Des donjons, des nazis, des tanks : c’est fête.

Des donjons, des nazis, des tanks : c’est fête.

– C’est une histoire avec des nazis ?

– Oui.

– Mais genre l’élite de l’élite des SS ou des nazis lambdas ?  

– Des nazis lambd… ? T’as de ces expressions. Mais les deux en l’occurrence.

– Et de vaillants GI’s Américains ?

– Oui.

– Et les Américains ont poutré les vilains nazis SS comme Captain America ?

– Alors en fait les nazis et les Américains ont tiré ensemble sur les SS.

– J’aime bien les plans qui se déroulent sans accr… Attends, quoi ?

– Comme je te le dis. Des Américains se sont alliés à des soldats de la Wehrmacht pour tirer sur une division de SS.

– Mais qu’est-ce que c’est encore que cette fable.

– Je suis tout ce qu’il y a de sérieux. Bon, d’accord, ça date du 5 mai 1945 et ça sent déjà sérieusement le pâté pour le IIIe Reich depuis quelques mois, mais oui : un concours de circonstance assez fabuleux a fait que des soldats allemands se sont rangés aux côtés de soldats américains pour tirer sur d’autres soldats allemands.

– Oh.

– Sans compter qu’une gloire du tennis français leur a filé un coup de main.

– Tu te fous de moi, c’est ça ?

– Tu veux que je m’explique, pour le dire autrement ?

– Nan. Pour le dire autrement, soit tu me racontes, soit je te fais manger le paillasson. Celui où les chats ont pissé.

– D’accord, d’accord. Bon : on est donc début mai 1945, Hitler vient de s’envoyer lui-même en enfer d’une balle dans la bouche quelques heures après son mariage et …

– Il y aurait un lien de causalité, tu veux dire ?

– Certainement pas mais son union avec Eva Braun reste en tout cas comme l’une des plus courtes de la Seconde guerre mondiale. C’est de toute façon sans intérêt, cette histoire n’a rien à voir avec Berlin : on est au Tyrol autrichien.

– Tralalaïtou.

– Braaaaavo tout de suite les clichés les plus éculés, je te félicite pas. Il reste effectivement, on est au pays des culottes de peau à gros boutons dorés.

– Attends sur cette histoire de clich…

« Prost ».

– T’occupe. Pour faire vraiment, mais alors vraiment tyrolien, on est devant un faux château médiéval, le château Itter. Enfin entendons-nous : il y a bel et bien un château sur le site depuis le Moyen Age, mais les paysans de l’époque post-napoléonienne en avaient fait une carrière de pierre. Le bâtiment des années 40 est une reconstruction à flanc de colline de la fin du 19e, reconstruite en pleine vogue médiévaliste et assortie de quelques éléments néo-gothiques, because why not.

– Et on y fait quoi, dans ton donjon tyrolien ?

– On n’y a pas fait grand-chose pendant un bout de temps, à part y loger l’association allemande de lutte contre le tabac. Mais depuis le début de la deuxième guerre, le lieu sert de prison pour VIP. C’est là qu’on vient flanquer quelques figures politiques capturées par les Allemands au gré de leurs attaques contre à peu près toute l’Europe. Et c’estb d’ailleurs pour ça qu’on y trouve un paquet de Französen. Paul Reynaud, le dernier président du conseil de la IIIe République, Daladier, des généraux comme Weygand et Gamelin…

– Ah oui, les meilleurs, ces deux-là.

– Ne sois pas sarcastique, Sam. Weygand avait eu le mérite de lâcher Vichy et Gamelin…. Oui, bon, rien, pour Gamelin. Dans cette collection de Pokémon, les Allemands ont fait quelques autres belles prises : le tennisman Jean Borotra, Michel Clemenceau, le fils de Georges, et même la grande sœur du général de Gaulle.

– C’est… improbable.

– D’autant que tu peux rajouter une partie des épouses et des époux de tout ce petit monde étrange, mélange de vieilles badernes et d’anciennes gloires, d’opposants plus ou moins politiques et de personnalités plus ou moins has been, dont certains ne peuvent d’ailleurs pas s’encadrer.

– L’ambiance doit être gaie.

– Oh oui, surtout qu’on est dans la région de Dachau – tout près, en fait : ce sont des femmes du camp de concentration qui viennent servir les prisonniers et la petite garnison qui leur sert de geôliers. Depuis la fin avril, Eduard Weiter, le commandant du camp s’est d’ailleurs réfugié au château. Une ordure obèse, d’après Paul Reynaud. 

– S’il y a une morale à ton histoire, j’imagine qu’il a fini à Nuremberg ?

