Tank girl
– Tu sais, des fois je m’inquiète pour toi.
– Ah oui ! Et pourquoi ?
– Ben pour…ça, précisément.
– Pardon ? On comprend rien à ce que tu racontes, c’est agaçant.
– Voilà. Voilà ! Exactement ce dont je veux parler. C’est à croire que tu es tout le temps furax.
– Mais pfff… N’importe quoi.
– Pas du tout. J’ai l’impression qu’une fois sur deux quand tu viens me parler d’un truc c’est parce que ça t’énerve.
– S’il n’y avait qu’une chose sur deux qui m’énervait…
– T’es pas aigri, à part ça.
– Ca n’a rien à voir.
Nan ! Franchement, si c’est pour raconter ce genre d’ânerie…
– C’est quoi alors ?
– Un légitime courroux qui constitue le moteur de mon incessante croisade pour rendre les choses meilleures.
– Ah non, fais gaffe. Si tu commences à motiver tes actions par le ressentiment, ça peut mal finir.
– Certainement pas.
– Souviens-toi, la colère peut mener au pire, comme aurait dit Yod…
– Ah non, tu vas pas me resservir le personnage qui a littéralement raté tout ce qu’il a entrepris au cœur d’une soi-disant saga qui tient plus du matraquage publicitaire que d’autre chose.
– Ca y est, c’est part…
– Sans compter que si on regarde les choses avec un minimum d’honnêteté, ce dont les légions de crétins adorateurs d’un gourou bidon sont bien incapables, on se doit de reconnaître que la qualité globale de la production sur 40 ans est incontestablement inférieure à la moyenne, s’il y a 4 bons films sur 11 franchement c’est le bout du monde…
– Je suis content de voir que tu ne prends pas du tout ça à cœur.
– Mais c’est pas la question de prendre les choses à cœur ! Comment tu expliques que je suis manifestement le seul à voir que le fameux « maître » susmentionné, même pas fichu d’appréhender des bases de grammaire après plusieurs siècles d’existence, est tellement un échec sur tous les plans que le seul moyen de nous le refourguer encore est d’en faire littéralement une peluche.
– Oui mais…
– Et ça marche en plus ! Il ne s’en vendrait pas moins s’il y avait marqué « attrape-gogo » sur la boîte ! Tu veux que je te dise ?
– Ah, je sens que ça vient.
– Ca me gonfle !
– Je savais bien. Du calme.
– Non !
J’attends des excuses du monde entier, c’est pas la lune quand même ?
– Allez allez. Tiens, on va se poser avec de la musique tranquille, un bon bouquin et une bière.
– Aaaaaah, mais tu le fais exprès ! « De la musique tranquille, un bon bouquin VIRGULE et une bière », c’est pas compliqué non ? Et ne me sors pas les explications des cuistres confits dans leur manifeste ignorance de la logique la plus élémentaire.
– Oui enfin y’a des grammairiens…
– Les grammairiens ? Entre ceux qui ont abandonné la cause, les gâteux, et les paons de salons qui ne cherchent qu’à complaire aux générations de crétins que des politiques publiques lâches et veules ont laissé s’abêtir en masse dans des établissements scolaires abandonnés au nom d’une doctrine économique inhumaine…
– Je reviens dans 5 minutes.
Et il peut tenir comme ça un certain temps
– […] et résultat, évidemment, aujourd’hui à cause de ces snobs à la manque qui prétendent reconnaître les crus et pourcentages comme moi je m’y retrouve dans un nuancier de tapisserie, dans les rayons t’as une tablette au lait pour quatre de noir. Et aussi…ouh, attends, faut que je respire un peu.
– Je crois que la démonstration est faite. T’es un chouïa énervé.
– Je…tu triches…je suis essouflé…
– Mais enfin pourquoi, au fond ?
– …
– Parle plus fort, j’ai rien compris.
– C’est…pour combattre…le fascisme.
– Alors à première vue ils m’apparaissent typiquement comme des gens pas mal chafouins, les fascistes.
– Toi…tu connais pas Mariya Oktyabrskaya.
– Euh, non, et c’est dommage pour mon score au scrabble.
– Une fille bien, Mariya. Mais un rien rancunière et sujette à l’agacement.
– Quelque chose de me dit qu’on parle d’une slave ?
– Tout juste. Mariya Vasilyevna Garagulia, née le 16 août 1905 en Crimée, donc dans l’empire russe[1], au sein d’une famille de koulaks. C’est-à-dire de fermiers propriétaires de leur terre. Une situation qui n’est donc pas trop mauvaise pour des paysans, mais avec 10 gamins en tout c’est loin d‘être l’abondance pour autant, et la vie n’est pas facile.
– Ben surtout que par la suite les koulaks deviennent un peu la cible du régime après 1917.
