Né sous le signe du branquignole
– Tiens, j’en ai une pour toi. Culture générale, cite-moi des créations audiovisuelles inspirées par le tueur du Zodiac.
– Ok. Alors pour commencer, il y a évidemment L’inspecteur Harry (Dirty Harry), sorti aux Etats-Unis le 23 décembre 1971, parce que c’est typiquement un film de Noël. Le tueur se fait appeler le Scorpio Killer, c’est-à-dire le tueur du Scorpion, la référence astrologique est donc évidente.
– You got lucky, punk.
– Je voudrais également citer un épisode de Millennium (the Mikado), dans lequel Franck Black reprend l’enquête bien des années plus tard, et trouve le tueur. Et puis il y a évidemment le fort recommandable Zodiac de Fincher, sorti en 2007.
– Pas mal. Mais ce sont autant de productions qui manquent d’ambition.
– Comment ça ?
– Elles racontent une histoire inspirée du Zodiac, voire l’histoire du Zodiac, mais c’est tout. C’est au mieux descriptif.
– Ben…oui, tu voudrais quoi ?
– Moi je vais te parler d’un film qui a été spécifiquement conçu pour attraper le Zodiac.
– Hein ? Comment ça ?
– Assieds-toi. Pour commencer, recadrons un peu les choses, tout le monde n’est pas habité par une fascination malsaine pour les tueurs en série.
– Elle est pas malsaine, elle est juste morbide.
– C’est tout de suite beaucoup mieux. Donc, le tueur du Zodiac. Un homme, qui n’a jamais été identifié, qui a totalisé 7 victimes confirmées, dont 2 ont survécu. Lui-même en revendique 37, et il y en a une demi-douzaine pour lesquelles il est suspecté, mais sans certitude. Le Zodiac a sévi en Californie, en 1968 et 1969 pour les victimes confirmées, et peut-être de 1963 à 1972 pour les non-confirmées. Il utilisait aussi bien à l’arme à feu que le couteau, et s’en est pris à des hommes et des femmes, dans la nature comme en plein San Francisco. Il a agi à visage découvert, ce qui a permis d’en dresser un portrait-robot, mais aussi en portant un costume.
Et puis il est également connu pour avoir adressé aux médias une série de lettres et cartes postales pour revendiquer et « expliquer » ses agissements. Lettres dont plusieurs contenaient des messages codés, dont seul un sur quatre est aujourd’hui considéré comme définitivement déchiffré.
– Ca me paraît un bon résumé. Un dangereux tordu.
– Voilà. Et maintenant, je vais te dire un mot de Tom Hanson.
– Pour le coup, je ne le connais pas.
– Ce n’est pas outre-mesure surprenant, il faut pour cela posséder une solide culture nanardesque.
– Alors quitte à choisir, entre ça et les tueurs en série…
– En 1970, Tom Hanson vit en Californie, et se trouve, après plusieurs expériences dans la restauration rapide, à la tête d’une chaîne de pizzérias qui fonctionne plutôt pas trop mal puisqu’elle compte autour de 70 établissements. Mais au moment où il allait toucher un chèque de plusieurs millions de dollars, son associé/financeur fait faillite. Hanson se retrouve donc quasiment à poil, puisqu’il ne lui reste plus que quelque chose comme 13 000 dollars en poche (même si la franchise, Pizza Man, existe toujours).
– Ha. Et tu vas me dire que, désespéré, il devient le Zodiac.
– Mais non, pas du tout. Hanson a également fait un peu de ciné dans sa jeunesse. Rien qui n’a marqué la culture, d’authentiques nanards à base de bikers et de Big Foot. Néanmoins il remettrait bien le couvert, et pour ça il est disposé à investir ses quelques sous, à condition d’avoir un projet qui rapporterait assez pour financer ses futures aventures. Nous sommes alors en 1970, et il se dit que le meilleur moyen de rencontrer le succès, ce serait…
– Un film sur le Zodiac ?
