Le général arrosé
– Ah tiens, au fait, j’avais pas tout à fait fini.
– Si si, je t’assure, ton verre était vide.
– Gros malin. Non, je veux dire qu’on n’a pas complètement fait le tour de cette histoire de conspiration de Wall Street pour renverser Franklin Roosevelt.
– Quoi, y’avait encore un complot dans le complot dans le complot ?
– Pas exactement, mais on a mentionné un individu particulier dans cette histoire, qui a connu une suite. Et comme il n’est pas apparu sous un jour particulièrement favorable, et que la suite en question lui est revenue dans le nez, je pense que ça vaut le coup d’y consacrer encore quelques instants.
– Attends, tel que je m’en souviens, y’a pas mal de gens qui sont apparus sous un jour pas particulièrement favorable. Notamment parce qu’ils voulaient renverser le président élu parce qu’ils assimilaient ses politiques sociales et de relance à du bolchévisme échevelé.
– Evidemment, mais en l’occurrence je ne te parle pas d’un de ces barons de l’industrie ou de la finance qui auraient, je te rappelle que la commission d’enquête parlementaire n’a pas été en mesure de prouver formellement leur implication, fomenté ce coup. Plutôt d’un individu qui était sans doute un peu d’accord avec eux, mais qui est surtout intervenu au début et à la fin de notre récit.
– Alors reprenons au début.
– On va repartit de 1932. C’est l’année où des milliers de vétérans, les anciens combattants de l’armée américaine, viennent manifester à Washington pour demander la revalorisation de leur pension qui leur a été promise depuis plusieurs années, et dont ils n’ont pas vu la couleur.
– Je me souviens. Ils sont notamment soutenus par le général Butler, ce qui ne fait que renforcer sa popularité auprès des troupes, raison pour laquelle les conspirateurs imaginent de le mettre à la Maison-Blanche.
– Voilà. Ils sont soutenus par Butler, mais vigoureusement dégagés par un autre général, dont le nom nous est plus familier.
– Ah, oui, exact. MacArthur, sauf erreur de ma part.
– Voilà, lui-même. Douglas MacArthur n’a pas la collection de médailles de Butler, mais c’est quand même pas un manche. Il est sorti major de sa promo à West Point, a également gagné du galon et quelques breloques pendant la Première Guerre, et devient le plus jeune major général des Etats-Unis en 1925, après avoir étouffé des mouvements rebelles aux Philippines. C’est ce joli parcours qui le conduit au poste de chef d’état-major de l’armée des Etats-Unis en 1930.
– Ouais, bon, d’accord, mais il emploie la force contre les anciens combattants qui demandent leur dû.
– Exactement. Cette action lui vaut les diatribes de deux journalistes du Washington Post, Drew Pearson et Robert Allen. Ils qualifient les méthodes de MacArthur dans cette action de répression d’injustifiées et brutales. Ils vont même jusqu’à le dire déloyal et dictatorial.
– C’est certainement sévère, mais pas forcément injustifié.
– Non, pour autant MacArthur le prend mal. Et là, il commet une erreur.
– Ne me dis pas qu’il envisage de régler le problème de façon martiale.
– Non, mais c’est un officier supérieur prestigieux, avec un parcours remarquable et qui a quand même été chef d’état-major de l’armée des Etats-Unis, bordel. On ne le traite pas comme ça de brutal et déloyal. Il va donc réagir avec toute la subtilité dont il avait effectivement fait preuve, et qui quelques années plus tard le conduira par exemple à suggérer de régler la guerre de Corée à coups de bombes atomiques.
– Euh, c’est-à-dire ?
– Il poursuit les journalistes pour diffamation.
– Oui, bon, on peut être d’accord ou non sur le fond, mais c’est son droit.
– Absolument. Cela dit il leur réclame 1,75 million de dollars. Ce qui au cours actuel en fait plus de 20.
– Ah oui, quand même. Subtil.
– Et nous avons là un bel exemple d’hubris, d’orgueil un peu aveugle qui revient dans le nez de son propriétaire comme un boomerang.
– Atomique.
