore à partir de …5 500 litres d’urine.

– Hennig, tu n’as pas vu un peu grand pour les toilettes ?
– NAN !!!

Il va sans dire que sa production personnelle n’y suffisait pas. Il aurait sollicité sa femme (qui ne devait plus être à ça près), sa famille (« euh, on va peut-être pas inviter Hennig pour Noël, cette année »), ses amis (« du coup, on peut échanger nos femmes ? Hé, quoi, chacun son truc ! »), voire l’armée (« tenez, j’ai une variante pour la corvée de chiottes »).

6 réflexions sur « Hennig Brandt, la lumière est au fond du pot de chambre »

  1. « Coup de bol, sa femme meurt,… »
    J’aime quand le résumé, résolument tourné vers l’objet scientifique (alchimique présentement), sait se départir du commentaire de fait divers qui alourdirait évidemment la démonstration ou la narration en cours. « Coup de bol, sa femme meurt ». Ah on est loin du récit mythologique d’un Bernard Palissy cramant tous les meubles, et bobonne elle aurait rien dit? Ben non elle est morte. Ah ok. Y’a quand-même des alchimistes qui ont du bol!

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