Fire up the sky

Fire up the sky

– Bon, il est temps de ressortir le parapluie.

– On va encore essayer de faire pleuvoir ?

– Exact. D’ailleurs, à la réflexion, tu n’as peut-être pas besoin de ton parapluie.

– Ecoute, je le garde, des fois que ça parte en comédie musicale.

– Ok. Bon, donc reprenons. Au milieu du 19ème siècle et aux Etats-Unis, nous avons l’idée que les tirs de canons et explosions peuvent provoquer la pluie. Et par ailleurs un scientifique de haute volée, pionnier de la météorologie, qui explique que les mouvements d’air chaud sont à l’origine des nuages.

– Et qui veut donc foutre le feu à la forêt pour assurer des pluies suffisantes.

– C’est ça. Sur ces entrefaites, se pointe malheureusement l’occasion de tester grandeur nature une partie de ces hypothèses.

– Pourquoi malheureuse…oh, la Guerre de Sécession ?

– Tout juste. Les Etats plus ou moins Unis vont connaître un certain nombre de canonnades et coups de feu à grande échelle pendant quelques années. De fait, de nombreux vétérans se souviennent qu’il pleuvait souvent après les combats, ce qui d’ailleurs les a conduits à plusieurs reprises à mener les suivants dans la boue.

« Uh, ça se couvre. »

– C’est pas pour être pénible, mais je ne suis pas beaucoup plus convaincu que pour l’histoire de l’inauguration du canal Erie.

– Ton scepticisme t’honore. C’est vrai qu’on ne parle que de souvenir et de ressenti. Il faut que quelqu’un se pencher sérieusement sur la question. C’est ce qu’entreprend le bien nommé Edward Powers.

– Il se penche sérieusement sur la question.

– Disons qu’il s’y intéresse grandement et y consacre beaucoup de temps. Savoir si c’est bien sérieux c’est un autre problème. Powers est à la fois un ingénieur et un ancien officier supérieur pendant la guerre, puisqu’il a servi comme général, rien de moins. Il décide de déterminer si, oui ou non, une forte agitation de l’air est susceptible de provoquer la pluie, puisque c’est l’idée qui prévaut à l’époque. Il se penche donc sur les archives, et étudie 200 batailles de la Guerre de Sécession.

– Ca commence à faire un bel échantillon.

– En effet. Il en conclut que oui, ces combats ont généralement été suivis de précipitations après un ou deux jours. En vertu de quoi il propose de mener des tests, en allant récupérer quelques 200 pièces d’artillerie de réserve, afin de vérifier si un tir de barrage peut provoquer un orage à partir d’un ciel clair, ou détourner une perturbation.

– C’est un peu contradictoire, créer un orage ou repousser une perturbation.

– Je pense qu’il faut plus l’entendre comme attirer les nuages, dans son esprit.

– Il est pris au sérieux ?

– Mmm, ça dépend de qui on parle. Powers publie son travail dans un livre sobrement titré La Guerre et le Temps.

« Rain ? You mean pain, right ? »

Ses idées bénéficient d’un réel soutien populaire, pour partie en raison des souvenirs des vétérans que je mentionnais plus haut.

– Et les scientifiques, ils en pensent quoi ?

– Ils sont sensiblement moins convaincus. Sans même aller jusqu’à se demander pourquoi des détonations provoqueraient la pluie, beaucoup relèvent que la Guerre de Sécession a été menée dans la zone la plus arrosée du pays, où il pleut en moyenne tous les trois-quatre jours, même en temps de paix. Sachant que les commandants avaient plutôt tendance à aller à la baston les jours où il ne pleuvait pas, il n’est pas particulièrement remarquable que les batailles aient été suivies de précipitations dans les 48 heures.

– Oui, ça se tient, comme raisonnement.

– Donc les scientifiques sont au mieux dubitatifs, mais ils ne sont pas nécessairement entendus, et dans l’opinion publique l’idée demeure même si elle ne tient pas vraiment debout.

