Il n’y a pas très très longtemps, dans une galaxie pas du tout lointaine
Donald Trump veut une armée de l’espace. Emmanuel Macron veut une armée de l’espace. Et les studios Lucasfilms en sont réduits à sortir l’argument du bébé-personnage-trop-mignon pour espérer attirer encore quelques spectateurs. Il est plus que temps que nous penchions sur l’histoire de la guerre en orbite. On n’a pas fini de faire bip-bip.
Il est toujours utile de rappeler que l’origine de la conquête spatiale se trouve certes dans l’attraction que l’humanité a toujours ressentie pour les étoiles, pour ce qui est de l’inspiration, mais également et très prosaïquement dans les premiers missiles balistiques nazis en ce qui concerne la technologie. Toutes les fusées actuelles sont les descendantes d’armes de guerre. Il n’y a ainsi pas lieu de s’étonner qu’en 1957, l’URSS lance à la fois le premier satellite artificiel, Spoutnik, et le premier prototype de missile intercontinental. En effet, dès lors que des moyens d’atteindre la haute atmosphère sont disponibles (un missile intercontinental monte à plusieurs centaines de kilomètres), elle devient un objectif stratégique.
Dans un premier temps, les moyens déployés dans ce nouveau champ de bataille sont de deux ordres : les missiles, et les satellites de renseignement, ou satellites espions.
A noter que l’Union Soviétique développe en 1964 un projet de satellite destiné à accueillir effectivement un équipage composé d’espions, dont la mission est non seulement d’opérer les différents appareils de détection à bord, mais également de guider les missiles de croisières soviétiques. Ce projet, baptisé Almaz (Diamant) et mis en œuvre dans les années 70. 5 équipages passent ainsi un total de 81 jours à jouer les paparazzi orbitaux. Et la première station Almaz effectivement en orbite (Salyut 3) était équipée d’un canon de 23 mm pour se défendre d’éventuelles attaques. Elle constitue ainsi le premier véhicule spatial armé de l’histoire.
Mais la pétoire d’Almaz n’était jamais qu’une arme terrestre toute bête montée sur un satellite.
Dans les années 80, Ronald Reagan, qui après tout vient d’Hollywood, se dit que Georges Lucas tient une bonne idée, et décide de se lancer dans la Guerre des Etoiles. Faut croire que les présidents américains dont le nom se finit en « onald » ont un truc avec la militarisation de l’espace. Ce programme, officiellement baptisé Initiative de Défense Stratégique (la Guerre des Etoiles est le nom que lui donne la presse) vise non seulement à exploiter pleinement le potentiel stratégique de la haute atmosphère, mais aussi à épuiser l’Union Soviétique en se lançant dans une course aux technologies et aux armements qu’elle ne pourra pas supporter. Autrement dit, les projets sont ambitieux.
Première étape d’un programme ambitieux : un nom qui claque. Par exemple, Excalibur. Et on ne s’arrête pas au nom. Excalibur était…un canon laser. Parce que si vous voulez faire la guerre dans l’espace, au bout d’un moment, on va pas se mentir, faut passer au laser. Si je vous dis laser, a fortiori dans un contexte de bataille spatiale, vous pensez sans doute à un rayon lumineux à haute énergie, qui peut donc brûler, découper, faire exploser en fonction des besoins du scénario.
Mais si un rayon laser est constitué de lumière, il faut entendre lumière au sens large, c’est-à-dire qu’on peut produire un laser sur tout le spectre électromagnétique. Or la lumière visible est loin d’être la plus énergétique. C’est ainsi que le laser Excalibur, dont l’objet était de détruire des missiles nucléaires intercontinentaux, devait être un laser à rayon X, précisément pour disposer de la puissance requise pour oblitérer ses cibles. Un laser à rayon X peut ainsi en principe, dans le vide spatial, vaporiser du métal à plusieurs milliers de kilomètres de distance. Mais là où une pile suffit pour alimenter un pointeur laser dont l’utilité défensive se limite à l’hypothèse, assez restreinte, d’ogives transportées par des chats, pour générer un laser à rayon X il faut une source d’énergie un rien plus balaise. La solution : une bombe atomique.
La détonation d’une ogive nucléaire permettrait de générer plusieurs émissions de laser rayon X, et donc de détruire plusieurs missiles. Evidemment, la plateforme n’y survivrait pas, mais peu importe, elle est à usage unique. L’idée est que dans l’hypothèse d’une attaque soviétique massive, un réseau constitué d’un nombre relativement réduit de satellites Excalibur pourrait détruire tous les missiles ennemis.
