Grand esprit, es-tu là ? (troisième)

Grand esprit, es-tu là ? (troisième)

Henrietta Swan Leavitt, presque prix Nobel

Dans notre galerie des remarquables chercheurs que la postérité a trahi (nous irions jusqu’à dire cocus de l’histoire de scientifiques si nous nous laissions aller à ce genre de langage, mais ne mangeons pas de ce pain-là), nous vous avons déjà entretenus du précurseur de la tectonique des plaques (c’est ici), et de la première à avoir véritablement vu à quoi ressemblait une molécule d’ADN (par là). Aujourd’hui, une dame qui a eu un peu le même parcours que la précédente.

On est partis pour se marrer.

Henrietta Swan Leavitt est la fille d’un pasteur puritain, née en 1868 dans le Massachussetts. Elle étudie l’astronomie, dans laquelle elle excelle, et finit brillamment diplômée en 1893. Seulement, elle ne peut pas diriger des recherches, ni même opérer un télescope, dans la mesure où manifestement ses ovaires risquaient de foutre en l’air toute forme de calcul ou de mécanique.

L’astronomie au début du XXème siècle.

Henrietta intègre donc l’observatoire d’Harvard en tant « qu’ordinateur humain ». Ce qui est bien moins cool qu’on pourrait le penser, puisqu’une traduction plus juste serait sans doute « opératrice ». Pas de carrière de Terminator pour elle, il s’agit de catégoriser et de classer des milliers de photos astronomiques venues du monde entier. En fait, la principale raison pour laquelle ce poste est ouvert aux femmes et qu’aucun astronome homme ne veut se le coltiner.

Leavitt n’est d’ailleurs pas la seule femme brillante à jouer la super-calculatrice. Parmi ses collègues se trouve Annie Jump Cannon (non, Jump était le nom de sa mère, quand même), qui établit le système de classement des étoiles encore utilisé aujourd’hui.

De son côté Henrietta étudie les céphéides, des étoiles variables, c’est-à-dire dont la luminosité varie selon des cycles. Elle découvre une relation entre leur période (rythme de variation de luminosité) et luminosité. Donc en mesurant la période, on peut déduire la luminosité absolue, et la distance de l’étoile en fonction de sa luminosité perçue. Suffit de se calibrer à partir d’étoiles variables régulières dont on a pu mesurer la distance par ailleurs. Son responsable la décourage de continuer, préférant qu’elle se contente de recueillir ses données bien gentiment, enfin, mon petit. Au final, c’est un autre astronome qui effectue l’opération de calibration, parce qu’elle n’obtient pas l’autorisation.

« Damnit woman, it’s my telescope, leave it! »
(calembour offert par le département anglophone)

Toujours est-il qu’avec cette relation, la loi de Leavitt, les astronomes peuvent mesurer de nombreuses distances, et découvrent notamment qu’il y a plusieurs galaxies. Hubble s’en sert de son côté pour établir l’expansion de l’Univers.

En 1924, plusieurs scientifiques proposent l’attribution du prix Nobel de Physique à Henrietta Leavitt. Malheureusement, elle est de nature tellement discrète qu’ils ne savent pas qu’elle a disparu en 1921 (d’un cancer, pour changer). Pour la peine, son nom est donné à un astéroïde et à un cratère lunaire. On aimerait beaucoup donner notre nom à un astéroïde ou à un lieu extraterrestre, mais c’est quand même pas pareil.

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