Ignace Philippe Semmelweis : « Vous avez mis les mains dans…quoi ?! »

Ignace Philippe Semmelweis : « Vous avez mis les mains dans…quoi ?! »

Notre galerie des grands esprits honteusement ignorés  prend de l’ampleur  (ici, ici, , ou encore ici) . Ne nous arrêtons pas en si bon chemin, avec un bel exemple de grand bienfaiteur de l’humanité violemment critiqué pour avoir eu raison.

Il y a de bonnes chances pour que lisiez ces lignes sur un téléphone portable. Non, ce sont les statistiques, nous n’avons pas du tout accès à vos données personnelles. Et le moins que l’on puisse dire c’est que ce téléphone est sans doute répugnant Non, nous ne parlons pas des sites que vous avez consultés avant, même si un jour il faudra bien aborder la question (statistiques, promis, on n’a pas accès à…uh, seigneur, vous vous intéressez à ca ?!), mais l’objet lui-même.

A force de le tripoter à longueur de journée dans tous les environnements imaginables…

TOUS les environnements.

il grouille de bactéries diverses et plus ou moins recommandables.

Vous n’en avez peut-être pas conscience, pour autant si je vous demandais de venir maintenant opérer quelqu’un à cœur ouvert, votre première réaction, juste après avoir abondamment souligné votre totale incompétence dans ce domaine, espérons-le, serait quand même sans doute d’aller vous savonner un peu les pognes. Croyez-le ou non, il n’y a pas si longtemps cette idée semblait non seulement saugrenue, mais carrément absurde. Ok, si vous voulez bien, croyez-le, sinon on va s’arrêter là.

Nous sommes en 1847, à Vienne. La jeunesse oisive s’entiche de cette nouvelle musique démoniaque, la valse, qui la pousse aux pires excès et à la luxure.

Dépravés !

A l’autre bout du spectre, Ignace Philippe Semmelweis est un médecin obstétricien de 29 ans qui exerce à l’hôpital général, qui compte deux maternités.

Ignace s’occupe de la première, sa moustache de la seconde.

Si l’accouchement est encore aujourd’hui rarement une partie de plaisir, à l’époque il représente encore un réel risque pour la vie des mères. Parmi les nombreuses complications susceptibles de les tuer sur la table d’opération, la fièvre puerpérale, dont les origines sont à l’époque inconnues.

Semmelweis réalise que la mortalité par fièvre puerpérale n’est pas la même dans ses deux maternités. Elle est sensiblement plus élevée dans celle où sont formés les étudiants en médecine que dans celle qui est gérée par des sages-femmes. Mais même en imaginant que les futurs docteurs s’amusent à faire trépasser les parturientes (hey, c’est difficile les études de médecine, faut bien se détendre), il ne sait toujours pas d’où vient le problème.

Sur ce, coup de bol, un de ses amis meurt. Il est emporté par un empoisonnement du sang, après s’être blessé lors d’une autopsie, et il présente des signes cliniques similaires aux victimes de la fièvre puerpérale.

Conclusion n°1 : dans la mesure du possible, évitez de mettre les mains dans un cadavre.

Ignace percute. Les jeunes médecins réalisent souvent des autopsies avant de pratiquer des accouchements, et ce faisant ils transmettent sans doute une forme d’agent infectieux aux futures mères (l’existence des microbes n’ayant pas été découverte, il parle de « poisons »).

Conclusions n°2 : si vraiment vous n’avez pas pu éviter de mettre les mains dans un cadavre (on sait ce que c’est, on ne maîtrise pas tout), abstenez-vous de pratiquer des examens gynécologiques.

Faute de pouvoir s’imaginer une ampoule s’illuminant soudainement dans sa tête, puisque les ampoules n’existent pas encore, Semmelweis se laisse sans doute aller à un juron dans son hongrois natal, et s’empresse d’imposer à tous les médecins qui reviennent d’autopsie de se passer les mains au chlorure de chaux, un déodorant utilisé pour évacuer les odeurs d’égouts et nettoyer les plaies. Les résultats sont spectaculaires : en moins d’un an, la mortalité en couche passe de plus de 18 % à 0,2 %.

Dans un grand mouvement de liesse populaire, Ignace Semmelweis est porté en triomphe dans les rues de Vienne, jusqu’à l’empereur, qui le nomme Grand Ordonnateur des Hôpitaux et lui accorde sur le champ la main de sa fille.

Enfin, pas exactement. Ignace a commis une grosse erreur professionnelle : il a raison contre l’avis de son supérieur. Ses idées vont en outre à l’encontre des conceptions médicales de l’époque : la théorie de l’équilibre des « quatre humeurs fondamentales » n’a été abandonnée qu’assez récemment, l’explication de la propagation des maladies repose encore sur l’idée des miasmes, et on n’a pas encore découvert les microbes.

Du savon plutôt que des saignées ? Absurde ! 

De fait, Semmelweis n’est pas en mesure d’expliquer ce que sont ces « poisons » transmis des cadavres aux patientes. En plus, le protocole de lavage des mains prend quelque chose comme 5 minutes, ça pique, et le golf de Vienne ferme à 18 heures.

Par conséquent, en dépit de ses résultats plus que probants, sa théorie est vivement contestée, et il se fait virer. Il retourne en Hongrie, où il obtient des progrès similaires dans le service d’obstétrique dont il a la charge. Il publie ses travaux en 1861, mais ses idées restent très contestées par la communauté académique. En réaction, il a tendance à insulter ses détracteurs, ce qui soulage sûrement mais  n’arrange rien. Ignace est interné dans un hôpital psychiatrique quatre ans plus tard, sans que l’on sache bien s’il souffrait d’une dépression ou d’un début d’Alzheimer. Quoi qu’il en soit, il y meurt de mauvais traitements et sévices divers après deux semaines.

Ce n’est que quelques années plus tard, grâce notamment aux travaux de Pasteur, que le travail de Semmelweis comme pionnier de l’asepsie et promoteur de l’hygiène est reconnu à sa juste valeur.

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