Fritz Zwicky : astrophysicien brillant, ingénieur frappadingue.

Fritz Zwicky : astrophysicien brillant, ingénieur frappadingue.

« Les astronomes sont des connards sphériques. »

Il y a de brillants esprits qui ont été ignorés ou combattus, et c’est injuste. Nous avons déjà eu l’occasion de vous en parler(ici, , encore là, pourquoi s’arrêter en si bon chemin, et encore un peu). Et il y en a d’autres qu’on n’a pas écoutés, et c’est pas plus mal.

Fritz Zwicky, sans doute en train de penser à une bombe atomique.

Si un jour vous faites une partie de « Les grands scientifiques les plus méconnus » (hé, y’a des gens qui passent leur dimanche à jouer au Monopoly, alors on ne peut rien exclure), Fritz Zwicky va vous rapporter des points. Certes, moins qu’au scrabble (la partie est pliée, là). Et encore moins qu’au jeu de « Les grands scientifiques manifestement frappadingues ».

Fritz Zwicky est né en 1898, le jour de la Saint-Valentin, d’où sans doute sa propension aux mots tendres. Bien que venu au monde en Bulgarie, il est suisse par son père, un industriel et diplomate du nom de Fridolin. Non non, allez-y, nous aussi on a rigolé bêtement. Quand il a 6 ans, papa Fridolin l’envoie chez ses grands-parents helvètes pour qu’il étudie le commerce. Il s’oriente au final vers les maths et la physique, et finit diplômé de l’Ecole Polytechnique Fédérale de Zurich, comme un certain Albert avant lui. Et accessoirement, il a Lénine comme voisin (ça va devenir un thème), et fait de l’alpinisme avec un futur Nobel de médecine, en ouvrant d’ailleurs plusieurs nouvelles voies dans les Alpes.

En 1925, Fritz part pour les Etats-Unis, plus exactement l’Institut de Technologie de Californie (Caltech), après avoir reçu un prix de la Fondation Rockefeller. Là, il a pour voisin de bureau Robert Oppenheimer. C’est à partir de ce moment que sa carrière scientifique décolle. Accrochez-vous.

Zwicky se spécialise en astrophysique, et observe donc des galaxies et groupes de galaxies. Il est l’origine du concept de supernova (l’explosion titanesque d’une étoile massive en fin de vie), à partir duquel il pose l’hypothèse des étoiles à neutrons, et explique qu’elles sont à l’origine d’une bonne partie des rayons gammas cosmiques. Pour celles et ceux qui ne touchent pas une bille en astronomie, c’est triplement bien vu. Et il ne s’arrête pas là. A partir des travaux d’Einstein, il imagine également que les amas de galaxies peuvent provoquer un effet de lentille gravitationnelle : les objets extrêmement massifs dévient la lumière, ce qui peut grossir l’image d‘objets lointains, comme une lentille. Cette intuition sera confirmée en 1975, et aujourd’hui le phénomène est notamment utilisé pour augmenter la portée des télescopes, à commencer par Hubbles. Pas mal non ? C’est pas fini. Zwicky réalise également, en observant des amas de galaxies, que leur masse réelle doit être bien plus importante que celle qui est visible, et il en conclut l’existence d’une matière massive et invisible, la matière noire.

Bon, l’astrophysique c’est bien gentil, mais ça manque de concret, alors Fritz travaille aussi pour une société d’ingénierie de propulsion, pour laquelle il développe des moteurs à réaction. Il détient à ce titre une cinquantaine de brevets pour des réacteurs aussi bien aériens que sous-marins.

Avec un bilan pareil, on est légitimement en droit de se demander pourquoi cet esprit manifestement brillant n’est pas plus connu. On ne peut pas exclure que l’explication soit son…mmm, sale caractère et sa faculté à envoyer tout le monde paître. Quand Zwicky rejoint Caltech en 1925, c’est à l’invitation de Robert Millikan, qui a obtenu le Nobel de physique deux ans plus tôt. On peut en déduire que ce n’était pas totalement une andouille, ce qui n’empêchera pas Fritz de lui dire qu’il n’avait jamais de bonnes idées. De manière générale, il avait des relations…difficiles avec ses collègues. Comme l’a résumé un biographe : « ils le considéraient comme dingue, il les considérait comme stupides ». D’où son expression selon laquelle tous les astrophysiciens étaient des connards sphériques. Sphériques parce qu’ils étaient des connards sous tous les angles.