– Non, il a fini enterré en douce dans le bois du château parce qu’il s’est mis une praline dans le chignon le 2 mai, jugeant que ça valait sans doute mieux que ce qui l’attendait en cas de capture. Le curé du village lui a refusé le cimetière et les derniers sacrements, officiellement à cause de son suicide. On peut imaginer que sa dernière décision, qui avait consisté à donner l’ordre d’exécuter tous les prisonniers de Dachau, n’y est pas totalement pour rien. Il n’a pas forcément été obéi d’ailleurs, ce qui aura permis aux soldats américains de découvrir l’horreur concentrationnaire brut de décoffrage, dans toute son horreur. Au point que les soldats ricains craqueront et abattront sur place plusieurs gradés du camp et quelques dizaines de gardes.

– Oh ben ça peut se comprendre.

– Ça reste techniquement un crime de guerre mais disons qu’il y a des circonstances où tout le monde regarde ailleurs, à commencer par l’état-major américain qui n’a jamais poursuivi un seul des soldats américains impliqués. Bref : après le camp de Dachau fin avril, une unité de reconnaissance de quatre Sherman du 23e bataillon de la 12e division blindée du XXIe corps américain, sous le commandement du capitaine Jack Lee, reprend sans combattre le château Itter à quelques défenseurs passifs. Rappelle-toi qu’on parle des tous derniers jours de la guerre : c’est confus et la fidélité à un régime aux abois n’est plus nécessairement la première préoccupation d’une partie des troupes, surtout chez les soldats de base. Mourir pour la Heimat, déjà, bon. Mais mourir pour un 3e Reich dont le Führer vient de se suicider, faut peut-être pas trop leur en demander, aux gars de la Wehrmacht.

– Même aux officiers ?

– Même. Et pour cause, ils se sont tous barrés. Le seul gradé allemand du secteur qui s’appelle Joseph « Sepp » Gangl , n’a pas 34 ans et a déjà rallié la résistance autrichienne en secret depuis quelques jours. Franchement, c’est la prise de château-fort la plus paisible depuis quelques siècles.

– Et je ne vois toujours pas où ça nous mène.

– Oh ça vient. Le problème du jeune capitaine Lee, c’est que tout le monde n’est pas dans le même état d’esprit. Les montagnes sont truffées de quelques cinglés jusqu’aux boutistes dans les parages, des durs de de durs, des Waffen SS qui tiennent encore la petite ville la plus proche du château, Wörgl. Pendant que Lee se cale les miches dans son fauteuil en sirotant une bouteille de schnaps, la 17ème division de Panzer des Waffen SS se prépare à reprendre le château d’Itter.

– Ah.

– Oui. Foutus pour foutus, les éléments les plus fanatisés de la SS sont bien décidés à ne rien lâcher. Le 5 mai, ils décident de réveiller le capitaine Jack Lee en fanfare : à 4 heures du matin, c’est le tir des K98S et des calibres 30 qui lui sert de réveille-matin.

– Et tu ne peux même pas appuyer sur snooze.

– Nope. Il ne lui faut pas longtemps pour comprendre que ça chie dans le pot de colle. Lee saute de son plumard et comprend que c’est un peu la merde dans la mesure où il dirige une unité de reconnaissance, pas une division. Autrement dit, il n’a que quelques hommes à sa disposition. 14, pour être précis. En face, ils sont 100 à 150.

– Ce qui craint.

– Ben oui et non. Lee réalise qu’il y a un paquet d’autres habitants, dans le château.

– Ben qu…

– Les anciens prisonniers français d’une part, et les quelques soldats allemands qui leur ont succédé dans les cellules du château d’autre part. Et que se dit Lee ?

– « Oh fuck oh fuck oh fuck oh fuck » ?

– Nan. Il se dit que c’est le moment ou jamais de relire Sun Zu. Et que nous dit Sun Zu en de telles circonstances ? Que « remporter cent victoires après cent batailles n’est pas le plus habile. Le plus habile consiste à vaincre sans combat. »

Ou comme le dirait un autre grand stratège, « on fonce dans le tas et puis on verra bien ».

– Tu me fais marcher, là.

– Oui. Et d’une, Jack Lee n’a probablement jamais entendu parler de Sun Zu. Et de deux, Sun Zu aurait probablement estimé que le plus habile dans ce genre de circonstances était de se jeter dans les chiottes et de tirer la chasse en croisant les doigts.

– Laisse-moi deviner, ce n’est pas l’idée de Jack Lee.

– Nope. Il décide plutôt de refiler des flingues aux prisonniers français présents : Daladier, Reynaud, Jean Borotra et même un certain colonel de La Rocque

– Attends, c’était pas le patron des Croix de Feu, lui ?

