Coup de soleil : avis de tempête
Maintenant que tout le monde est bien au fait de l’activité du Soleil, il est temps de voir comment elle pourrait sérieusement nous secouer. Et quand on dit sérieusement, c’est un euphémisme.
– Le problème, c’est que quand le Soleil nous envoie une grosse décharge de plasma, que ce soit via une éruption, une éjection coronale, ou une rafale de vent, y’en a beaucoup plus qui passe. Et là on va revenir à la météo, parce ce que la conséquence c’est un orage, ou une tempête, géomagnétique. Tout le champ magnétique terrestre est perturbé, mais ça ne s’arrête pas là. Sous la magnétosphère, l’ionosphère et la thermosphère sont aussi touchées. Ce sont les couches supérieures de l’atmosphère, en dessous de 800 km d’altitude. Les courants dans l’ionosphère et les perturbations dans la densité de la haute atmosphère peuvent ralentir et freiner les satellites en orbite basse.
– Les freiner, physiquement ?
– Oui. Et c’est pas tout. Les équipements en orbite peuvent connaître des anomalies de fonctionnement, des dégâts électroniques, des dégâts sur les panneaux solaires, ou des pannes des capteurs. Pour les astronautes, les limites d’exposition aux rayonnements peuvent être atteintes en quelques heures. Les communications vers la surface sont perturbées.
– On a un problème, mais Houston n’entend pas.
– Voilà. Un peu en-dessous, la tempête magnétique va ralentir ou bloquer les transmissions radio, et entraîner des erreurs dans les systèmes de positionnement. Les avions qui passent par les pôles (7 500 plans de vols par an) atteignent des latitudes où les communications satellites sont impossibles, doivent donc passer par la radio. Pour eux, il y a un risque de black-out radio.
– Gênant.
– Enfin, au niveau du sol, les réseaux électriques sont perturbés, voire sautent en raison de surtensions, et les gazoducs et oléoducs sont endommagés, parce que ça créé des courants électriques dans les grands conducteurs. Sachant que si l’événement solaire lui-même ne dure au plus que quelques heures, les effets sur l’environnement magnétique terrestre peuvent être sensiblement plus longs.
– Attends, tu en parles comme si c’était déjà arrivé. Moi ça ne me dit rien.
– Oh mais oui. On peut même considérer que c’est fréquent. Cependant c’est avec le développement des technologies modernes que les effets se font vraiment sentir. Pour ne remonter qu’à partir du 20ème siècle, on peut citer une éjection coronale intervenue en mai 1921, et qui affecte la Terre entre le 13 et 15. Des aurores boréales sont visibles au-dessus du sud Etats-Unis, c’est la partie sympa. La tempête provoque un ralentissement puis une panne du système télégraphique américain, tandis que les transmissions radio sont elles renforcées. Les télégraphes européens et de l’hémisphère sud sont également touchés, ainsi que les câbles téléphoniques sous-marins.
– Ah oui, jusqu’au fond de l’océan, quand même.
– En 1967, le Soleil aurait pu provoquer une guerre nucléaire.
– Pardon ?
– Le 23 mai 1967, une éjection coronale perturbe les radars d’alerte précoce du commandement de la défense aérospatiale nord-américain (NORAD). L’incident est attribué aux Soviétiques, et s’en prendre ainsi aux radars est considéré comme un acte de guerre. Les Etats-Unis placent alors des bombardiers nucléaires en alerte, avant que les météorologues solaires du NORAD désamorcent la crise. Sachant que s’ils avaient décollé, il aurait peut-être été compliqué de communiquer avec eux, précisément en raison des perturbations radio.
– Ok, c’est utiles les météorologues solaires.
– En août 1972, un flux particulièrement important de particules chargées solaires traverse la zone entre la Terre et la Lune, juste entre deux missions Apollo (16 et 17). Si des astronautes avaient étaient exposés alors qu’ils voyageaient en dehors du champ magnétique terrestre, il y avait un risque vital potentiel pour eux.
– Des astronautes qui se prennent un gros coup de rayonnement spatial, c’est pas l’histoire des 4 Fantastiques ?
– Tout juste.
– Je continue. Le 10 mars 1989, une éruption solaire massive expulse environ un milliard de tonnes de plasma vers la Terre. Le nuage de plasma arrive au-dessus de nos têtes le 12. Les premiers effets de l’éruption se font ressentir sur les communications radio. Le signal de Radio Free Europe en Russie est ainsi fortement perturbé.
– Laisse-moi devenir, on soupçonne les Soviétiques.
– Ben évidemment. Quand le nuage de plasma arrive, nous avons de fort chatoyantes aurores boréales, visibles jusqu’en Floride et à Cuba. Mais aussi des courants électriques sur l’Amérique du nord. A 2h44 le matin du 13 mai, le réseau électrique québécois flanche en 2 minutes. Toute la province est en panne pendant 12 heures. Les écoles sont fermées, de même que les entreprises, et le métro et l’aéroport de Montréal. Les réseaux électriques du nord des Etats-Unis ont aussi eu chaud, mais ont tenu. Dans le même temps, plusieurs satellites ont rencontré des problèmes, et Discovery a connu des soucis sur certains capteurs.
– Tabarnac !
– On passe en 2003. Alors que l’activité solaire était plutôt en cycle bas, elle connaît une série de 17 éruptions à partir de la mi-octobre, avec éjections coronales. La Terre est touchée entre le 19 octobre et le 7 novembre, d’où l’expression de tempête magnétique d’Halloween.
