On sort les gros calibres

On sort les gros calibres

(La science perchée, épisode 4)

La fusée, c’est bien. Mais on pourrait peut-être imaginer autre chose pour balancer des trucs en orbite ? Aussi, pénis.

Souvenez-vous, la Seconde Guerre mondiale a constitué, de par les technologies dont elle a favorisé le développement, le point de départ de la conquête spatiale. Soyons tout à fait honnêtes, nous n’avons pas attendu ce conflit pour développer des moyens de lancer des trucs lourds le plus loin possible, de la fronde à la mitrailleuse en passant par la catapulte et le fusil. Aussi, bien avant 1939, certains avaient eu l’idée d’aller explorer l’espace au moyen d’une technologie plus ancienne que le missile, à savoir le canon.

Au premier rang desquels, notamment, M. Science-Fiction du XIXème siècle, Jules Verne lui-même. Dans De la Terre à la Lune, il propose tout simplement d’envoyer de hardis explorateurs vers notre satellite grâce à un gros canon.

On a quoi comme mot, au-dessus de « gros »?

Après tout, nous savons tous depuis Newton qu’il suffit d’envoyer un objet très vite très loin pour qu’il finisse par s’arracher à l’attraction terrestre, et se retrouve donc dans l’espace. Mais il y a deux problèmes.

Le premier réside dans le « très vite ». Prenez un fusil (au sens figuré, s’il-vous-plait). Ou un canon, c’est la même chose. La balle, le projectile, est en elle-même inerte. Elle ne se déplace que parce qu’elle a reçu une poussée initiale. Toute sa vitesse ne vient que de l’explosion de la cartouche, ce qui signifie que l’accélération se produit en une fois, au moment de la détonation. Une fusée possède des réacteurs, qui la propulsent pendant plusieurs minutes, par conséquent son accélération est progressive, et elle met un peu de temps à atteindre sa vitesse maximale. Une balle ou un obus, non. C’est tout, tout de suite. Ainsi, la vitesse nécessaire pour s’arracher à l’attraction terrestre étant de 11,2 km par seconde, un objet qui passerait de l’immobilité complète à cette vitesse en une seconde (ce qui est sensiblement plus que la détonation d’une charge explosive, et sans tenir compte des frottements de l’atmosphère qui nécessitent d’aller encore plus vite au démarrage) subirait une accélération équivalente à…1 142 g, soit 1 142 fois la force de l’attraction terrestre.

Et que devient un astronaute audacieux mais qui a oublié de faire ses calculs quand il est soumis à une accélération de 1 142 g ?

Suggestion de présentation.

Le deuxième problème, c’est que même si vous avez suivi quelques cours de physique et compris que cette méthode n’était pas…recommandée pour l’envoi d’hommes (ou autres voyageurs en chair et en os) en orbite, il s’avère qu’elle n’est de manière générale pas adaptée pour envoyer quoi que ce soit en orbite.

La balistique, comme son nom l’indique, est la science du mouvement des projectiles. Elle décrit des trajectoires qui montent, atteignent leur sommet, puis redescendent selon la même courbe, puisque comme dit plus haut, le projectile ne possède que la vitesse qui lui a été donnée au départ, et ne peut pas changer de direction une fois lancé (il n’y a pas de volant ni de moteur sur un obus).

A noter que ça vaut pour tous types de projections.

Par conséquent, même si l’accélération est suffisante pour atteindre la hauteur désirée au sommet de la courbe, la trajectoire n’est pas la bonne pour placer l’objet en orbite autour de la planète. Il finira par redescendre à la surface. Pour qu’une fusée se place (ou place un satellite) en orbite, elle doit, une fois à la bonne altitude, modifier sa trajectoire et redonner une accélération pour s’inscrire et rester à la hauteur voulue. Grâce à ses propulseurs et systèmes de navigation, que ne possède pas un objet de type obus.

Croyez-nous sur parole…

Ou pas, comme vous voulez.

Bref, une trajectoire balistique ne permet pas de placer efficacement des objets inertes en orbite.

