Tempête dans un verre d’…nan, pas d’eau
– Dis donc, un test comme ça, si je te demande de me lister les grandes batailles de la Première Guerre Mondiale.
– Eh bien je dirais Verdun, Paschendale, ou Gallipoli, spontanément.
– Donc des théâtres européens, terrestres, et qui ont inspiré des morceaux de metal.
– Avoue que c’est pas mal comme combinaison pour parler de la Première Guerre Mondiale.
– J’en conviens. Cependant le conflit ne s’est pas limité à cela.
– Don tu veux me parler d’une bataille…navale, et extra-européenne ?
– Exact moussaillon !
– Damned, le retour du capitaine Sam !
– Absolument mon garçon. Et pas UNE bataille navale, LA première bataille navale de la Grande Guerre. Qui s’est jouée…
– Dans l’Atlantique ?
– Non.
– La Méditerranée ?
– Non.
– Euh…la Mer Noire, la Caspienne, la Baltique ?
– Toujours pas.
– Pas le Pacifique quand même ?
– Quand même pas non.
– L’océan arctique ?
– Tu n’y es pas du tout.
– Mais enfin où ?!
– Le lac Nyasa.
– Un lac ?
– Absolument. Mais pas n’importe lequel quand même.
– Ca ne me dit rien, je lac Nyasa.
– Parce qu’il a changé de nom. Aujourd’hui c’est le lac Malawi.
– Oh… le lac Malawi, sauf erreur le 3ème plus grand en Afrique, et le 9ème du monde.
– En termes de superficie, oui, mais pour ce qui est du volume c’est le 4ème plus important sur la planète. Il fait entre 560 et 580 km de long, pour 75 km de large au plus.
– Et donc, bataille navale ?
– Absolument. Le lac constitue la frontière entre le Malawi et la Tanzanie. En 1914, le Malawi s’appelait Nyasaland, et était aux mains de la Couronne britannique. Quant à la Tanzanie, elle faisait partie de l’Afrique Orientale Allemande, qui appartenait…bon ben tu te doutes.
– Je vois. Le Royaume-Uni et l’Empire allemand se faisaient face. J’imagine donc que les eaux du lac étaient sillonnées par deux flottes importantes chargées de représenter l’autorité puissante de leurs Etats respectifs.
– Euh…pas trop importantes, les flottes, en fait.
– Ah. C’est-à-dire ?
– Deux vaisseaux.
– Chacune ?
– En tout. Le HMS Gwendolen côté britannique, et le SS Herman von Wissman pour les Germains. Le premier était commandé par le capitaine Rhoades, et le second par le capitaine Berndt.
– Deux meneurs d’hommes, j’imagine, rompus au combat et doués du charisme nécessaire pour mener à la bataille leur équipage.
– Alors c’est possible, mais en l’occurrence, leurs équipages se limitaient à quelques hommes.
– Attends, je voudrais être sûr, tu me parles essentiellement de deux gars, dans deux bateaux ?
– C’est ça.
Mais attention hein, ils se faisaient souvent face.
– Ha ha ! Je vois le tableau, je les imagine se croisant silencieusement au milieu des eaux, se défiant par le regard.
– Manifestement, ils ont fait ça un moment, au point d’arriver tous les deux à une première conclusion, à savoir que patrouiller le lac avec leurs deux rafiots ne servait pas à grand-chose, et que globalement ils avaient tous les deux tiré le gros lot dans la loterie de l’affectation la plus inutile et ennuyeuse de leur marine respective.
– Je vois, pas la peine de jouer à la guerre.
– Non, l’exercice était plus ridicule qu’autre chose.
D’où la seconde conclusion.
– A savoir ?
– Quitte à se croûtonner en Afrique australe à plusieurs milliers de kilomètres de l’amirauté, autant passer le temps. En vertu de quoi ils étaient devenus potes, et passaient régulièrement la nuit à picoler ensemble.
– Tout ça c’est bien, mais quand même, j’imagine que la guerre venue la situation a un peu changé.
– Oui, mais encore fallait-il qu’ils soient au courant. Les nouvelles mettent un peu de temps à arriver. Par conséquent, le 16 août 1914, le capitaine Rhoades est le premier à recevoir l’ordre de couler, brûler, ou détruire la flotte ennemie.
– Ouais, enfin LE bateau ennemi.
– Pareil. Il s’empresse donc de prendre la barre et de se diriger vers le Herman von Wissman. Qui se trouvait en cale sèche pour réparation. Arrivé à un peu moins de 2 km, il tire un obus qui met son adversaire hors d’état de naviguer. Un seul.
– Il a dû être furax Berndt.
– Il a eu la seule réaction logique. Il a sauté dans un canot et furieusement ramé vers le Gwendolen. Puis arrivé à portée de voix, il a copieusement engueulé son vis-à-vis, en lui demandant littéralement s’il était bourré.
– De là à croire que c’était pas la première fois…
– Peut-être. Pour s’expliquer, Rhoades invite Berndt à bord. Là, il lui apprend que leurs deux pays sont en guerre, et lui annonce qu’il se saisit officiellement du seul et unique canon du Herman von Wissman.
– L’armada allemande est désarmée !
– C’est ça. Berndt émet une protestation formelle, et les deux camarades en concluent que le premier conflit mondial est terminé en ce qui les concerne. Et qu’ils peuvent donc reprendre leurs bonnes habitudes alcoolisées.
– Ils allaient quand même pas laisser cette histoire gâcher les choses entre eux.
– Exactement.
– Bon ben entre nous si la guerre dans son ensemble avait pu se régler comme ça.
– On est bien d’accord. Ce qui n’empêcha cependant le Times de titrer que la bataille du lac Nyasa constituait la première victoire navale de l’Empire dans le conflit. Techniquement vrai.
2 réflexions sur « Tempête dans un verre d’…nan, pas d’eau »
Bientôt un TPDUH sur l’odyssée de l’Emden ?
Peut-être un peu longue, l’histoire de l’Emden ? Ou alors juste le raid sur Penang ? Qui se finit à Sabang pour deux marins français. Un des deux y est toujours.