De nombreux avions ont dû être redirigés, les systèmes satellites et de communication ont été perturbés, et cette fois c’est la Suède qui connaît une panne électrique géante pendant environ une heure. Et bien sûr, y’a des aurores boréales.
– Fichtre, je n’en avais pas idée.
– Oui, mais tout ça c’est de la petite bière.
– Quand même !
– Nan, je t’assure. C’est rien. La plus grosse tempête géomagnétique enregistrée à ce jour remonte à 1859. C’est l’événement Carrington.
– Un rapport avec un drame dans un lycée à cause d’une fille qui a des pouvoirs…
– Non, ça c’est Carrie, tout court. En août 1859, sans doute autour du 25-26, une éruption solaire se produit. Par conséquent, le 29, des aurores boréales sont observées jusqu’au nord de l’Australie. Des aurores australes, du coup. Entre le 28 août et le 2 septembre, les astronomes notent de nombreuses taches solaires. Le 1er septembre, d’eux d’entre eux, des amateurs, font chacun de leur côté la même observation. Richard Carrington et Richard Hodgson sont ainsi les premiers à voir et documenter une éruption solaire, même s’il n’y en a qu’un qui lui laisse son nom. Elle provoque une éjection coronale, qui atteint la Terre exceptionnellement vite, en moins de 18 heures.
– Comment ça se fait ?
– Celle qui était intervenue quelques jours avant avait dégagé le passage, en quelque sorte. Le nuage était donc particulièrement rapide, et massif. Il écrase littéralement la magnétosphère, qui passe d’une épaisseur d’environ 60 000 km à quelques milliers, voire moins. Jusqu’à 5 % de la couche d’ozone auraient aussi sauté.
– Ouch.
– Comme d’habitude, la tempête provoque des aurores boréales très bas dans l’hémisphère nord, au sens très bas vers le sud. Elles sont ainsi visibles jusqu’en Colombie. Aux Etats-Unis, elles sont suffisamment lumineuses pour réveiller des gens en pleine nuit. Ils peuvent même lire leur journal à leur lumière. Tous les systèmes télégraphiques en Europe et aux Etats-Unis tombent en panne. Les poteaux font des étincelles, et certains opérateurs sont même électrocutés. D’autres reçoivent des signaux alors même qu’ils ont coupé le courant.
– Eh bien je dirais coup de bol qu’en 1859 on n’avait que le télégraphe qui pouvait griller.
– Tu ne crois pas si bien dire. Pour te donner une idée de la puissance du truc, la NASA a annoncé le 23 juillet 2012 avoir observé la plus puissante éruption solaire jamais enregistrée depuis 1859. Qui de toute évidence n’a pas touché la Terre, parce qu’on s’en souviendrait encore, même si on en entendrait peut-être pas parler sur Internet.
– Ah ben je pense que si.
– A condition qu’on ait à nouveau Internet. La NASA a indiqué que si elle nous avait touchés, elle aurait pu « renvoyer la civilisation au 18ème siècle », avec un coût estimé à plus de 2 000 milliards de dollars et plusieurs années pour qu’on s’en remette.
– On l’a échappé belle.
– Pour cette fois. En 2014, des astronomes estimaient qu’il y avait 12 % de chance pour que la Terre soit touchée par un truc pareil dans les dix années à venir.
– Formidable. Eh bien sur ces bonnes paroles…
– Attends, c’est pas fini. Je ne t’ai pas parlé des Evénements à Protons Solaires.
– C’est quoi. Encore. Ce truc.
– Solar Proton Event, c’est le nom de mon prochain groupe. Ce sont des éruptions solaires extrêmes, qui balancent dans l’espace des protons à haute énergie. On n’en a pas connu à l’époque « moderne », mais trois ont été identifiées dans des temps un peu plus anciens, en -660, 774/75, et 993/4. Elles sont répertoriées grâce à des analyses d’isotopes radioactifs dans des carottes glaciaires prélevées au Groenland et les troncs des arbres. Celle de -660, la plus récemment découverte, a été plus intense que tout ce qu’on a mesuré depuis 70 ans.
– Y compris celle de 2012 ?
– Y compris. L’éruption de 774/775 est appelée l’Evénement Charlemagne, parce que le principal truc répertorié à l’époque c’est que le Grand Charles (non, l’autre) bottait les fesses de Lombards.
Les Chroniques Anglo-Saxonnes mentionnent cependant un grand « crucifix rouge » apparu dans le ciel à la nuit tombée, donc sans doute une aurore boréale, mais visible en Europe. Les analyses dans les arbres indiquent une augmentation de 1,2 % de la concentration en carbone 14. L’Evénement Charlemagne est le plus fort événement solaire connu à ce jour.
– Il est impérial, quoi.
– L’événement de de 993/994 mérite quand même d’être mentionné aussi, parce qu’il a provoqué des aurores boréales visibles en Corée, en Allemagne, et en Irlande. Et aussi parce que les analyses au carbone 14, toujours, montrent qu’il aurait même pu s’accompagner d’une courte émission de rayons gamma solaires.
– Et donc y’a pas eu de tes trucs à proton depuis 994 ?
– Rien de si puissant.
– Rassurant.
– Sinon, tu as encore les super-explosions solaires. On pensait jusqu’à récemment que seules les étoiles jeunes pouvaient en produire, mais semblerait que ça arrive aussi aux étoiles matures, tous les 2 à 3 000 ans.
– Uh. Et tu dis que ça pourrait coûter des milliers de milliards en réparation.
– Ben oui, imagine que les satellites, les systèmes de communication, et les réseaux électriques tombent en carafe.
– Bon, ben une sonde solaire c’est rien, alors.
– C’est ça. C’est un investissement.
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