Ride the lightning !
Désormais, vous avez très peur de vous faire piquer par un hyménoptère. De rien. Alors que ça commence à sentir un peu le printemps, il est temps de vous expliquer qu’il n’y a pas que le pollen qui prend son envol.
Bon, ça va bien un moment de raconter n’importe quoi sur Internet pour amuser la galerie, mais vient un temps où il faut assumer un peu, voire reconnaître ses erreurs, et venir se repentir, contrit, honteux, la queue entre les jambes. Ou si possible faire porter la faute à quelqu’un d’autre.
Il y a donc quelque temps, ici même, dans le cadre d’un article tout à la fois particulièrement distrayant et hautement instructif visant à vous présenter les capacités stupéfiantes de l’organisme vivant le plus physiquement fort connu, mon coauteur ne trouva rien de mieux à faire que de moquer les lacunes scientifiques de Stan Lee et Jack Kirby, les deux grandes figures tutélaires de chez Marvel, et par conséquent parents d’une tripotée de super-héros. Je cite ce cuistre :
« Regardez Spider-man […], il possède un sens spécial qui l’avertit des dangers imminents, comme…précisément aucune espèce d’araignée connue, et il est capable de réaliser des bonds impressionnants, comme…13% des espèces d’araignées référencées. Mais, si l’on en croit les dernières incarnations, il ne produit pas de soie, alors que c’est une caractéristique commune à toutes les araignées. J’ai passé 5 minutes sur Wikipédia et j’en sais plus sur les araignées que Stan Lee et Stephen Ditko. »
Non mais regardez-moi ce ton hautain et prétentieux, pour ne pas dire sentencieux, cette arrogance pompeuse, cette attitude de donneur de leçon qui devrait faire gaffe parce que ça risque de lui revenir dans le nez. Vraiment, je ne sais pas ce qui m’a pris. Ce qui l’a pris, pardon. Fichu coauteur.
Il convient donc de corriger l’extrait ci-dessus, sans pour autant lui enlever toute qualité ni a fortiori ruiner l’article tout à fait remarquable dont il est issu. Ce qui nécessite un petit préalable. Avant de procéder, je dois…comment dire…susciter chez vous une vision d’épouvante glacée à vous faire perdre le sommeil, sinon la raison. Croyez bien que je n’y prends qu’un plaisir modéré, mais c’est nécessaire.
Imaginez une araignée. Ok, j’en vois déjà quelques-uns qui commencent à être mal à l’aise. J’invite par conséquent leurs voisins à les maintenir fermement en place pour qu’ils ne puissent s’échapper. Imaginez donc une araignée. Pas un modèle monstrueux, plutôt une petite araignée. Petite, et en plus juvénile. Toute mignonne, avec ses grands yeux. Ses huit grands yeux.
Ca va ?
Bien. Maintenant, imaginez-en plusieurs. Quelques-unes. Quelques dizaines. Oui, quelques centaines. Evidemment quand je dis centaines, il faut entendre milliers. Vous pensez être au bout de vos peines ? Vous êtes naïfs.
Maintenant, imaginez ces armées arachnides…en train de voler.
Oh, je vous entends d’ici. C’est n’importe quoi, je sombre dans l’exagération la plus outrée à des fins bassement sensationnalistes. Comme je comprends ce réflexe paniqué de vos esprits en proie à une vague d’effroi de plus en plus pressante. Logique, mais futile.
Le phénomène s’appelle le spider ballooning, également dit en français araignée ballooning, parce qu’on est biologistes ici, pas linguistes. Nous proposons donc le tout aussi juste et bien plus élégant terme d’aérostat arachnide. Non pas que l’élégance vienne en quoi que ce soit diminuer le caractère de cauchemar absolu que représente la chose pour tout arachnophobe même modéré.
De quoi s’agit-il exactement ? De milliers, voire plus, d’araignées qui migrent en masse par les airs, volant grâce à de longs fils de soie qui font office de voile.
Bien sûr, en Australie, on en a compté des millions. Parce que l’Australie.