En dépit d’investissement massifs entre 1983 et 1990, ce programme fut finalement abandonné. D’une part, les essais de laser à rayon X, pour ce qu’on en sait, ne furent pas concluants. D’autre part, ces satellites auraient dû être positionnés en orbite géostationnaire au-dessus du territoire soviétique, ce qui les aurait rendus assez vulnérables à des attaques par missiles classiques. A moins de mettre en place des satellites défensifs pour protéger les satellites défensifs, lesquels auraient sans doute également eu besoin d’être protégés, et vous voyez le problème.
En outre, le projet Excalibur était tout simplement illégal. Le traité international dit de l’Espace, ratifié en 1967, interdit le placement d’armes nucléaires en orbite. Et les missiles intercontinentaux, me direz-vous ? Eh bien ils ne sont pas placés en orbite, donc ça passe.
A noter que, dans l’esprit de course à l’armement qui était aussi celui de la Guerre des Etoiles de Ronald, Moscou avait effectivement commencé à bûcher sérieusement sur des lasers spatiaux. En réponse au projet d’IDS, l’Union Soviétique a ainsi mis imaginé le programme Skif, un ensemble de plateformes d’armement orbitales. Elles devaient être équipées d’un laser pour abattre les installations de type Excalibur. Et si les projets relevant de l’IDS ont été abandonnés, le programme Skif a lui commencé à être mis en œuvre, avec le lancement en 1987 de la station Polyus, qui devait en constituer la première brique. Malheureusement ou pas, le lanceur défaille, et le programme n’ira pas plus loin.
Ce qui ne veut évidemment pas dire qu’on abandonne l’idée de la guerre dans la très haute atmosphère.
« Ah ouais, alors comment ça on n’a pas le droit de mettre en orbite des super-lasers atomiques ?!, réagit le général de l’espace Brutus McKaboum. Même pas grave, on va mettre des missiles conventionnels, nah! »
D’où le projet Brilliant Pebbles, autrement dit Cailloux Malins, qui proposait de placer en orbite des batteries de missiles qui, par la seule force de leur impact, mettraient hors d’état les vecteurs soviétiques. En plus, dans la mesure où il n’était pas nécessaire de détruire la plateforme pour s’en servir, elle pouvait utiliser quelques-unes de ses munitions pour se défendre.
Le programme Cailloux Malins fut cependant abandonné. Officiellement, parce qu’il se révélait encore trop coûteux. Mais nous voulons croire que le Pentagone se rendit plutôt à l’évidence que c’était un nom bien trop ridicule pour une arme spatiale, surtout si elle devait remplacer Excalibur.
En revanche, une idée des plus prometteuses de ce point de vue fut le projet sobrement appelé Thor.
L’idée est simple, et pour le coup elle justifie assez bien le nom. Puisque que les armes conventionnelles sont autorisées en orbite, Thor proposait une arme spatiale sous forme de dispositif de bombardement cinétique. Autrement dit, si vous laissez tomber un objet suffisamment lourd de suffisamment haut, arrivé au sol il aura le même effet qu’une bombe de gros calibre. En l’occurrence, le projet proposait de larguer depuis l’espace des cylindres de tungstène de 9 tonnes, pour environ 6 mètres de long. Pourquoi du tungstène ? Parce que c’est très dense, et que c’est le métal qui résiste le mieux à la chaleur. Pourquoi c’est important que ça résiste bien à la chaleur ?
Parce que ces poteaux d’attaque, joliment qualifiés de « Rods from God » (« Barreaux de Dieu »),
auraient alors, par la simple vertu de la gravitation et de leur chute, subi une accélération suffisante pour frapper des cibles au sol à la vitesse de Mach 10, avec un effet équivalent à celui d’une petite ogive nucléaire tactique (de l’ordre de 11 tonnes de TNT, pas de quoi ravager une métropole mais quand même l’équivalent d’une grosse grosse bombe conventionnelle). Et c’est là que c’est important d’avoir du tungstène, parce que ça vous évite d’en perdre une partie en route, du simple fait de l’échauffement que provoque la traversée de l’atmosphère à une telle vitesse.
En envoyant en orbite une flotte de tubes suffisante, il devenait alors possible de frapper à peu près n’importe quel point du globe en un quart d’heure environ. Avec un projectile tellement rapide qu’il serait extrêmement difficile de le détruire, de le contrer, ou même de le détecter. Le tout grâce des moyens relativement simples par comparaison avec un système de missiles balistiques.
Le projet n’a cependant pas été retenu, et n’a officiellement fait l’objet d’aucun développement.
Notamment parce que même si le système est simple en termes technologiques, il faut quand même placer sur orbite une brouette de machins de 9 tonnes pièce, et au prix que coûte l’envoi dans l’espace de n’importe quoi, auquel il faudrait rajouter celui de la maintenance de la flotte, ça devient vite totalement aberrant au plan financier.
