La pendaison papa ça ne se commande pas
– D’accord, c’est salissant. N’empêche que la guillotine, ça marche.
– Ah je reconnais volontiers que faire sauter à trois mètres la tête de quelqu’un tend à sérieusement réduire le risque de récidive.
– Je ne dis pas que ça fonctionne pour l’empêcher de recommencer, patate, on a dit et répété ici que la peine de mort, ça ne marche pas. Je m’intéresse au pur effet mécanique de la chose : personne n’a jamais survécu à la chute d’un couperet lesté de plomb qui te tombe sur la nuque de quatre mètres de haut.
– Belle défense de la french tech en matière pénale.
– Nous sommes la startup-nation, mec.
– Enfin pardon mais un paquet de bourreaux ont buté un paquet de condamnés au fil du temps sans avoir besoin d’une grosse bécane hors de prix, difficile à déplacer et chiante à nettoyer. Et ça marchait tout aussi bien. Franchement, la guillotine, c’est comme le Minitel, tu crois que t’as réussi le coup du siècle avant de réaliser que t’es bien le seul con à t’acharner avec une technologie que personne ne t’envie.
– Oula.
– Quoi, oula ?
– Oula non.
– Quoi, non ?
– Double non.
– Explique.
– Déjà, on nous a bel et bien piqué la guillotine.
– Qui ça ?
– Les Nazis, déjà.
– Ah oui, pardon, je m’incline, exemple brillant. On peut être fiers.
– Disons l’Allemagne, plus globalement. Mais ce sont bel et bien les nazis qui ont le plus utilisé la version métal, très steampunk de notre bonne vieille veuve : la Fallbeil. Et il n’y a pas qu’eux : les Belges, les Grecs… Même la Suède y est allée d’un bon vieux coup de ciseau. Une seule fois, d’accord, mais n’empêche.
– Tu parlais d’un double non.
– Je pensais à l’efficacité. Non, aucun autre mode d’exécution n’est aussi sûr.
– C’est ça, oui, tu vas me dire qu’on peut survivre à un peloton d’exécution ?
– Oh oui. Wenseclao Moguel, tiens, un révolutionnaire mexicain…
– Ce ne serait pas un pléonasme ?
– … Arrêté en 1915, andouille, et fusillé d’une bonne dizaine de balles, sans compter celle qu’un brave homme d’officier lui a tiré dans la tronche à bout portant histoire d’être sûr. Ben il a survécu.
– Oui bon. Et la chaise électrique ? Tu vas me dire que quelqu’un a survécu à la chaise électrique ?
– Oui. Willie Francis, un jeune Africain Américain condamné pour meurtre en 1945. Le gardien qui avait monté la chaise était tellement saoul qu’il a saboté le boulot et qu’on a dû descendre Willie de son siège plusieurs minutes après lui avoir envoyé quelques milliers de volts à travers la tronche.
– Coup de pot.
– Tout est relatif, on l’a exécuté une seconde fois un an plus tard.
– Oh.
– Voilà.
– Bon. Et la pendaison ? Tu ne vas pas me dire que c’est complexe, merde, une pendaison ?
– Mon pauvre, c’est sûrement le plus sûr moyen de foirer une exécution.
– Enfin mais il suffit de laisser pendouiller, merde !
– C’est un peu compliqué que ça. En fait, tu peux mourir de deux manières au bout d’une corde. Si tu as la chance d’avoir un bourreau compétent, c’est pour ainsi dire instantané : tes cervicales pètent au moment où la corde se tend, terminé. Si ça ne pète pas parce que l’exécuteur est une buse ou qu’il le fait exprès, ça peut prendre… Longtemps.
– Attends, comment ça « s’il le fait exprès » ?
– Prenons Monsieur John. C. Woods.
– Connais pas.
– C’est préférable. C’était le militaire américain chargé d’exécuter les sentences capitales après le procès de Nuremberg. Et le moins qu’on puisse dire c’est qu’on le suspecte très, mais alors très, très fortement d’avoir fait tout le nécessaire pour saboter les pendaisons en s’arrangeant pour que les condamnés ne meurent pas d’une rupture des cervicales mais par strangulation, ce qui est long et douloureux. Le général Keitel, par exemple, a agonisé près de trente minutes. Pas mal de médecins estiment que ce n’est pas de l’incompétence mais bien une volonté de Woods, qui était assez expérimenté pour savoir où placer le nœud de la corde pour éviter que les cervicales ne cèdent.
– Personne n’a trop pleuré, j’imagine ?