– Mieux. Un film sur le Zodiac, certes, mais qui servirait en réalité à attraper le Zodiac, ce qui lui apporterait de fait gloire et publicité. J’insiste cependant bien sur un point : dans l’esprit d’Hanson, mettre la main sur le tueur est plus un moyen de réaliser un joli retour sur investissement qu’une fin en soi.
– Ouais, bon, c’est pas forcément la motivation la plus noble, mais si ça marche… Et donc, il passe une annonce genre « cherche acteur pour jouer le Zodiac, expérience requise » ?
– Non. Le plan est digne de Scoubidou. Hanson se dit que s’il réalise un film sur le Zodiac, et le projette à San Francisco, alors forcément le vrai Zodiac viendra le voir, et il suffira alors de lui tendre un piège. Le film est conçu comme un gros appât à tueur en série.
– Cette histoire elle-même ressemble à un nanard.
– Je suis bien d’accord. Hanson tourne donc en quelques semaines un film ni fait ni à faire, Zodiac, qui sera renommé par la suite The Zodiac Killer.
A noter qu’il réussit à avoir pour conseiller Paul Avery.
– Attends, Paul Avery ? Le journaliste du San Francisco Chronicles qui enquêtait sur l’affaire ?
– Lui-même. Au moment où le film se tourne, Avery a reçu personnellement chez lui une carte postale du Zodiac pour Halloween, pour lui dire qu’il était « condamné ».
– La vache.
– Ouais. Avery conseille donc Hanson, et est au courant du plan. Pour autant, par définition, les scénaristes ne savent pas qui est le tueur, ni pourquoi il agit. Ils font donc preuve d’imagination, et présentent ainsi le Zodiac comme un postier, qui consulte ses lapins pour choisir ses victimes, et pratique le satanisme dans sa cave.
– Mais allez, on se fait plaisir.
– Voilà. Une fois le film bouclé, Hanson organise une série de projections au Golden Gate Theater de San Francisco, avec une campagne de promotion locale préalable, puisque l’idée est que le tueur soit au courant et vienne. La première se tient le 7 avril 1971. Soit plusieurs mois avant Dirty Harry, ce qui en fait effectivement le premier film inspiré du Zodiac. A cette date, le Zodiac a envoyé 7 lettres et cartes postales.
– Et donc, comment il compte s’y prendre pour l’attraper.
– Ha, le plan… Je t’invite à regarder attentivement l’affiche. Tu vois la partie du bas ?
– « Savez-vous pourquoi il tue ? », et …on peut gagner une bécane ?
– Exactement. Hanson organise un tirage au sort. Avec chaque billet, les spectateurs reçoivent un carton réponse. Pour gagner une moto, ils sont invités à répondre à la question « pourquoi pensez-vous que le Zodiac tue ? », et à déposer leur carton dans une boîte spécialement aménagée dans le podium sur lequel trône fièrement la moto en question, bien en évidence dans le ciné. Sauf qu’en plus de la boîte qui reçoit les cartons, ce podium contient également un membre de l’équipe d’Hanson. Il est chargé d’examiner les réponses, de les comparer en direct avec les lettres du Zodiac, telles que publiées par les journaux, pour repérer les écritures similaires. Un examen graphologique en temps réel.
– Ok…
– S’il repère une correspondance, il appuie sur un bouton, qui envoie un signal à un complice. Qui se situe…en face.
– Attends, comment ça en face.
– Deuxième point Scoubidou. En face du podium de la moto, il y a…un frigo. Censé contenir des glaces, mais qui abrite en fait un autre membre du dispositif. Ce dernier peut voir, à travers la grille de ventilation, les personnes qui déposent des bulletins-réponses dans l’urne. Si donc notre graphologue signale une correspondance, l’homme du frigo peut dire à quoi ressemble l’individu qui a glissé la réponse en question, et prévenir le reste de l’équipe. Qui compte au total six personnes. Ces dernières doivent alors retrouver le suspect, et « l’accompagner » jusqu’à un bureau le temps que la police soit prévenue et vienne l’appréhender.