(à noter cependant que le concept a encore fait l’objet d’un rapport de l’US Air Force en 2003, et d’un brevet déposé par la Chine en 2016, donc pensez quand même à votre parapluie renforcé)
Son concepteur, Jerry Pournelle, s’est cependant reconverti dans la SF, mettant en avant l’idée dans ses bouquins, et c’est sans doute la raison pour laquelle le principe de « frappe orbitale » est connu de beaucoup.
Vous aurez noté que les projets dont nous avons parlés jusqu’à présent visaient soit à se défendre de missiles passant par l’espace, soit à positionner des missiles ou équivalent en orbite. Et qu’autant que nous sachions, ils n’ont jamais dépassé la phase conceptuelle. On ne peut pas en dire autant d’une autre branche de la guerre spatiale, peut-être moins spectaculaire mais qui pourrait potentiellement avoir des impacts très sensibles : la défense anti-satellite.
Dès leur apparition, les satellites ont été compris comme un moyen bien pratique d’espionner n’importe quel endroit du monde. Avec le temps, ils sont également devenus des infrastructures vitales dans de nombreux domaines, par exemple la communication, la prévision météo, ou le positionnement géographique et la navigation qui va avec. Imaginez le joyeux et catastrophique bazar si tous les navires marchands et avions de ligne perdaient leur GPS.
C’est la raison pour laquelle la défense anti-satellite a été le premier domaine de la guerre spatiale à se développer. Dans les deux ans qui ont suivi le lancement de Spoutnik, donc avant la fin des années 50, les Etats-Unis ont testé des armes anti-satellites tirées depuis des bombardiers B-47. Testé, mais pas approuvé, parce que ce n’est manifestement pas évident de dégommer un truc qui fait bip-bip très haut et très vite.
L’URSS, elle, a développé un autre concept : Istrebitel Spoutnik, autrement dit le Destructeur de satellite. Il s’agit tout bêtement d’une charge explosive placée en orbite, et qui a pour mission d’aller se faire péter suffisamment près d’un satellite hostile pour le foutre en l’air. Enfin, pas en l’air en l’air, vous avez compris. Un programme qui est déclaré opérationnel en 1973, avec un ensemble de 15 satellites, et est modifié par la suite pour pouvoir également s’en prendre, si besoin, à la navette spatiale américaine alors en développement. Le programme est néanmoins abandonné en 1993.
En parallèle, les scientifiques soviétiques bossent aussi sur des lasers et rayons de particules anti-satellites, basés au sol. Qui ont peut-être réussi à neutraliser des satellites espions américains, allez savoir.
Entre-temps, les Etats n’ont pas abandonné l’idée d’un missile anti-satellite lancé depuis « le sol », et enregistrent finalement en 1985 le premier test concluant d’une arme de ce type, lancée depuis un chasseur F-15, et qui a détruit un ancien satellite d’observation solaire.
Et depuis ?
Eh bien en 2007 la Chine a détruit un de ses satellites météo avec un missile. Non, parce que c’était un test, pas parce qu’il demandait des élections libres. Ce qui a surtout eu pour effet immédiat de créer un joli nuage de débris, qui représentait environ un sixième de tous ceux suivis en orbite basse.
Enfin pas uniquement, puisque ça a manifestement remis des sous dans la machine et la compétition. Les Etats-Unis ont suivi en en faisant autant en 2008, avec un missile lancé depuis un navire. Mais c’était pas du tout à des fins agressives ni rien, c’était parce que le satellite en question perdait de l’altitude, et qu’il y avait un risque que son réservoir à carburant atteigne le sol. Promis.
A ce jour, les Etats-Unis, la Chine, la Russie, Israël, et l’Inde possèdent ou développent des armements anti-satellite. Enfin, pour l’instant, parce que très vite ils vont tous moins faire les malins.
3 réflexions sur « Il n’y a pas très très longtemps, dans une galaxie pas du tout lointaine »
Bonjour !
Non, un missile balistique intercontinental ne monte pas à 12 000 km : c’est sa portée maximale. Au mieux, il monte à quelques centaines de kilomètres, ce qui est déjà pas mal.
Cela dépend de la trajectoire, des tirs en cloche a quelques milliers de km d’altitude pour une plongée sur une cible sans que les radars antimissiles traditionnels ne puissent suivre l’ogive sont envisagés.
Bonjour,
Vous dites que les satellites Excalibur « auraient dû être positionnés en orbite géostationnaire au-dessus du territoire soviétique, ce qui les aurait rendus assez vulnérables à des attaques par missiles classiques ».
L’orbite geostationnaire étant située à environ 36000km d’altitude, je ne vois pas quel missile classique peut représenter une menace?