Ce qui veut en passant dire que si l’on ne peut pas mettre des satellites en orbite avec un canon, nous pourrions éventuellement en revanche envoyer un objet sur la lune (ou autre) par ce biais. Ce qui ne règle cependant aucunement le fait que d’éventuels passagers se retrouveraient collés, pour ne pas dire agglomérés, sur les parois au décollage, et qu’il n’y aurait pas non plus de moyens de ralentir l’arrivée autrement que par un impact météoritique à la surface lunaire. Donc au final c’est toujours non. Jules Verne ne proposait d’ailleurs pas d’envoyer son obus habité sur la lune, mais en orbite autour de cette dernière.

Voilà. Ca c’est le côté scientifique des choses. Pour envoyer des trucs durablement dans l’espace, un canon, même gigantesque, ne sert à rien. Mais…en dehors du côté scientifique…avoir un énorme canon, on ne va pas nier que c’est quand même vachement marrant.

Mortellement drôle, comme il dirait.

Dans les années 50, les Etats-Unis mettaient au point de nouveaux modèles de missiles intercontinentaux, ce qui impliquait de nombreux tests atmosphériques pour étudier le comportement des prototypes, notamment en phase de redescente et rentrée atmosphérique. Un ingénieur en balistique canadien, Gerald Bull, suggéra alors d’utiliser pour ce programme un canon plutôt que des fusées. Le canon possède en effet un avantage : une fois construit, il suffit de le recharger pour procéder à un nouvel envoi, plutôt que de fabriquer une nouvelle fusée. On peut donc faire plus d’essais, plus vite, pour moins cher.

C’est ainsi qu’en 1961 les gouvernements américains et canadiens lancent un programme de tests en haute altitude au moyen d’un énorme canon. Projet qui, en toute logique au regard de sa nature, est baptisé Harpe. Enfin, HARP, pour High Altitude Research Project. Un premier canon spatial de 410 mm de diamètre, ce qui correspond à 50 calibres, soit un peu plus de 20 mètres de long, est installé sur l’île de la Barbade, dans les Caraïbes. Mais comme c’était un peu court, le fût est agrandi quelques années plus tard, pour atteindre la taille de 41 mètres de long.

Sans doute la première fois de l’histoire que les voisins se sont plaints parce que quelqu’un jouait trop fort de la HARP.

Le 18 novembre 1966, un second canon HARP installé au Texas établi un record, toujours en vigueur, en expédiant une charge de 180 kg à la vitesse de 2 100 mètres/seconde, ce qui lui permet d’atteindre l’altitude de 180 km, donc l’espace. Le programme HARP permet donc d’effectuer des tests et études de la haute atmosphère, mais il est abandonné peu de temps après, notamment pour des raisons de budget et de tensions entre ses deux financeurs, les Etats-Unis et le Canada, en pleine guerre du Vietnam.

L’idée du canon spatial fut-elle pour autant abandonnée ? Bien sûr que non ! Vous savez comme il est difficile de convaincre les Etats-Unis de laisser tomber leurs flingues.

Clint a fait ce qu’il a pu pour maintenir l’idée en vie dans les années 70-80.

C’est ainsi qu’en 1985, un nouveau projet, ingénieusement et subtilement baptisé SHARP, pour Super HARP (si si, vraiment), est conçu. Il s’agit d’envoyer des objets plus petits, en utilisant non plus de la poudre classique mais du gaz compressé. Le canon SHARP est mis en service en 1992, et il est composé de deux sections de 47 et 82 mètres de long. Il réalise de façon concluante plusieurs tests qui propulsent des charges de 5 kg à des vitesses de plus de 3 km/s.

Suffisant pour que les promoteurs de SHARP imaginent un véritable « propulseur Jules Verne » avec lequel ils pensaient pouvoir réellement procéder à la mise en orbite de satellites. Doté d’un canon de…3,5 km. Et une note d’un milliard de dollars. Comme les sous ne sont jamais arrivés l’idée est abandonnée en 1995. A une époque qui voit le développement de fusées réutilisables, qui ruinent ainsi l’avantage économique et pratique du canon, il est peu probable qu’elle refasse surface.

Dommage. 3,5 km de long, quand même.

7 réflexions sur « On sort les gros calibres »

    1. Merci, c’est corrigé. L’auteur avoue qu’en dépit de ses vantardises régulières, il ne manie pas ce genre de fût au quotidien.

  1. Il me semble que les Nazis avaient fait des recherches similaires avec un super-canon doté de 6 ou 8 chambres d’explosion latérales venant ajouter, de façon synchrone au déplacement initial de l’obus, des poussées supplémentaires

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