– Oui enfin une cible. En effet, en 1930, sa famille est victime de la politique anti-koulak de Staline, et est déportée au-delà de l’Oural. Mais pas jusqu’en Sibérie pour autant.
– Youpi, on s’en sort bien.
– Presque. Mariya n’est cependant pas directement concernée, puisqu’elle a quitté sa famille pour aller à Sébastopol, où elle travaille comme ouvrière, avant de devenir opératrice téléphonique. Puis, en 1925 elle épouse Ilya Phaedorovich Riyadnenko, un officier de cavalerie.
Un moment de bonheur célébré avec toute la proverbiale exultation de l’époque.
– Dis, je n’y connais rien en russe, mais ça m’a l’air compliqué l’état civil.
– Parce que quand ils se marient, Mariya et Ilya prennent en signe de soutien au régime le nom d’Oktyabrskaya, pour octobre, ce qui renvoie évidemment à la révolution du même nom.
– Marie d’Octobre, quoi.
– Dites donc, c’est quoi cette façon d’accoler un patronyme aux relents aristocratique à une héroïne du prolétariat international ?
– Pardon, M. le commissaire politique.
– En tant que femme d’officier, Mariya se considère elle-même comme membre de l’armée, et estime qu’elle a un statut à tenir. Alors elle apprend à conduire, à pratiquer les premiers soins, et même à manipuler des armes. Elle dira ainsi plus tard que c’est son mari qui lui avait appris à lancer des grenades.
– Chérie, si on allait faire une promenade romantique sur le champ de tir.
– Oh quoi, qui n’a jamais eu un premier rendez-vous à base d’armes à feu ?
– Euh…faut vraiment qu’on discute de ton approche de la séduction.
– J’en ai trop dit. Toujours est-il qu’à l’été 40, Ilya est positionné à Chisinau, en Moldavie, avec son régiment. Ce qui signifie que quand l’Allemagne lance l’opération Barbarossa à l’été 41. Il va rapidement être au contact de l’ennemi. Par conséquent, Mariya est évacuée comme de nombreuses femmes d’officiers, et se retrouve à Tomsk, en Sibérie. Où elle participe à l’effort de guerre en reprenant ses activités d’opératrice de téléphone.
– Je suis déçu, je pensais plutôt qu’elle allait mettre à profit ses connaissances militaires.
– Ne brûle pas les étapes. En août 41, Ilya Oktyabrskaya est tué pendant des combats autour de Kiev. Mais dans ce qu’on pourrait appeler une tragique histoire de cordonnier mal chaussé, sa femme qui bosse pourtant dans les télécoms ne reçoit la nouvelle que…presque deux ans plus tard.
« Ca roule mal ? Dites donc, ça suffit les excuses. »
– La pauvre.
– Inutile en effet de dire qu’elle le prend mal. Elle est évidemment éplorée. Mais aussi…bien remontée contre ceux qui ont tué son époux. Enervée. Voire furieuse. Au sens où elle se verrait bien se venger personnellement contre l’armée allemande.
Méfiez-vous des veuves russes.
Mariya se porte donc volontaire pour rejoindre les rangs de l’armée et aller au front poutrer des nazis. Mais sa candidature est refusée, d’abord en raison de son âge, puisqu’elle a désormais 38 ans, mais aussi parce qu’elle souffre de tuberculose.
– Ca se tient.
– En effet, elle se résigne alors à un rôle de veuve éplorée qui soutient l’effort de guerre en œuvrant de son mieux et en remettant ses économies à la Grande Armée Patriotique.
– Ah bon ?
– Mon cul, oui. C’est pas ce genre de considération qui va l’empêcher d’aller trucider du boche. Comme beaucoup sinon tous les pays en guerre, l’URSS invite alors ses citoyens à reverser leurs économies à l’armée pour qu’elle puisse se fournir en matériel.
– Après leur avoir sans doute expliqué quelques années avant que c’était anti-patriotique de thésauriser.
– Possible. Mariya décide donc de proposer sa propre interprétation de ce principe. Elle et sa sœur collectent et vendent toutes leurs possessions, rassemblent leurs économies, et parviennent ainsi à accumuler la somme de 50 000 roubles. Soit le montant nécessaire au financement d’un tank T-34.
– Pas mal.
– Là-dessus, elle écrit à Staline pour lui proposer la chose suivante :
« Mon mari est mort en défendant la mère patrie. Je veux me venger des chiens fascistes pour sa mort et celles des Soviétiques torturés par les barbares fascistes. A cette fin, j’ai déposé toutes mes possessions, soit 50 000 roubles, auprès de la Banque nationale afin de construire un tank. Je demande humblement à ce qu’il soit baptisé Boyevaya podruga, et à être envoyée au front en tant que pilote de ce char. »
– Ah d’accord. Effectivement, elle l’a mauvaise. Et sinon, ça veut dire quoi Boyevaya podruga ?