Une autre époque

Et c’est alors qu’intervient Charles Benjamin Farwell.

– Le nom ne me dit rien.

– J’en vois un qui n’a pas bossé l’histoire des sénateurs de l’Illinois dans les années 1890.

– Coupable.

– Farwell est parlementaire, et propriétaire terrien. Il s’intéresse donc particulièrement à la question des précipitations. Pour lutter contre les périodes de sécheresse qui frappent régulièrement les grandes plaines du Midwest, Farwell propose et parvient à faire adopter une subvention de plusieurs milliers de dollars pour que la direction des forêts du ministère de l’Agriculture mène des essais sur la production de pluie par détonation.

– On va pouvoir faire péter des trucs !

– C’est exactement ça. Cependant le directeur des forêts ne partage pas ton enthousiasme. Il considère le projet comme absurde, et ne se prive pas de le dire. Le dossier est refilé au ministre adjoint de l’agriculture, qui choisit aussi d’avoir mieux à faire. Et ainsi de suite, jusqu’à ce qu’on mette sur le coup un dénommé Robert Saint George Dyrenforth.

– Robert Saint George ?

– Ben oui, que veux-tu. Pour le coup il n’y est pour rien. Dyrenforth est un avocat spécialisé en questions de propriété intellectuelle et brevets. Il a servi comme major pour l’Union pendant la guerre, mais il se prétend volontiers général à l’occasion.

– Ca va, il en a d’autres des titres fantaisistes ?

– Justement, oui, puisqu’il se dit également faiseur de pluie, ou plus exactement « détoniste », convaincu qu’on peut obtenir des précipitations en faisant péter des trucs.

– Un disciple de Powers, donc.

– Disciple et correspondant, ils ont déjà échangé. Dyrenforth est donc chargé de mener une expérimentation grandeur nature sur l’une des plus grandes exploitations agricoles du pays, propriété d’un grand industriel de la viande de Chicago. Au mois d’août 1891, il prend donc la direction de Midland, au Texas. Et débarque sur place avec une cargaison un peu spéciale : des baromètres, des mortiers, des câbles électriques, des tonnes de fontes, des barils de poudre, 8 tonnes d’acide sulfurique, une tonne de potasse, 500 livres de d’oxyde de manganèse, de quoi produire de l’oxygène et de l’hydrogène, des ballons, et de quoi construire des cerfs-volants.

Ou, comme on dit au Texas, « de quoi se faire un petit 4 juillet tranquille ».

Le 9 août, il est rejoint par Edward Powers lui-même. Histoire de, ils font péter quelques charges pour s’entraîner. Le lendemain, quelques gouttes tombent. Farwell prévient la presse de l’initiative, et plusieurs journaux, y compris le Washington Post, annoncent que l’expérience a réussi et provoqué des pluies importantes.

– C’est rien qu’un tout petit peu exagéré.

– Trois fois rien. La véritable expérience va commencer à partir du 17 août. Dyrenforth a préparé sa campagne de façon militaire, en prévoyant plusieurs lignes de front. Tout d’abord 60 mortiers espacés de 50 mètres, pointés vers le ciel à 45°, et des mines et de la dynamite dans des terriers de chiens de prairie et blaireaux.

« Vous allez lâcher la pluie oui ?! »

Un demi-mile derrière, la bataille contre le temps sec est menée avec une ligne de cerfs-volants « électriques », c’est-à-dire dont la mission est d’attirer et conduire l’électricité, parce que qui dit électricité dit orage et donc pluie ;

– C’est solide.

– Enfin, encore un demi-mile derrière, Dyrenforth a prévu des ballons à l’hydrogène de 3 et 10 mètres de diamètre, qui doivent être envoyés péter en altitude.

– Ah mais le gars il part vraiment en guerre contre le ciel.