– Si, une des fameuses Ligues des années 30. Ce qui en fait le seul ancien combattant à avoir eu l’idée de créer un mouvement politique qui nous offre une superbe contrepèterie.

– Mais ils ne sont pas tous grabataires, ces braves gens ?

– N’exagérons rien mais ils ont la bonne soixantaine en moyenne, oui. Eh bien face au danger, ces gens vont faire preuve d’un courage indéniable. Ils défendent le château pied à pied, et leurs épouses ne sont pas les dernières à tirer des coups de pétard alors que ça part dans tous les sens et que des troupes SS arrivent de tous les côtés. Et quand je parle de troupes SS, je rappelle qu’il s’agit d’une division de tanks.

– Ben Lee aussi, il a des blindés…

– Oh oui, trois, bien rangés dans la cour du château et donc à peu près aussi efficaces que de gros presse-papiers. Le tout donne une jolie scène de cinéma façon Expendables, avec un Daladier âgé de 61 ans qui tape des cent mètres dans la cour pour amener le peu de munitions qui traîne dans le château sur les chemins d’enceinte.

– Et en face, ils tirent avec quoi ?

– Ben leurs chars cette blague. Les obus SS explosent d’autant plus les murs de ce faux château médiéval qu’il n’a pas tellement été conçu pour résister à ce type de pilonnage. La situation devient difficilement tenable, il faut agir, se dit J

– Il s’en remet encore à Sun Zu ?

– Non, il s’en remet au Basque Bondissant.

– Qui ?

– Jean Borotra, le tennisman, l’un des Mousquetaires de la Coupe Davis et très accessoirement pétainiste convaincu jusque dans l’après-guerre, mais passons : il s’est retrouvé prisonnier après avoir tenté de passer en Afrique du nord en 1942. Le type idéal pour une mission à la con : fuir le château dans la confusion dans l’espoir de faire la liaison avec le reste des troupes américaines en route vers le château.

– Un ancien vainqueur de la Coupe Davis de 50 ans passés a fui un château allemand bombardé par des tanks SS pour aller chercher les copains ?

« Oui, mais en bondissant. »

– Oui, déguisé en paysanne.

– Non là tu charries.

– Nope, pas d’après les mémoires des uns et des autres, qui confirment. Reste qu’autour de midi, la situation devient franchement bordélique, un terme de jargon militaire pour intenable. Lee n’a pas assez d’hommes. Il lui faut du renfort. Et il y en a de disponibles, de fait.

– Non…

– Oh si. Il fait sortir les prisonniers allemands de la garnison du château Itter de leurs cellules et leur propose un deal : à court terme, les gars, vous êtes avec nous et vous nous aider à sauver les miches de tout le monde, les vôtres compris. Et on verra ce qu’on peut faire à votre sujet ensuite. Et voilà comment le 5 mai 45, des civils français, quelques soldats américains et des troupes allemandes, se retrouvent à faire front commun contre d’autres soldats allemands lancés derrière leurs tanks, tout ça pour défendre un faux château du 13ème siècle en plein Tyrol.

– Le surréalisme a appelé, il dit qu’il porte plainte pour concurrence déloyale.

– Huhu. En début d’après-midi, le major allemand, Sepp Gangl, sort la tête pour voir où ça en est en dessous.

– Oh la mauvaise idée.

– Comme tu dis. Un sniper SS qui n’attendait que ça lui colle une balle entre les deux yeux. Michel Clemenceau, le fils du Tigre, 72 ans aux prunes, sort comme un beau diable de derrière son créneau et vide quelques chargeurs dans la direction du tireur d’élite, sans succès. Gangl ne sera pas la seule victime allemande d’un tir allemand, puisqu’un second soldat suit son chef de près.

– Et ça se finit comment ?

– C’est beau comme dans un film Hollywoodien. Au moment où les défenseurs du château tombent à cours de munitions, au moment où les Waffen SS parviennent à installer un Panzer dans l’axe de la porte monumentale du château et alors que Jack Lee et ses hommes s’apprêtent à se réfugier dans le donjon pour un baroud à la baïonnette, le miracle se produit. Les troupes d’un certain Marvin Coyle, 2ème bataillon de la 142ème, encore renforcés par des partisans de la résistance autrichienne, arrivent dans le dos des des Waffen SS et les tordent en deux temps trois mouvements. Pour te donner une idée, ça donne quand même une bonne centaine de SS prisonniers.

– Joli.

– Du Tarantino de la bonne année, jusque dans la punchline : lorsque Jack Lee rejoint ce petit monde dans la cour, c’est en tirant la gueule et en leur demandant en substance qu’ils ont bien pu branler.

– Il ne manque plus qu’une bonne BO.

– Oh on a. Tu devrais aimer.

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