Du fond du…mmm…euh…va savoir.

Du fond du…mmm…euh…va savoir.

Où nous nous laissons aller à l’humeur générale.

– Uuuuuh…

– Ca va pas ?

– Non. J’ai la nausée.

– Je t’avais bien dit qu’il était suspect ce caviar à 12 euros le kilo.

– Nan, c’est pas l’estomac. C’est le cœur.

– Ah merde, bouge pas, j’appelle les secours.

– Non non, c’est bon. C’est pas mon cœur, c’est le cœur.

– Je ne te suis pas.

– Ben regarde autour de toi. Du rose, des petits cœurs. C’est ridicule.

– Mais c’est la Saint-Valentin. C’est l’amüüür.

– Grotesque !

– Tu dis ça parce que tu es seul et aigri.

– Mais non.

– Si.

– D’accord, oui, mais pas que. J’en peux plus de cette représentation anatomiquement aberrante.

– Haaaaa, ok, tu parles du symbole du cœur.

– Voilà.

– Comme étant médicalement inexact.

– Tout à fait.

– Je comprends. C’est vrai que, bon, on est assez éloigné de la réalité. C’est quand même très très symbolique. Le premier gars qui a dessiné un cœur comme ça, il devait pas en avoir vus beaucoup de près.

Notre formation médicale est autrement plus solide.

– Le truc, c’est qu’il est tout à fait possible que ça n’ait rien à voir avec le cœur.

– Comment ça ?

– La popularité massive du symbole que nous associons au cœur pour représenter l’amour est relativement récente, elle s’est surtout développée aux 18ème et 19ème siècles. Une institution particulière a joué un rôle clé dans ce mouvement. Une institution qui repose en principe sur l’amour, comme à peu près toutes les personnes concernées semblent passer leur temps à l’oublier.

– L’Eglise ?

– Exact, mon fils. Nous devons ce phénomène à une sainte, Marguerite-Marie. C’est une nonne française. Elle est née Marguerite Alacoque.

– Quand ?

– En 1647.

– Non mais, exactement ?

– Le 22 juillet, pourquoi ?

– Ah ben quelques minutes de plus et c’était Marguerite Dure.

Pensez à autre chose. Tenez, voilà un ourson polaire.

– Marguerite entre au couvent à Paray-le-Monial en 1671, et elle commence à avoir des visions peu après. Plus spécifiquement, elle voit le Sacré Cœur de Jésus, ce qui lance le culte du même nom, et la multiplication d’images pieuses qui fixent cette représentation populaire de l’anatomie du cœur, siège de l’amour.

Si vous avez le coeur entouré de ronces et en flammes, nous vous invitons à consulter. Rapidement.

L’iconographie religieuse reprend un modèle qui était déjà en vogue au Moyen-Age (voir les cartes à jouer dès le 15ème), et qui représente le cœur un peu comme une feuille, une pomme de pin, voire une poire.

– Oui d’accord, mais enfin ça ressemble pas à un cœur, quand même.

– Exact, et de fait c’est un peu la faute de l’Eglise. En interdisant notamment les autopsies et études anatomiques, et en mettant les écrits médicaux arabes sous le boisseau, elle renvoie à bien des égards la science médicale à l’Antiquité, époque où Aristote et Galien décrivent sommairement le cœur comme composé de trois chambres avec une forme de séparation au milieu (une conception simpliste encore utilisée par certains médecins contemporains).

– Mouais, enfin de là à en arriver au cœur de la Saint-Valentin…

– Tu as raison, c’est pourquoi je t’ai dit que l’origine du symbole lui-même n’avait peut-être rien à voir avec un cœur.

– Alors quoi ?

– Notons déjà que des symboles très similaires existaient 3 000 ans avant notre ère, et représentaient alors plutôt des feuilles, de lierre ou de figuier. La feuille de figuier est ainsi un symbole d’éveil chez les bouddhistes. Dans le bassin méditerranéen, les Grecs utilisent l’image de la feuille de vigne, qui renvoie évidemment à Dionysos et tout ce qui va avec. On a même retrouvé à Ephèse des traces de feuilles de lierre utilisées pour signaler un bordel.