– AMERICA ! On va voir ce qu’on va voir. L’offensive est donc lancée le 17 août, sur 10 jours. Notre équipe de choc procède à des détonations de dynamite, tirs, explosion de ballons, vols de cerfs-volants, sans vraiment de plan précis et un peu selon l’humeur du jour. Et rencontre plusieurs déconvenues. Les mortiers artisanaux ne provoquent pas de grandes détonations, donc on fait péter de la dynamite dans des terriers de chiens de prairie. Mais ça ne fait pas beaucoup de bruit non plus. Ils finissent par essayer sur des rochers, et là c’est un beaucoup plus gros boum.

– Des gamins avec des explosifs.

– De la science, monsieur. Par ailleurs, les ballons sont difficiles à maîtriser, les explosions ne s’entendent pas bien.

– Je suis tellement déçu.

– Je sens bien que tu n’y a jamais vraiment cru. Pas comme Dyrenforth. Il n’y a pas vraiment de pluie après la première explosion de ballon, mais un orage se produit dans le coin opposé de l’horizon, donc il en crédite l’expérience. De même, les rapports au Congrès mentionnent sur plusieurs pages la « formation de rosée dans l’herbe », ou l’apparition dans le ciel de nuages de pluie. Sur la période de 10 jours, le ranch connaît plusieurs épisodes pluvieux, dûment répertoriés.

« Ca compte ! »

Dyrenforth en conclut que ça marche trop bien. Le météorologiste, parce qu’il y en a quand même un dans le lot,  et les deux journalistes sur place sont sensiblement plus circonspects. L’un d’entre eux rappelle que c’est la saison pluvieuse, et que même en période de sécheresse le Texas et l’Arizona connaissent des orages et pluies pendant cette période de l’année (mousson nord-américaine). Le tout récent bureau météo du gouvernement n’y croit pas.

– Bon ben voilà c’est plié.

– Eh non. L’équipe de Dyrenforth mène d’autres expériences à El Paso, Corpus Christi et San Diego. Ainsi, à El Paso, à l’invitation et aux frais du maire, ils se pointent avec de quoi envoyer 6 douzaines de salves d’artillerie, 1 000 livres de dynamite, et 57mètres cubes d’oxygène.

– Résultat ?

– A chaque fois, Dyrenforth s’accorde le mérite de pluies qui avaient déjà été prévues par les services météo, ou qui tombent très loin des sites, voire qui ont commencé à tomber avant.

– C’est ridicule.

– Oui, mais le problème est que la plupart des journaux n’ont pas d’hommes sur place et ne procèdent pas à des vérifications. Pire, ils en rajoutent en enthousiasme et sensationnalisme, en faisant état de pluies drues dans la suite directe des expériences, allant jusqu’à prédire que de nombreux parlementaires vont proposer d’autres projets de ce type. Et de fait, en dépit du rapport sévère du météorologiste, qui traite Dyrenforth de charlot et ses expérience de spectacle burlesque pour la science et bon sens, le Congrès approuve un budget de 10 000 dollars pour d’autres tests en 1892.

– On est reparti pour un tour.

– En effet, cependant au bout d’un moment la presse et le public commencent à mesurer l’écart grandissant entre les promesses et la réalité. En octobre 1892, un essai est mené sur la rive du Potomac en face de Washington. Résultat : le seul truc qui pleut dru, ce sont les protestations des riverains. Une nouvelle campagne est organisée à San Antonio, et c’est un échec. La presse renomme Dyrenforth en Dryhenceforth, autrement « Désormais sec ». Quand il demande au ministère de l’Agriculture le restant des 5 000 dollars votés pour l’année 1892, on lui répond que canonner le ciel sur fonds publics n’est plus une priorité.

« T’as gagné une bataille, pas la guerre ! »

2 réflexions sur « Fire up the sky »

  1. Il y a comme un souci de dates dans la dernière phrase, ou alors le gars est plus doué qu’il n’y paraît, à prévoir les budgets 90 ans en avance !

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