C’est QI ce type ?

C’est QI ce type ?

– Aaaaah, mais c’est pas vrai !

– Quoi ?

– J’ai encore…Ben voilà, j’ai gagné. J’ai oublié mes clés chez moi. Je me suis enfermé dehors.

– Ca arrive…

– Pour la troisième fois ?

– A certains plus souvent qu’à d’autres ?

– Non mais je suis quand même le dernier des glands.

– Attention, si tu continues je vais devoir arrêter d’être poli et te dire que c’est effectivement ce que je pense aussi.

– Tu peux. J’aimerais bien croire le contraire, mais en vrai je dois avoir un QI de mollusque.

– Oulah, du calme. D’une, tu peux très bien être brillant et distrait. De deux, et même avec toutes les pincettes qu’il convient d’utiliser pour manipuler ce « score », tu n’as pas forcément envie d’avoir un QI qui crève le plafond.

– Ben quand même, être un génie, comprendre l’univers, changer le monde, influer sur le cours de l’humanité…

– Ou pas. Sans aller jusqu’à Theodore Kaczynski, qui a commencé avec un QI exceptionnel et une entrée à Harvard à 16 ans pour finir en allumé qui tuait des gens en envoyant des bombes par la poste, disposer de facultés intellectuelles hors du commun n’est pas forcément synonyme de découvertes, de postérité, ou même de belle carrière. Bien sûr, il y a des Léonard de Vinci ou des Albert Einstein, mais par définition ce sont ceux dont on se souvient. Regarde William Sidis.

– Qui ça ?

– Précisément. William James Sidis, l’homme le plus intelligent du monde.

Oui, mais si ça se trouve il était super-moch…merde.

– Carrément ?

– Ecoute, à lire sa biographie ça en devient presque ridicule. William est le fils de deux immigrants ukrainiens juifs, qui fuient les pogroms pour venir s’installer aux Etats-Unis. Ils débarquent à New York à la fin des années 1880, et ne parlent même pas la langue.

– Ah, je sens venir une histoire de la misère et de l’abnégation, les petits boulots ingrats pour faire bouillir la marmite, l’immigré rejeté dans les bas-fonds de la grande ville.

– Euh… Alors ils deviennent tous les deux médecins en quelques années, et son père est un chercheur assez reconnu en psychologie.

– Ok, donc on ne part déjà pas d’une famille de crétins.

– Non, d’ailleurs ses parents, en particulier son géniteur, ont précisément des idées assez élaborées sur la même meilleure façon de cultiver l’intelligence d’un enfant, au point que certains ont considéré que leur fils leur avait un peu servi d’expérience. Son père pense qu’en s’y prenant bien, un enfant de dix ans peut en savoir autant qu’un élève qui sort du lycée. Si l’on en juge par son fils, il était largement en-dessous de la vérité.

– Du genre ?

– Accroche-toi. William nait en 1898. Il marche  à 8 mois. A un an, il parle. A un an et demi, il lit. Et pas des publications pour gamins, le New York Times. Ca doit finir par le lasser, parce qu’à 5 ans il se met à Homère. En version originale.

– Mὰ τὸν Δία !

– Exactement. A 8 ans, il parle anglais, français, russe, hébreu, latin, grec, et turc. Et aussi arménien, parce que c’est quand même un enfant et des fois ils font des trucs faut pas chercher à comprendre. Du coup il invente sa propre langue, à partir des langages romans : le Vendergood. Qui comprend 8 cas et utilise la numérotation en base 12, histoire de pimenter un peu.

C’est pas un costume de marin, c’est une robe de professeur.

– Ah ben oui, bien sûr, la base 12.

– Le petit William commence à devenir une célébrité pour ses prouesses. Mais il ne s’arrête pas là. A 9 ans, il se présente à Harvard. Mais ça ne marche pas…

– Non mais quand même, faut pas pousser.

– Parce qu’il est considéré comme trop jeune et immature, même s’il réussit complètement les tests. Du coup il doit ronger son frein jusqu’à 11 ans. En 1910, il donne un cours sur les objets géométriques à quatre dimensions devant le Club de Mathématique d’Harvard.

– Attends, 1910…Il a 12 ans.

– C’est ça. Le Club de Math d’Harvard n’attend que toi. Ses professeurs soulignent qu’il n’est pas une forme ou une autre de singe savant qui se contenterait d’emmagasiner des quantités astronomiques de savoirs, mais qu’il dispose réellement de facultés de raisonnement hors du commun. Ce qui lui permet d’être diplômé à 16 ans.

– A 16 ans je…

– Tu vas te faire du mal. William Sidis est alors non seulement une exception académique, mais aussi un phénomène médiatique. Il reçoit le sobriquet d’homme le plus intelligent du monde[1], et on lui prête un QI compris entre 200 et 250.

– C’est…bien, j’imagine ?

– La moyenne est estimée entre 85 et 115. Ce n’est pas bien, c’est littéralement unique. Personne n’a jamais atteint 200 points.

– D’accord. Et donc à quoi s’attelle-t-il ?