– Quelque chose comme Petite amie de combat.
– On dirait que ça lui va bien. Bon et il en dit quoi Joseph ?
– Il lui répond. Le Petit Père des Peuples est d’accord, et Mariya part donc suivre un entraînement intensif de près de six mois. Ce qui constitue plutôt une exception, dans la mesure où la plupart des tankistes de l’époque étaient formés un peu à la va-vite pour être envoyés se faire truci…servir la Mère Patrie dans la gloire et le sacrifice, surtout le sacrifice, dans les meilleurs délais.
« Manœuvrer ça vient vite, mais c’est apprendre toutes les règles qui prend du temps. »
Mariya apprend ainsi non seulement à manœuvrer et piloter, mais aussi tirer et surtout réparer son engin. Elle devient ainsi la première femme de l’Armée Rouge à être qualifiée comme pilote de char. En octobre 1943, elle et son équipage de 3 hommes sont envoyés sur le front de l’Ouest.
– Euh…de l’Est.
– Bah non, pour les Soviétiques c’est le front de l’Ouest. A ce moment, sa présence aux commandes d’un char est essentiellement vue par le reste de l’armée comme un manœuvre de propagande pour mobiliser toute la population dans l’effort de guerre.
– De la propagande, en URSS ? Pendant la guerre, en plus. Nan, j’y crois pas.
– On va pas tarder à le savoir, puisque la Petit amie de combat participe à ses premières opérations le 21 octobre. Non seulement la Boyevaya podruga détruit plusieurs nids de mitrailleuses et positions d’artillerie ennemis, mais en plus Mariya sort du tank pendant les combats pour effectuer des réparations, en contradiction flagrante avec ses ordres.
« Et je les finirai à la clé de 12 si besoin. »
Ce qui lui vaut une promotion au grade de sergent.
– Je crois qu’on peut dire qu’elle n’est pas là que pour la com.
– Non. Un mois plus tard, les 17 et 18 novembre, le tank prend part à la bataille de Novoye Selo en Biélorussie. Outre les combats, elle doit à nouveau sortir pour effectuer des réparations, puis est blessée. Ce qui la conduit à attendre deux jours avant de pouvoir être évacuée. Ses officiers la citent alors en exemple, et elle devient véritablement une figure mise en avant par l’Armée Rouge.
Une fille canon.
Pendant ce temps, Mariya, pas calmée pour un kopek, écrit à sa sœur pour lui dire combien elle est contente de pouvoir poutrer ces enflures, et que par moment elle est « tellement vener’ qu’[elle] n’arrive plus à respirer ».
– Elle va finir à Berlin.
– Ca aurait sans doute été intéressant. Elle retrouve son équipage en janvier 1944, en prenant part à l’offensive Leningrad-Novgorod. Pendant des combats dans le village de Vitbesk, la Boyevaya podruga est à nouveau touchée, et Mariya sort pour réparer.
– Comme d’hab’.
– Oui, sauf que cette fois elle se prend des éclats dans la tête et est évacuée dans le coma vers un hôpital du côté de Kiev. Elle y reste inconsciente pendant deux mois, et reçoit l’Ordre de la Grande Guerre Patriotique du Premier Degré. Ce qui n’améliore malheureusement pas sa condition physique.
– Ah nooon…
– Malheureusement si. Le 15 mars, elle meurt pendant son transfert vers Moscou. C’est donc à titre posthume qu’elle est décorée de l’Ordre de Lénine et faite Héroïne de l’Union Soviétique. La première à recevoir cet honneur. Mais la vengeance de la Petit amie de combat se poursuit.
– Elle est tellement en colère que son fantôme prend les commandes, c’est ça ?
– J’aime bien l’idée, mais non. Le nom de Boyevaya podruga est transmis d’un tank à l’autre au fur et à mesure qu’ils sont détruits. Le quatrième du nom atteint ainsi Kaliningrad. Et après la guerre, le régiment de la Garde Blindée instaure la tradition de toujours avoir dans ses rangs un char qui porte ce nom.
– Histoire que les ennemis de la Mère Patrie soient prévenus.
– Voilà. Et reconnais que ça fait une histoire intéressante, un film qui pourrait valoir le coup. Mais non, évidemment, parce que les singes mal dégrossis qui peuplent les studios, ces demeurés congénitaux, préfèrent encore nous chi…
[1] A l’époque, tout ça, venez pas lire des choses dans ce constat historique, hein
3 réflexions sur « Tank girl »
Les koulaks, ce ne sont pas eux qui faisaient pousser de la coca ?
Oui, ils ont même monté un gang
« Oh une armée providentielle, gratuite et clonée sur un chasseur de prime, assassin de sénatrice et bras droit du chef de la rébellion : banco, je dis ! »