– Atomique. Avant d’être rappelé à Washington en 1930, Douglas est stationné aux Philippines. En 1929, il divorce. Quelques mois plus tard, il fait la rencontre d’sabel Rosario Cooper. Une jeune femme qui est tout à la fois chanteuse, danseuse, et actrice. Elle est d’ailleurs connue sous le nom de scène de Dimples, c’est-à-dire « Fossettes ». Elle est rentrée dans l’histoire du cinéma philippin en 1926 pour avoir été la moitié du premier baiser sur la bouche apparu dans un film national.
– Bonjour madame.
– Euh…non.
– Bonjour mademoiselle ?
– Uh, tout juste.
– Comment ça ?
– Quand elle et MacArthur se rencontrent, elle a peine 16 ans.
– C’est…très très jeune, quand même.
– Ca, je ne te le fais pas dire.
– Mais, euh, peut-être que…je veux dire, tu m’expliques qu’ils se sont rencontrés, tout de suite j’imagine des trucs, mais bon. Il lui a peut-être juste donné des contacts pour développer sa carrière, ou quelque chose comme ça. Une relation d’un ainé avec une jeunette, de façon tout à fait paternelle et innocente. Ils se sont rencontrés, voilà, et donc ?
– Et donc ils deviennent amants.
– Merde.
– Quand Douglas prend son nouveau poste à Washington, il fait venir Foss…je veux dire Isabel, et il l’installe dans un hôtel. Il la couvre de cadeaux qui incluent notamment de nombreux kimonos et nuisettes, mais aucun vêtement d’extérieur. Parce que, selon le biographe du général, « sa mission (duty) était au lit ».
– La grande classe.
– Isabel finit par obtenir la possibilité de sortir un peu, mais MacArthur fait le jaloux en lui reprochant ses sorties, et imagine qu’elle lui est infidèle. Leurs relations se tendent, pour autant, en 1933, elle vit toujours à Washington à ses frais. Elle aimerait d’ailleurs bien vivre à son compte, mais n’en a pas vraiment les moyens. A noter d’ailleurs que la rupture définitive avec MacArthur intervient en 1934 quand elle s’inscrit à la fac de droit. Le général ne supporte pas l’idée qu’elle y fréquente de jeunes hommes.
– Enfin, jeunes, de son âge.
– C’est ça. Mais toujours est-il que l’existence d’Isabel Cooper arrive aux oreilles d’un certain Drew Pearson.
– L’un des deux journalistes poursuivis pas MacArthur ?
– Lui-même. Parce que la véritable spécialité de Pearson et Allen dans le canard, ce n’est pas tant les questions militaires ou les éditos. Ils sont en charge d’une rubrique potins, qui bénéficie d’une bonne couverture et audience nationale.
– Une rubrique potins dans le Washington Post ?
– Ben oui, que veux-tu. Pearson contacte donc notre jeune amie philippine. Cette dernière accepte de lui « louer » six lettres écrites par MacArthur, qui sont tout à fait explicites sur la nature de leur relation.
– Bien joué.
– A la suite de quoi, Pearson et Allen inscrivent Isabel Cooper dans la liste de leurs témoins en vue du procès à venir. Une information qui est donc communiquée à l’avocat de MacArthur. Et là, surprise.
– Le général est d’un coup moins vindicatif ?
– Précisément. Alors qu’il a déjà engagé des frais à hauteur de 16 000 dollars de l’époque, plus de 300 000 d’aujourd’hui, il abandonne les poursuites et un compromis est trouvé. Mieux, il paie encore autant pour récupérer les lettres en question, et les deux journalistes remettent l’argent à Isabel, qui peut alors prendre son indépendance.
– Ha ha, bien fait. Espèce d’arroseur arrosé.
– Voilà. Vaut mieux y réfléchir à deux fois avant de poursuivre les gens. A fortiori des journalistes spécialisés dans le ragot quand on est chef d’état-major et qu’on entretient une relation avec une toute jeune femme, commencée quand elle était encore mineure.
– Situation assez spécifique, mais je vois l’idée. Et Isabel, qu’est-ce qu’elle devient ?
– Malheureusement pour elle, son parcours n’est pas particulièrement inspirant. Elle quitte Washington et va ouvrir un salon de coiffure dans le Midwest, avant d’aller tenter sa chance à Hollywood. Sa carrière n’a cependant rien à voir avec celle qui se profilait pour elle aux Philippines. Elle n’obtient que des rôles de figurantes, genre « jolie fille asiatique n°3 ». Elle finit par se suicider en 1960, à l’âge de 46 ans.
– Moche.
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