– Il part préparer un doctorat et enseigner les maths de première année à l’université de Houston. Mais ça ne se passe pas très bien, il semblerait que ce ne soit pas évident de donner des cours à des élèves plus vieux que soi. William laisse tomber les maths, et retourne étudier le droit à Harvard. Cependant il ne finit pas son cursus.

– Ben alors ? Cancre !

– Pire que ça même.

– Qu’est-ce que tu veux dire ?

– En 1919, il est arrêté pour sa participation à une manifestation d’inspiration socialiste, qui a dégénéré. Il déclare lors de son procès que le capitalisme et la religion sont la source de tous les maux de la société, ce qui lui vaut une condamnation à 18 mois fermes.

Pendant lesquels lui et son camarade de cellule élaborèrent de nombreux plans d’évasion.

A noter que la presse se fait l’écho de son procès, puisque tu imagines que voir l’homme le plus intelligent du monde devant un tribunal fait sensation.

– Je me doute.

– A l’issue de sa peine, William déclare qu’il veut vivre loin de la foule et de l’attention publique, ce qu’il considère être la « vie parfaite ». Il se brouille avec ses parents, et ne vit que de petits boulots sans intérêt. Il change régulièrement de ville, et de nom, histoire de rester tranquille. Il se prend d’une véritable passion pour les transports en commun, invente à cette occasion le terme de péridromophiile, et collectionne les tickets de tramway. Il écrit d’ailleurs un bouquin sur le sujet.

– Sur les tickets de tram ? Super, j’ai trop envie de le lire.

– Non mais sinon tu as le choix. Il publie également sur l’anthropologie, l’histoire des Amériques (sur 100 000 ans), ou la philologie. En 1925, il sort ainsi un bouquin de thermodynamique et de cosmologie dans lequel il évoque la possibilité des trous noirs, avant tout le monde. Sachant que comme il a utilisé toute une ribambelle de pseudonymes, il est difficile de tenir une liste complète de toutes ses œuvres.

– D’accord, mais si je te suis bien, on ne peut pas pour autant dire que ses publications ont fait date.

– Si tu cherches une contribution majeure de Sidis à la science, non. Il a bien obtenu en 1930 un brevet pour un calendrier rotatif perpétuel qui tient compte des années bissextiles, et Dieu sait que les histoires de calendrier c’est compliqué, mais pour autant il n’a pas révolutionné notre compréhension du monde. C’est d’ailleurs un peu ce qui motive un journaliste du New Yorker, qui le contacte en vue d’un article dont le titre est littéralement « Que sont-ils devenus ? ».

– Ca s’annonce bien.

– Tu ne crois pas si bien dire. Sidis reproche à l’article de le présenter sous un jour peu favorable, comme vivant une vie de raté un petit peu barge. Il intente donc un procès, qui dure. Un accord finit par être trouvé en 1944.

– C’est déjà ça.

– Et il était temps.

– Pourquoi ?

– William James Sidis meurt la même année, victime d’une hémorragie cérébrale.

– Ca chauffait trop.

« Merde, y’a eu une fuite, là. »

– Et c’est ainsi que « l’homme le plus intelligent du monde » a disparu sans postérité (il ne s’est pas marié et n’a pas eu d’enfant, en fait les relations intimes ne semblaient pas l’intéresser), coupé de sa famille, et sans jamais réaliser toutes les promesses que son enfance laissait imaginer. Au point d’être inconnu aujourd’hui.

« Et vous aussi, à votre tour, si vous vous en donnez les moyens, vous pouvez ne rien accomplir. »

– Uh, donc en fait ça veut dire que si je…

– Non. S’enfermer dehors trois fois, t‘es vraiment juste un gland.


[1] Ou encore « l’exact opposé d’un développeur Blizzard en charge des personnages Overwatch » (oui, c’est une croisade personnelle, j’ai pas fini).

5 réflexions sur « C’est QI ce type ? »

  1. Il n’a peut-être rien accompli et n’est pas passé à la postérité, mais il a mené l’existence qui lui convenait. Puisqu’il voulait éviter l’attention publique, il n’allait pas se lancer dans une grande carrière. Comparé à ceux qui sont brillants et reconnus mais qui vivent misérables entre un travail épuisant et une vie de famille qui leur pèse, je trouve qu’il a fait le bon choix.

  2. « Il déclare lors de son procès que le capitalisme et la religion sont la source de tous les maux de la société »:
    Il semble que beaucoup de gens intelligents partagent ce point de vue (ce qui ne veut pas dire que tous ceux qui partagent ce point de vue sont intelligents).

  3. Une petite remarque sur les QI de 200 ou +: cela ne signifie pas grand-chose, voire rien.
    le QI est une valeur statistique, pas une mesure, il indique comment on se place par rapport à la moyenne (100) avec un sigma (écart-type) arbitraire de 15 (QI standard). Ainsi un QI de 130 ou + signifie 2 sigmas au-dessus de la moyenne, et inclut environ 2.5% de la population.
    Un QI de 240 signifierait 8 sigmas, soit une probabilité absolument infime (6 sigmas = 1 personne sur 500 millions). Il n’y a aucune donnée statistique permettant d’établir une telle valeur.
    NB: d’après Wikipedia[en], ce serait la soeur de Sidis qui aurait fourni ce chiffre fantaisiste de 200+.

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