– Comme nous sommes subtilement passés du muscle cardiaque au fessier.

– Tout juste. D’ailleurs c’est aussi pour certains une explication de l’origine du symbole : une paire de fesses, de testicules, voire une représentation de la vue d’une femme en contreplongée depuis son entrejambes.

– Je…attends…aaah, ok, je vois.

– Mais il y a une théorie qui permet  de conjuguer tout ça !

– Je t’écoute.

– Le silphium. Ou silphion.

– Je ne connais ni l’un ni l’autre.

– A vrai dire personne ne connait, c’est une plante disparue. Elle était cependant très très populaire dans l’Antiquité. Elle était déjà connue des Egyptiens et Minoens. Le silphium est originaire de Cyrénaïque, aujourd’hui en Lybie.

Ca va, faites pas semblant de savoir où c’est.

Le silphium, sa tige et surtout son suc, était utilisé comme un condiment très apprécié dans tout le bassin méditerranéen. Mais surtout, il était considéré comme une panacée. Ses propriétés médicinales lui permettaient, dit-on, de soigner les douleurs, les fièvres, la toux et les maux de gorge, ou les indigestions, entre autres. Il était également utilisé comme anti-poison. Et aussi, peut-être surtout, comme un produit à la fois contraceptif et abortif, une sorte de pilule tout-en-un antique.

– C’est un vrai produit miracle ton truc.

– Exactement, miracle médical et aussi économique pour Cyrène, la capitale de Cyrénaïque. Selon Pline l’Ancien, le suc de silphium se vendait au prix de l’argent. Les pièces d’argent de Cyrène sont d’ailleurs frappées à l’image de la tige de silphium. Ou de sa graine, dont la forme est…familière.

On nous dit que cette forme de monnaie est encore utilisée pendant les soirées techno.

Nous avons donc une plante qui permet de copuler sans crainte du lendemain, et dont le symbole ressemble furieusement à celui que nous connaissons comme le cœur. De là à dire que c’est l’origine de l’association entre cette forme et le concept d’amour…

– Mais attends, est-ce que c’était au moins efficace ?

– Bonne question. Tout ce que je peux te dire, c’est que la demande a été telle que la plante a été exploitée jusqu’à l’extinction. La légende veut que le dernier pied ait été offert à Néron, même si la disparition est plus vraisemblablement intervenue au 5ème siècle, et à ce jour toutes les tentatives pour identifier la plante actuelle qui correspondrait aux descriptions antiques ont échoué. Et si je m’y connais un tout petit peu en comportement humain, je pense que si les populations en ont consommée jusqu’à ce qu’elle disparaisse, c’était pas pour ses propriétés de condiment.

Je ne sais pas vous, mais moi je reçois assez peu de spams pour me vendre du basilic.

11 réflexions sur « Du fond du…mmm…euh…va savoir. »

  1. Bonjour,
    Je vais écrire ça ici parce que pourquoi pas : j’ai découvert votre blog au détour d’un autre (sais-plus-lequel), et c’est assez formidable pour me tirer des larmes virtuelles hypothalamiques (ça veut rien dire mais ça fais sérieux sur un blog comme celui-ci).

    Je ne sais d’où vous tirez vos informations, mais il y a tout ce que j’aime : de la vulagrisation scientifique, sous forme humoristique, et surtout des histoires « oubliées » et perspectives différentes qui font réfléchir. J’apprends, je m’interroge, en passant un bon moment (c’est comme cela qu’on apprend le mieux, d’ailleurs, ce pour quoi j’ai hésité à le préciser – mais bon).

    Je ne sais combien de temps vous parviendrez à tenir le rythme, qui me stupéfait… J’espère que ce sera jusqu’à ce que notre Soleil se transforme en naine blanche.
    Prions !

    Toutes mes meilleures salutations et voeux de continuation etc. etc.

    Tout à fait sincèrement,
    Lucas D.

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