La science perchée (épisode II & III)

La science perchée (épisode II & III)

Nous avons vu  comment essayer de se servir de la Lune comme d’une antenne . Ne nous arrêtons pas en si bon chemin.

Ho la belle rouge !

Pendant ce temps, d’autres scientifiques s’activent à explorer la haute altitude. Ainsi, en 1958, la toute jeune NASA lance son premier satellite de recherche, Explorer 1. Le responsable de la mission, James Van Allen, y a installé un compteur Geiger, pour mesurer les radiations atmosphériques. Les résultats sont pour le moins surprenants : avec l’altitude, les niveaux de radiation augmentent, puis chutent soudainement à partir de 700 km. Ils remontent à partir de 10 000 km environ, puis tombent à nouveau à zéro autour de 13 000 km d’altitude (jusqu’à environ 65 000 km). Il s’avère en réalité que les niveaux de radiation ne sont pas nuls dans ces deux zones, bien au contraire. Ils sont tellement élevés que les compteurs saturent. Dans ces deux couches de la magnétosphère, le champ magnétique terrestre piège et concentre les radiations venues de l’espace (qu’il s’agisse du Soleil ou de plus loin). Ces zones prennent ainsi le nom de ceintures de Van Allen.

Une double ceinture, ça reste encore sobre pour du Van Halen.

Donc voilà, on découvre que très loin à la limite de l’espace, il y a deux zones dans lesquelles sont emprisonnées de grandes quantités de particules énergétiques. J’imagine qu’apprenant la nouvelle, vous ou moi l’aurions sans doute salué d’un « ah, ben c’est cool » plutôt mesuré, en nous félicitant de savoir que notre planète nous protège de radiations potentiellement mortelles.

Mais vous et moi ne sommes pas des stratèges de l’armée américaine vivant dans l’appréhension permanente de la menace rouge. Et équipés par ailleurs des plus gros pétards jamais conçus par l’humanité, mais n’ayant pas pu en faire claquer un seul depuis 15 ans. Par conséquent, la réaction de l’armée est un peu plus expansive :

« Et si on y faisait exploser une ogive nucléaire, dans votre ceinture ? »

A leur décharge, il ne s’agit pas que de faire joujou. Le Pentagone craint que les Russes le fassent déjà (après tout ils ont lancé des satellites avant les Américains), et imagine qu’une telle détonation, en libérant d’importantes quantités de particules énergétiques, pourrait éventuellement brouiller les radars et, par exemple, dissimuler l’arrivée d’un missile. Voire il se demande si une détonation nucléaire dans la ceinture de Van Allen ne pourrait pas permettre de diriger un flux de radiations vers l’ennemi.

Van Allen est donc contacté par l’armée immédiatement après sa découverte, et accepte de travailler sur la question. Dès 1958, des explosions atomiques sont donc réalisées dans l’atmosphère. Elles permettent de constater des niveaux de radiations très élevés, mais avant que les équipes aient le temps de bien comprendre pourquoi et comment, l’Union Soviétique propose aux Etats-Unis d’interdire les essais nucléaires dans l’atmosphère. Washington accepte, et les deux grandes puissances conviennent, sans signer un traité formel, de ne plus recommencer. Et soyons honnêtes, elles ont tenu un peu plus de trois ans.

En 1962, les Etats-Unis initient donc le projet Dominic, un programme de 36 essais nucléaires atmosphériques. Et le 9 juillet, c’est l’opération Starfish Prime (Etoile de Mer Première, ils ne sont pas toujours inspirés). Un missile est lancé depuis Honolulu, qui emmène une ogive de 1,4 mégatonne à 400 km d’altitude. Un niveau considéré comme au-delà de l’atmosphère terrestre, mais que les plus attentifs d’entre vous auront identifié comme encore bien inférieur à la première ceinture de Van Allen. L’idée est d’étudier les effets d’une telle détonation en haute atmosphère, pour les ceintures on verra plus tard.

Quels effets, donc ? On peut les résumer en trois lettres : IEM, pour Impulsion Electro-Magnétique (EMP en version originale). Une IEM, c’est une sorte d’onde de choc électromagnétique, qui sature et donc « grille » les circuits électriques. Sur l’île hawaïenne d’Oahu, à environ 1 500 km de la détonation, des alarmes intrusion se déclenchent, les plombs sautent, une partie de l’éclairage public grille, et de nombreuses voitures s’arrêtent. Des stations radios tombent également en carafe, et de manière générale les communications sont perturbées sur une partie de l’archipel. Un peu plus haut, 6 satellites ont été grillés.