Et si certains individus isolés utilisent la technique pour faire un saut de puce, en quelque sorte, voire simplement échapper à un prédateur, elle a une utilité avérée pour favoriser la dispersion géographique des espèces. Parce qu’avec leurs petites voiles personnelles, les jeunes araignées peuvent atteindre des altitudes de plusieurs kilomètres, et voyager sur des centaines de bornes. Ce qui peut leur permettre de rejoindre par exemple des iles inaccessibles par ailleurs. Lors de son voyage, Darwin décrivit ainsi des araignées ayant atterri sur son bateau alors qu’il se trouvait à plus de100 kilomètres des côtes.
C’est ce qu’on appelle les pluies d’araignées.
La bonne nouvelle, c’est qu’alors que la série Sharknado touche (enfin) à sa fin, nous pouvons d’ores et déjà proposer de la remplacer par SpiderStorm, qui aura l’avantage d’être beaucoup plus solide scientifiquement parlant.
Maintenant que vous avez un nouveau motif pour faire des cauchemars, penchons-nous encore un peu sur la question. Le phénomène des araignées volantes est connu depuis longtemps. Bien avant Darwin, Aristote était au courant. Pour autant, il n’avait jusqu’à récemment été que peu étudié. Heureusement, quelques scientifiques audacieux se sont dernièrement intéressés à la question.
Après quelques observations, nos braves spécialistes en aéronautique d’épouvante se sont dit que l’hypothèse la plus communément admise, à savoir que les araignées volantes se déplaçaient dans les airs grâce aux courants atmosphériques, ne tenait pas complètement la route. En effet, même s’il n’est question que de petites bêtes de quelques grammes (de pur effroi, certes), les simples courants d’air ne semblaient pas en mesure de les emmener aussi haut et loin, ni de les faire décoller aussi rapidement (parce que oui, elles partent vite). D’autant qu’elles sont tout à fait en mesure de mettre les voiles même quand il n’y pas suffisamment de vent pour les emporter.
Le secret ? L’électricité. Plus exactement, l’électricité statique dans l’atmosphère, ou plus précisément encore le gradient de potentiel atmosphérique. Pour faire simple, c’est la différence de charge électrique à travers l’atmosphère. Oui, il y a des charges électriques dans l’atmosphère, c’est ce qui, à l’extrême, produit des éclairs. Quand les araignées projettent leurs soies, ces dernières sont chargées électrostatiquement (on ne sait pas encore trop exactement comment), ce qui a deux effets : d’une part ça les écarte l’une de l’autre, produisant la « voile » qui va permettre le vol, et d’autre part la différence de potentiel électrique avec l’air ambiant produit une force physique, une aspiration, si vous voulez, qui les fait décoller même quand les courants d’air n’y suffisent pas.
Les araignées volent sur les courants électriques. Plutôt pas mal non ?
Et Spider-man dans tout ça, me direz-vous. Il ne vole pas. Non, mais il possède un « sens » particulier, qui lui permet de détecter les dangers. Et bien en fait, semblerait que les araignées disposent de quelque chose qui peut s’en approcher. Non pas pour détecter les dangers, mais précisément les courants et potentiels électriques. Je ne vous apprendrai pas que leurs petites papattes sont couvertes de poils (en faisant attention vous les sentez quand elles vous courent dans la nuque).
Ces poils, dont le nom exact est trichobothria, ce qui ne vous servira jamais que pour le scrabble (mais ce jour-là vous ne regretterez pas de vous en souvenir), sont capables de détecter les mouvements de l’air. Jusque-là, rien de très surprenant, les vôtres en font autant. Mais il s’avère qu’ils peuvent également réagir aux potentiels électriques. C’est ainsi qu’une araignée « teste » les conditions de vols avant de sortir sa voile. Les études ont démontré que dans un environnement sans aucun mouvement d’air, un changement de potentiel seul était capable de déclencher un comportement d’envol, ce qui prouve bien que les araignées peuvent le détecter, et s’en servir pour décoller.
Est-ce que détecter les potentiels électriques revient à détecter les « dangers » ? En dehors d’une catégorie bien particulière, non. Est-ce que c’est un sens spécifique aux arachnides que ne possèdent pas les humains ? Certainement. Est-ce que ça pourrait permettre à Spide-man de repérer ses ennemis ? Uuuh, ça dépend lesquels, mais des fois oui.
Quoi qu’il en soit, n’oublions pas l’information essentielle : les araignées sont capables, par milliers, de voler sur des distances énormes en chevauchant les courants électriques.