Ferme les yeux, ouvre la bouche (3/4)
Le feuilleton estival se poursuit. Or qui dit été dit baignade, et qui dit baignade dit risque de noyade. Heureusement, les secouristes du 19ème siècle disposaient de techniques de pointe pour pareille hypothèse. Et quand nous sommes rentrés dans le 20ème, la société a su se saisir des dernières avancées scientifiques avec toute la clairvoyance nécessaire.
Prenez-en donc une grande bouffée
Quand les Européens ont débarqué en Amérique, ils ont trouvé…beaucoup moins d’or qu’ils le pensaient. Dommage, ils auraient pu en boire beaucoup plus. Mais quand même plein choses qu’ils n’avaient jamais vues avant, comme le maïs, le cacao, les tomates, ou les pommes de terre. Hein ? Ah oui, quelques indigènes également. Et aussi, du tabac. Que les indigènes en question utilisaient, entre autres choses, comme médicament. Ce qui était tout à fait logique médicalement, si vous vous souvenez ce que « logique médicalement » pouvait bien signifier à l’époque. Aux 17ème/18ème siècles, la médecine reposait sur l’idée qu’il fallait équilibrer les fluides corporelles (les « humeurs »), dont les manques ou excès influençaient la santé. Le tabac est un excitant, et sa fumée est chaude. Pour un médecin de l’époque, il pouvait donc réchauffer et revigorer ceux qui en auraient eu besoin.
Et alors, vous demandez-vous sans doute, les docteurs vous recommandaient de fumer une cigarette si vous aviez un rhume ? Ha ha, âmes innocentes. Commençons par la partie sympa. La fumée de tabac a commencé à être prescrite pour toutes sortes de problèmes : maux de tête, difficultés respiratoires (mais oui bien sûr), rhume (vous voyez), hernies, douleurs abdominales, fièvre typhoïde, et même choléra. Oui, c’était la partie sympa. La partie moins sympa, c’est que pour pleinement jouer son rôle revigorant et réchauffant, se contenter de fumer du tabac ne suffisait pas. Le système respiratoire n’était en effet pas considéré comme le meilleur moyen pour que la fumée remplisse bien tout votre organisme. Eh ben alors, par où on peut passer sinon ?
Ooooh…
Je vous présente donc les lavements au tabac. Tellement efficaces, qu’ils pouvaient réveiller les morts. Non, bien sûr, mais Dieu sait qu’ils ont essayé. Ainsi, dans l’Angleterre du 19ème siècle, leur utilisation devint très répandue pour tenter de ressusciter les noyés. Ils ne respirent plus ? Pas de souci, on va leur souffler un peu de fumée de tabac dans le derrière ! Oui oui, j’ai bien dit souffler. Par conséquent, avant qu’on ait l’idée d’inclure un soufflet dans le kit de premier secours, vous aviez quelqu’un qui soufflait vraiment dans le tube.
Et si jamais ce courageux volontaire avait le malheur d’aspirer au lieu de souffler (pour reprendre son souffle, s’il éternue, ou s’il a une forme de hoquet d’horreur en réalisant ce qu’il est en train de faire), il pouvait très bien, euh, absorber des matières fécales, voire, ah la belle époque, le choléra. Je vous laisse imaginer la notice funéraire.
Et le pire, c’est que la respiration artificielle était une technique tout à fait connue, mais n’était utilisée que si la fumée de tabac ne marchait pas ! J’imagine qu’on n’est pas prêts de voir la version victorienne de « Alerte sur le bord de la Tamise ».
Bon et puis en 1811, un scientifique britannique (Ben Brodie) découvre que la nicotine, ce merveilleux stimulant du tabac, est en fait toxique pour le cœur (d’après nos informations, la nouvelle n’est pas encore arrivée jusqu’aux fabricants de cigarettes). Le métier de maître-nageur n’a plus jamais été le même.
Un teint radieux…euh, irradiant
Vous savez ce qui est génial ? La radioactivité. Si si. Les rayonnements ionisants ont été découverts par Wilhelm Röntgen en 1895, avec les rayons X. Par conséquent, ils sont immédiatement apparus comme un outil médical révolutionnaire. Ainsi dès 1900, soit très rapidement après leur découverte, des matériaux radioactifs étaient utilisés pour des traitements cutanés. Puis les thérapies contre le cancer. Et puis…on s’est un peu emballé. Pas pour la radiothérapie, qui a continué à se développer et se perfectionner, et reste aujourd’hui un outil majeur contre le cancer. Mais puisque ce nouveau truc, là, la radioactivité, était la découverte à la mode, et qu’on s’en servait en dermatologie, alors de toute évidence, ça devait être bon pour la peau.
D’où l’apparition de toute une gamme de produits cosmétiques à base de radium et de radioactivité en général.
En fait, s’ils étaient sans doute les plus chargés en becquerels, les cosmétiques étaient loin d’être les seuls produits à irradier le marché dans les années 20 et 30. L’homme moderne de l’époque se devait d’être également équipé des merveilles suivantes, toutes radioactives : laine pour bébé, fontaines à eau, chocolat, sodas, sous-vêtements (hommes et femmes), préservatifs, dentifrices, cigarettes, cirages, produits d’entretien, fertilisants, et peintures phosphorescentes. Dans ces conditions, l’incapacité des années folles à produire un seul Hulk est tout simplement incompréhensible.
A noter qu’on trouvait en France des crèmes de beauté radioactives jusqu’en…1960.
Pour ce qui est des effets à long terme de ce tartinage au radium, je vous laisse deviner à quoi la consommation et le contact prolongés avec des matériaux radioactifs peut aboutir.
Le cancer. Ca aboutit au cancer. Notez ça tombe bien, on a la radiothérapie.
One thought on “Ferme les yeux, ouvre la bouche (3/4)”
Fermer les yeux je vois l’intérêt (surtout que la personne est inconsciente), mais par contre pourquoi faudrait-il ouvrir la bouche pendant un lavement au tabac ?