Oahu la vache !

( photo prise depuis Honolulu)

Mais à côté de ça, Starfish Prime crée une bien jolie aurore boréale, visible à des milliers de kilomètres à la ronde.

Ca vaut le coup de racheter des fusibles non ? Et de la crème solaire, aussi.

Les Etats-Unis réalisent encore quelques essais du même genre dans la foulée, dont les résultats sont encore classifiés à ce jour (on les a, mais vraiment on peut pas en parler). Puis un traité d’interdiction partielle des essais nucléaires est signé le 3 août 1963, qui prohibe notamment les essais dans l’atmosphère, dans l’espace, et sous l’eau.

Pfff, on peut plus jouer !

Anneau horribilis

Après avoir essayé d’utiliser la lune comme relais radio et fait péter des ogives nucléaires dans la ionosphère pour…euh…voir ?, que restait-il comme expériences spatiales à tenter ? Encore pas mal de trucs, en fait.

Bon, tout cela est bel et bien bon, mais vous aurez remarqué que toutes ces explosions à haute altitude ne règlent pas le problème avec lequel nous sommes partis, à savoir comment envoyer ou recevoir une onde radio ou radar depuis l’autre bout du globe.

Sinon vous avez toujours l’option filaire.

Comme nous l’avons déjà dit, la ionosphère peut faire rebondir les signaux, mais elle n’est pas suffisamment fiable (a fortiori si des gugusses s’amusent à faire péter des bombes atomiques en plein milieu). Quant à Lune, elle n’est pas toujours là. Ce qu’il faudrait donc, c’est renforcer le signal atmosphérique.

Pas de souci, le projet West Ford est là pour ça. L’idée est simple : entourer la Terre d’un anneau. Comme Saturne (ou plutôt Uranus, vu son orientation), mais au lieu de glace et de poussières qui resteraient là bêtement à rien faire, cet anneau-là serait composé de petites aiguilles de cuivre. En fait des mini-antennes, de 1,28 cm de long, dimension précisément calculée pour optimiser leur efficacité comme réflecteurs de signal. Ces aiguilles seraient placées entre 3 500 et 3 800 km d’altitude. Et il en faudrait, oh, 480 millions à peu près.

De quoi cacher quelques bottes de foin.

Au passage Westford est le nom de la ville (du Massachusetts) dans laquelle fut érigée l’antenne d’émission.

Un premier envoi est effectué en 1961. Les aiguilles, dont le poids total atteint 20 kg, sont enrobées dans de la naphtaline, qui doit se dissoudre dans l’espace, tandis que la rotation du cylindre assurera la bonne dispersion du plus grand nécessaire de couture jamais réalisé. L’objectif est de créer un bel anneau de 15 km de large et 30 km d’épaisseur Sauf que ça marche pas. Au lieu de se répartir élégamment en anneau, les aiguilles restent bêtement en paquets.

Un nouvel essai est réalisé en 1963. Ce coup-ci les aiguilles-antennes se répartissent comme prévu, et les premiers essais de transmission sont tout à fait satisfaisants. Malheureusement la qualité du signal diminue rapidement. Et surtout, à la même époque, se développe la solution qui finira par mettre tout le monde d’accord : le satellite (artificiel ce coup-ci) de communication. En outre, les astronomes, en particulier les radioastronomes, se plaignaient des perturbations que ce dispositif pourrait avoir sur leurs travaux. Et dans le même temps, l’Union Soviétique ne manque pas d’accuser les Etats-Unis de se rendre coupables de la première pollution spatiale. Une clause sur ce sujet figure par conséquent dans le traité de 1967 qui régit les activités dans l’espace.

Depuis, beaucoup des aiguilles sont rentrées dans l’atmosphère, mais pas toutes. En 2016, 38 « ensembles » d’aiguilles étaient encore identifiés en orbite. Ils sont surveillés au même titre que tous les déchets spatiaux référencés, en attendant qu’ils retombent (pas de panique, vous pensez bien qu’un morceau de cuivre de 1,28 cm est vaporisé au moment de son entrée dans l’atmosphère; en principe).

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