– Non. Mais ça illustre le fait que c’est compliqué de tuer quelqu’un, en fait.
– N’empêche qu’il est mort, Keitel.
– Lui, oui. Mais d’autres s’en sont sortis.
– Des cas documentés ou une de ces légendes urbaines chères à ton cœur de folkloriste érudit ?
– Des TAS de cas documentés, vieux sac. Un des plus connus concerne John Henry George Lee.
– Mon dieu, quatre personnes d’un coup ?
-Un seul, patate, il avait plusieurs prénoms. Et ce cher John s’en est sorti parce que la trappe de son gibet a refusé trois fois de suite de s’ouvrir.
– Tu triches.
– Comment ça je triche ?
– Il n’a pas survécu à la pendaison proprement dite.
– Ah t’es comme ça, toi ?
– Disons que je suis scrupuleux et que tu es un escroc.
– Je suis une innocente colombe au front pur, Sam.
– Donne-moi une seconde, je vais devoir m’asseoir.
– Bravo. Quand t’auras repris ton souffle, je vais sortir la carte Anne Greene.
– Un rapport avec Eva ?
– Aucun : c’est Greene avec un e et surtout, Anne a vécu au 17e siècle. La simple servante d’un notable de Duns Tex, dans l’Oxforshire, qui s’est retrouvée au bout d’une corde le 14 décembre 1650.
– Elle avait fait quoi ?
– Une fausse couche.
– Pardon ?
-L’histoire est glauque à souhait. Geoffrey Read, le fils de son patron Thomas Read, l’avait séduite ou plus probablement violée quelques mois plus tôt. Après 17 ou 18 semaines de grossesse, Anne a donné naissance à un enfant mort-né et mal-formé dont elle a caché le corps, sans doute par peur du scandale.
– Oh merde…
– Tu le vois venir ? Le corps du petit a été retrouvé et on n’a bien évidemment accusé Anne d’infanticide, sans doute pendant que Geoffrey Read regardait courageusement le plafond ou ses godasses. Et on a pendu Anne.
– Mais bordel.
– On lui aussi tapé dessus. Mais pour son bien.
– Pardon ?
– Quand il est devenu évident qu’Anne n’était pas morte sur le coup, les soldats ont frappé sa poitrine à coups de crosse et des gens dans le public se sont suspendus à ses jambes pour mettre fin à sa souffrance plus rapidement – encore une fois, c’est très douloureux, la strangulation, et ça se voit. Bref : pendue, battue, tirée par les pieds pendant une putain d’heure et demie, Anna Greene meurt.
– Mais tu m’as dit…
– On croit qu’elle est morte, plus exactement. Et on la trimballe dans la caisse de son futur cercueil jusqu’à la salle de dissection où l’attend le Dr William Petty.
– Hein ?
– Oui, les corps des condamnés faisaient partis des rares dont on autorisait la dissection, au 17e siècle. Bref, un assistant ouvre la caisse et là, surprise : Anne râle.
– On la comprend.
– Elle râle au sens où elle fait arrrrgllllll, bougre de couillon. En conséquence de quoi l’assistant du Dr Petty a la seule réaction qu’il puisse apparemment imaginer.
– Il la sort illico presto de la caisse pour tenter de la ranimer ?
– Non, il la frappe de toutes ses forces en pleine poitrine et au ventre pour abréger ce qu’il croit encore être la dernière marque de l’agonie.
– C’est une manie.
– Il faut attendre l’arrivée du Dr Petty et de son assistant, Thomas Willis, pour qu’on se décide enfin à faire quelque chose pour sauver cette pauvre Anne au lieu de s’acharner à la buter de toutes les manières possibles. Et c’est précisément parce que le médecin a été légèrement marqué par l’aventure qu’on connaît la suite : ils l’ont redressée, lui ont faire boire un lait chaud qui l’a fait tousser faiblement avant de lui frictionner les membres de toutes leurs forces pour la réchauffer pendant un bon quart d’heure…
– Ah ben quand même.
– … Et ils lui ont aussi enfoncé une plume dans la gorge.
– Quoi ?
– Je pense que c’est censé créer ce réflexe pour lequel les médecins ont probablement un nom d’origine gréco-romaine mais que je te propose de baptiser réaction viscéralo-dégueulatoire, ou syndrome Euuurgh. Et ça fonctionne un tout petit peu, d’ailleurs : Anne Greene ouvre les yeux et bave.
– C’est bon signe ?
– Pour une morte, c’est déjà pas mal.
– Je demande parce que ça peut m’aider çà gérer, au lendemain de ta prochaine cuite.