– Mais c’est…n’importe quoi.
– Totalement. Ce qui n’empêche nullement notre équipe de branquignoles de mettre leur plan à exécution.
– Et alors ?
– Et alors…rien, d’abord. Et puis, après quelques séances, un bulletin réponse est glissé dans la boîte, qui dit simplement « j’étais là, le Zodiac ».
– Oh p…
– Je ne te le fais pas dire. Notre petit lecteur prévient donc immédiatement son camarade du frigo.
– Et ?
– Y’a personne dans le frigo ! Comme cette position était assez inconfortable, c’était chacun son tour. Ce soir-là, c’est le co-scénariste Ray Cantrell qui fait la vigie réfrigérée, mais la ventilation ne marche pas. Il fait un malaise, et doit donc être sorti de son poste. Conséquence, pas d’identification visuelle.
Mais notre commando de choc a une deuxième chance ! Au même moment ou à peu près, Tom Hanson va se soulager aux toilettes. Alors qu’il est bien peinard devant son urinoir, il est rejoint par un homme qu’il décrit comme grand et imposant. Qui lui dit posément que ce film c’est n’importe quoi, parce que le sang ne coule pas du tout comme ça.
– On ne se parle pas aux wc, bon sang !
– Hanson dévisage alors son interlocuteur, et reconnaît l’homme du portrait-robot ! Il sort précipitamment, et donne l’alerte.
– Mais le temps que tout le monde rapplique, l’homme mystérieux s’est fait la malle.
– Pas du tout. Ils le retrouvent, et l’invitent gentiment à venir discuter dans le bureau. Ce que l’individu fait bien volontiers.
– Ah bon ? Mais…ils sont pas flics.
– Non, mais l’homme est tout à fait cordial. Ils se posent donc, et taillent le bout de gras. Et là…il est non seulement cordial, mais fort sympathique. On discute Vietnam, ça se passe bien. On lui montre le coupon réponse suspect, et il répond tranquillement que c’est pas lui. Donc au bout d’un moment, tout le monde sauf Hanson considère que c’est un brave gars, et qu’on n’a aucune raison de le retenir. Il repart donc les mains dans les poches.
– Comme ça ?
– Comme ça. Hanson ne l’avale pas. Il est convaincu qu’il avait le Zodiac sous la main.
– Il en est resté là ?
– Non. Comme je sens que tu t’intéresses à sa carrière, il a continué à faire de la série B. Pour ce qui est du Zodiac, il est resté aux trousses de son suspect. Il aurait récupéré d’autres échantillons graphologiques, grâce à un autre tirage au sort bidon.
– Concluants, ces échantillons ?
– Selon Hanson, l’expert, ce coup-ci de la police, aurait conclu à une correspondance sans le moindre doute. Mais sans aucune suite.
– Hein, mais comment…
– De la même façon, Hanson aurait pu récupérer des objets touchés par le suspect, mais sans aucune empreinte digitale. Ca te paraît difficile à croire ? Moi aussi. Le problème c’est que le « piège » du Golden Gate Theatre est documenté, mais pour le reste on n’a essentiellement que le témoignage d’Hanson, et… disons qu’il prétend aussi avoir découvert un traitement totalement efficace contre le cancer à base de cuiseurs à viande. Il l’aurait remis à des hôpitaux, qui se seraient avérés incapables de reproduire ses résultats parce qu’ils auraient modifié ses réglages, en se fiant à leurs connaissances médicales plutôt qu’aux affirmations d’un pizzaiolo/réalisateur de nanard.
– Ah. Ouais. Pas forcément le gars le plus fiable du monde.
– J’ai des doutes. Toujours est-il que le Zodiac n’a jamais été identifié, et n’a plus donné de signe de vie depuis 1974. Et va savoir, peut-être qu’une équipe de bras cassés avait mis la main dessus.
– Non mais si on fait un film sur cette histoire, peut-être qu’il viendrait le voir. Tu aurais 13 000 dollars à me prêter ?