Gloire à Satana !

Gloire à Satana !

– Hein, tu l’as pas vu ?!

– Ben non.

– Mais enfin, comment…

– Ca fait 15 ans que j’ai pas vu un de ses films. Il m’agace et m’ennuie à la fois. C’est creux, bavard, masturbatoire, et essentiellement fait avec le travail des autres.

– Attends, tu pousses.

– Mais non. Ce tromblon est le cinéaste le plus surfait en activité.

– Faudrait savoir, en général tu dis que ça c’est Kubrick.

– Nan, Kubrick c’est l’homme le plus surestimé de l’histoire du cinéma, mais tu auras remarqué qu’il n’est plus en activité.

– Bon, je te laisse gérer le courrier sur ce coup.

– M’étonnerait que ses fans sachent écrire.

– T’as raison, continue.

– Oh, je peux.

– Je n’en doute pas. Mais enfin quand même, quoi, la figure de la nana qui botte des fesses, ne me dis pas que tu n’es pas amateur.

– Bien sûr que si, mais ça aussi il l’a pris ailleurs. « Regardez, je fais un film sur un groupe de filles qui se rebiffent », que voilà un bel emprunt.

– Ah ?

– Mais oui, tout ça il le doit à Satana.

– Euh, il me semblait que le domaine de ce dernier c’était plutôt le metal, ces derniers temps.

– Non.

– Ah si !

On a des preuves.

(non c’est pas nous, mais si vous voulez faire croire le contraire on dira rien)

– Tu m’as mal compris, j’ai dit Satana.

– C’est…euh…sa femme ?

– Non, mais c’est une fille qu’était là pour botter des fesses et mâcher du chewing-gum, et elle était souvent à court de chewing-gum.

– Je suis tout ouïe.

– Je te  présente Tura Luna Pascual Yamaguchi.

– Tout ça ?

– Et plus encore. La demoiselle naît à Hokkaido en 1938, ce qui n’est peut-être pas la décision la plus inspirée de l’histoire. Son père est un acteur muet…nan de film muet, japonais d’origine philippine. Sa mère est une artiste de cirque à la fois cheyenne et irlando-écossaise.

– Joli cocktail.

– Explosif, comme mélange. La famille s’installe à Chicago après la guerre. La jeune Tura a manifestement une physionomie un peu asiatique, ce qui ne passe pas toujours super bien auprès de ses camarades de classe.

– Ah oui, je peux imaginer. Moche.

– C’était juste pour te préparer, parce qu’à 9 ans elle est violée par un groupe de cinq hommes.

– Merde.

– Comme tu dis, oui. D’autant qu’ils ne sont pas poursuivis. Tura décide donc qu’elle s’en occupera elle-même. Elle se met au karaté et à l’aïkido, et se jure de les retrouver un à un pour les faire payer.

– Je ne peux que l’encourager.

– Et pendant qu’elle y est, elle constitue un gang de filles, qui comme elle raconte « se fringuaient en bikers et bottaient des culs ». Bon du coup elle a droit à quelques séjours en maison de correction. Quand elle a 13 ans, ce qui vérification faite est sensiblement moins que 18, elle est mariée à un gars du Mississippi qui lui-même n’a que 17 piges. C’est une affaire arrangée entre les familles, et qui ne tient que 9 mois. A 15 ans, Tura se dégote une fausse carte d’identité et part à Los Angeles pour devenir danseuse.

– Elle fait des pointes ?

– Non, danseuse burlesque. Et la pointe c’est pas trop son truc. Tura, elle est plutôt tout en courbes, si tu vois ce que je veux dire.

– Je vois.

Comme tout le monde n’a pas l’imagination aussi fertile…

– Elle ne doit pas être mauvaise, puisqu’en plus de danser dans un bar du Sunset Strip, elle fait également des photos. C’est ainsi qu’elle rencontre Harold Lloyd.

– Harold Lloyd…comme le gars qui faisait des films muets ?

– Lui-même. Il a maintenant la soixantaine, et il ne tourne plus. Mais il fait des photos.

– Ah ben c’est bien, il occupe ses vieux jours comme un retraité paisible.

– Rien du tout oui. Il fait des photos de nus avec des starlettes d’Hollywood, y compris mesdemoiselles Marylin Monroe et Bettie Page.

Mais, le sexe n’existait pas à l’époque !

Mieux que ça, l’homme qu’on associe au cinéma muet d’un autre âge est à la pointe de la modernité, puisqu’il utilise un appareil stéréoscopique.

– Gné ?

– Il fait des photos en 3D. Des centaines. Dont beaucoup ont d’ailleurs été regroupées par sa petite-fille dans un ouvrage qu’on trouve dans toutes les bonnes librairies.

La 3D, l’avenir de l’audiovisuel depuis 70 ans.

– Bref, Tura passe également devant sa caméra, et elle le crédite d’ailleurs d’avoir beaucoup fait pour son amour-propre en lui disant, je cite, que « la caméra aime ton visage, tu devrais être vue ».

– Uh uh.

– Tura retourne à Chicago, pour vivre auprès de ses parents. Enfin ça c’est la version officielle.

– Et c’est quoi la vraie raison, selon toi ?