« Chers collègues, je vais vous sire où vous pouvez ranger votre théorie… »

D’accord, tout cela est fort intéressant, vous dites-vous, mais on m’a promis du frappadingue, et je n’en vois point. Rassurez-vous, lecteurs impatients, parce qu’en la matière l’ami Fritz envisageait aussi les choses à une échelle cosmique.

Pour citer Zwicky, « des actions majeures sont nécessaires de la part d’hommes sages et courageux, pour éviter que nous continuions à nous aventurer dans l’âge spatial comme des idiots égoïstes et ignorants ». Et de fait, il a proposé des idées courageuses. Pour ce qui est d’être sages, euh, c’est une autre histoire.

Commençons petit : il voulait utiliser une de ses inventions, le terrajet, une machine capable de faire fondre les roches, pour creuser des réseaux de tunnels habitables et à l’épreuve des bombes (guerre froide oblige) partout sur Terre. Et aussi sur la Lune, pour la rendre habitable. On colonise la lune, donc. Mais pourquoi s’arrêter là ? Vous me direz que les planètes et autres corps célestes plus lointains du système solaire présentent des conditions qui ne sont pas particulièrement propices à l’installation humaine. Pfff, vous réfléchissez petit. Si une planète est entourée d’une atmosphère toxique, facile. Suffit de la dissiper à coups d’explosions nucléaires. Après, on produit une nouvelle atmosphère riche en oxygène et en eau grâce aux rejets des terrajets que nous utiliserons pour y creuser des tunnels habitables. La terraformation, facile.

Et n’oublie pas ta combinaison pour aller jouer dehors !

Certes, objecterez-vous naïvement, mais la planète en question reste encore trop proche ou trop loin du Soleil pour pouvoir y habiter. Vous me décevez. Il suffit de changer son orbite pour la rapprocher, bien sûr. Comment ? Mais avec des explosions nucléaires, évidemment ! On les pousse à coup d’ogives, pour les décaler.

Cela dit, vous voulez que je vous dise, ça reste de la colonisation à la petite semaine. D’accord, on reconfigure le système solaire, on bouge et redimensionne les planètes avec des bombes atomiques, on modifie leur atmosphère et on les transforme en fourmilières géantes, et après ? Après, nous explique Fritz, ben on va chercher d’autres systèmes solaires. En construisant des vaisseaux spatiaux ? Mais non ! En transformant le système solaire lui-même en vaisseau, voyons. C’et d’une simplicité biblique : il suffit d’envoyer dans le soleil…devinez quoi ? Eh oui, des bombes atomiques (faut bien admettre qu’une ogive tactique bien placée est la solution à la plupart des problèmes).

D’accord, nous simplifions un peu : Zwicky envisageait de déclencher des détonations atomiques dans le soleil, en envoyant non pas des charges à proprement parler, mais des « particules ultra-rapides » dont il ne dit jamais plus pour éviter que les Russes piquent l’idée. En déclenchant avec tact (« nous ne voudrions pas entraîner une explosion trop grosse dans le soleil ») quelques explosions nucléaires dans notre étoile favorite (du côté opposé à la Terre, hein, quand même, on n’est pas là pour proposer des idées idiotes qui pourraient entraîner des catastrophes, c’est un travail sérieux et responsable ici), on provoquerait des éruptions solaires massives, qui propulseraient notre étoile, et tout le système solaire avec, dans la direction souhaitée.

Nous, on est le petit truc en bas à droite.

En alimentant le processus continuellement, l’espèce humaine, devenue non plus simplement astronaute mais carrément hélionaute, atteindraient des vitesses suffisantes pour « rejoindre les étoiles les plus proches en l’espace de quelques siècles ».

Hélas pour notre aventure spatiale, les idiots ignorants et égoïstes ont manifestement prévalu, nous empêchant de nous lancer dans une grande partie de billard cosmique. Entre nous, qu’est-ce qui aurait pu mal tourner ?

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