– … Et bref, encouragés par ces premiers signes, les médecins continuent les soins. On pose des cataplasmes bien chauds sur la poitrine d’Anne et on poursuit les massages.
– Elle doit commencer à se sentir mieux, là.
– Et on lui fait un lavement, aussi.
– Mais ENFIN ils ne veulent pas lui foutre la paix à un moment, non ?
– C’est pour lui apporter « chauffage et chaleur dans les intestins », Sam.
– Fais-moi penser à ne jamais t’avouer que j’ai un peu froid.
– C’est dommage, je vois d’ici ta tête avec l’étape suivante. On allonge Anne dans un lit et on demande à l’une des domestiques du Dr Petty de s’allonger sur elle, toujours pour lutter contre son hypothermie.
– Et ?
– Et ça fonctionne. Trois heures après son arrivée chez le monsieur qui était censé la découper en petits morceaux, Anne commence à transpirer et à s’agiter pendant qu’une marque rouge se forme sous sa mâchoire, là où le nœud de la corde avait été placé. Vers midi, Anne parvient à parler et accepte un repas. On lui sert une soupe bourrée d’alcool et une bière chaude, qu’elle refuse avec horreur.
– Et comme on la comprend.
– Elle boit en revanche avec plaisir une bière froide.
– Une femme selon mon cœur.
– Résultat, elle est complètement pétée le soir vers 21 heures, au point de rigoler comme une folle au soir de son exécution manquée – exécution dont elle ne souvient pas un instant, ce qui peut aussi expliquer sa bonne humeur. Le lendemain, elle se porte comme un charme en dehors de douleurs au cou, à l’estomac et à la poitrine.
– Un peu comme si on l’avait pendue et rouée de coups, tu veux dire ?
– Exactement. Trois jours plus tard, Anne est complètement rétablie et a retrouvé la mémoire – en partie. Elle n’a toujours aucun souvenir de la pendaison. Question séquelles, bonne nouvelle : elle n’en a aucune ou presque. Seule la pointe de sa langue est restée insensible un moment, probablement parce qu’elle se l’était mordue au moment de son supplice. En dehors de ça, rien. Elle mange avec appétit, recommence à s’alimenter normalement… Et elle retrouve la mémoire.
– Oh merde.
– Pas complètement, pas clairement. Elle raconte au médecin que la dernière image dont elle se souvient est celle d’une « personne enveloppée dans un manteau », probablement le bourreau avec sa cape.
– Les juges en ont fait quoi, de la miraculée ?
– Frappées par ce que beaucoup ont vu comme une intervention de la divine providence, les autorités lui ont accordé un pardon provisoire. Ils lui ont aussi versé de quoi régler la facture et se trouver un logement. Et l’attitude de ses médecins a joué, aussi.
– Ah ?
– Ils ont assuré à la cour que le « péché de fornication » auquel Anne s’était livrée devait beaucoup aux assiduités pour le moins insistantes et répétées du fils de son maître d’où l’idée qu’un viol est tout sauf improbable. Ils ont également examiné le corps du petit bébé mort-né et ont certifié à la Cour que ses malformations étaient trop graves pour espérer une naissance heureuse et expliquaient à elles seules la fausse couche, écartant une interruption volontaire de grossesse de la part d’Anne. Bref, on lui a foutu la paix, même si un allumé de première a tenté de forcer la porte de son logement pour la pendre lui-même avant que trois soldats lui défoncent la gueule pour lui apprendre à ne pas se comporter comme un connard violent, même vu du milieu du 17e siècle.
– Bon.
– Tu veux le détail qui ne tue pas ?
– Allez.
– Le plus beau, c’est que l’assistant du médecin, celui qui lui a collé des grands coups de poings dans la poitrine, lui a peut-être sauvé la vie en pensant mettre fin à ses souffrances. C’est en tout cas la conclusion de deux chercheurs irlandais. En reprenant le compte-rendu de leur confrère du 17e siècle, ils en ont conclu que ce brave assistant a sans doute pratiqué en amateur une version légèrement brutale du massage cardiaque, permettant au cœur d’Anne de repartir.
– Qu’est-ce qu’elle devenue, d’ailleurs ?
– Elle est repartie chez elle en emportant son cercueil en souvenir.
– Mais non.
– Mais si, et cette ironie un peu noire me la rend d’ailleurs plus que sympathique. Elle se maria, eut trois enfants et jouit d’une réputation irréprochable jusqu’à son décès neuf ans plus tard, en 1659. Elle avait 31 ans.
– C’est jeune.
– Oui. Mais moins que 22.