– La vengeance bien sûr ! Je te rappelle qu’elle a 5 salopards à retrouver. Elle raconte qu’il lui a fallu en tout 15 ans pour leur remettre tous la main dessus, dans tous les sens du terme. Elle attendant, elle danse toujours, sous le nom de scène de Galatée, la statue vivante. On lui propose plus d’argent pour devenir stripper, ce qu’elle accepte. Il faut dire qu’elle a des arguments de vente.

C’est là que ça se passe. Là. Ici.

A cette époque Tura fréquente un petit jeune qui est venu la voir et qui ne s’en est pas tout à fait remis. Un gars du nom d’Elvis.

– Comme…

– Ouaip.

– Mais c’est quand même pas…

– Ben si. Tura passe un peu de temps avec le King, qui lui aurait proposé de l’épouser. Elle a manifestement refusé, mais la légende dit qu’elle aurait gardé la bague. Sous le nom de Tura Satana, elle décroche quelques petits rôles à la télé et au ciné, comme dans Irma la Douce de Wilder en 1963.

Quelle belle…euh…coiffure.

Mais c’est en 1965 qu’elle décroche le rôle qui deviendra légendaire. Grâce à un authentique grand réalisateur, un vrai pour le coup, au talent protubér…je veux dire monumental.

– Là comme ça j’ai plusieurs noms qui me viennent.

– Un homme qui savait mettre en avant des actrices présentant d’exceptionnels talents naturels. Un gros bonnet d’Hollywood. Double gros bonnet, même.

– Je…attends, tu veux dire ?

– Oui. M. Russ Meyer lui-même. Ce brave Russ a déjà signé à l’époque plusieurs films aux protagonistes particulièrement en chair, mais là il va réaliser son chef d’œuvre.

Plus vite, minou ! Tue ! Tue !, pour nos amis québécois.

– Non mais attends, chef d’œuvre, avec Russ Meyer on n’est quand même jamais bien loin de l’érotisme sans autre but que de montrer des décolletés profonds.

– Certes, pour autant Faster Pussycat va bien au-delà de ça. Sur le fond, c’est une histoire de virée de gangsters, sauf que ce sont des femmes. On suit 3 gogo-danseuses, qui décident de tracer en bagnole à travers le désert californien. Elles rencontrent un jeune couple, kidnappent la fille et tuent le mec, puis se mettent en quête d’un magot caché, en jouant alternativement la séduction et le coup de poing. Et la chef du gang, c’est Varla, autrement dit une Tura Satana qui crève l’écran. Elle fait ce qu’elle veut, comme elle veut, et vaut mieux pas se mettre en travers de son chemin.

Comme Yoda, mais tellement tellement mieux.

Et quand je dis que Tura est Varla, ce n’est pas une façon de parler. De l’aveu de Meyer, elle est essentielle dans la conception du film : « elle et moi avons fait le film ». Tura impose son personnage et suggère de nombreux dialogues. Elle réalise ses cascades et ses combats, évidemment, y compris le final dans lequel elle tue son adversaire à mains nues. Elle a l’idée de son maquillage, de son costume, ou de l’introduction d’arts martiaux dans les séquences d’action.

– La bad-ass woman.

– La mère de toutes. C’est le premier rôle du genre, donc en poussant un peu on peut considérer que Tura est la maman de Ripley, Sarah Connor, ou…Xena.

– Au moins pour la frange.

– Au moins. Le film devient un classique, et le personnage de Varla une référence. Y compris pour le truand dont tu me parlais au début de la discussion, ou des individus bien plus recommandables comme Rob Zombie ou John Waters. On la qualifie de « Arnold Schwarzenegger des bad girls ».

– Ca se tient.

– Tura enchaîne avec…euh, on va pas se mentir, des nanars. En 1968 elle tourne ainsi Astro-Zombies, dont je crains qu’il ne soit pas à la hauteur de son titre. En 1973, c’est le Doll Squad, à la suite duquel un ancien amant lui tire dessus. Je te rasure, elle s’en sort.

– La connaissant, je plains le gars qui l’a ratée.

– Par la suite, elle bosse comme infirmière hospitalière, ce qui personne ne viendra le contester est bien bad-ass aussi. Puis elle intègre la police de LA en tant qu’opératrice radio. Histoire sans doute de pas foutre la honte aux chochottes des brigades d’intervention. En 2002 elle reprend son rôle pour Mark of the Astro-Zombies, qui d’après mes informations ne vaut pas mieux que le précédent. Et puis malheureusement elle s’éteint en 2011. A noter que son nom a également été porté par un groupe de metal, parce qu’évidemment.

– Hail Satana !

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6 réflexions sur « Gloire à Satana ! »

  1. « Tura est la maman de Ripley, Sarah Connor, ou…Xena. »

    Je n’ai pas vu Alien et je n’ai qu’un vague souvenir de Xena, est-ce-qu’elles aussi kidnappaient des jeunes femmes pour le lol? On va pas se mentir, plutôt que « personnage badass », ça m’évoque plutôt un autre mot en -asse… 🤐

    1. Objection tout à fait recevable. Dans le contexte de l’oeuvre de Meyer, il s’agit d’une héroïne/anti-héroïne comparable à un pirate par exemple, ou encore mieux une amazone, qui va enlever une jeune mariée pour lui « rendre » sa liberté par définition perdue dans le mariage. Je ne dis pas que ce n’est pas contestable, mais c’est l’esprit.

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