Les parents de l’informatique moderne (« Grand esprit, es-tu là ?  » quatrième)

Les parents de l’informatique moderne (« Grand esprit, es-tu là ?  » quatrième)

Le hasard fait bien les choses, l’appareil sur lequel vous lisez ceci doit une très large partie de son existence à un couple d’inventeurs, que nous baptisons donc très officiellement les papa et maman de l’informatique. Ils se sont rencontrés, ont eu envie de travailler ensemble, et puis…rien, ils ont posé les bases de l’ordinateur et sont restés bons amis. Malheureusement, ils sont moins connus qu’un gars qui reprenait les idées des autres, les déclinait en plusieurs couleurs, et portait des cols roulés. Essayons d’arranger ça, par ordre d’apparition.

Charles Babbage : la calculatrice à vapeur

L’homme grâce à qui vous avez pu tricher au bac.

Charles Babbage est né à Londres en 1791, avant d’être diplômé de Cambridge en 1814. Il crée la société analytique, dont l’objet est de moderniser les mathématiques anglaises. A l’époque, il fallait des centaines d’heures pour produire les tables trigonométriques et logarithmiques, dont la marine avait notamment besoin pour naviguer. Et vous n’êtes peut-être pas au courant, mais l’Angleterre du XIXème siècle accordait une certaine importance à sa marine. Il existait des méthodes pour décomposer ces calculs complexes en une somme d’opérations aussi simples que répétitives et assommantes, ce qui permettait de les confier à des tâcherons plutôt qu’à des mathématiciens, mais ça restait long et fastidieux. Sans pour autant totalement éliminer le risque d’erreur.

Babbage a ainsi l’idée d’une machine qui réaliserait automatiquement ces calculs et produirait les tables en question toute seule : la difference machine, que nous traduirons ici machine différentielle, parce qu’on est chez nous on fait ce qu’on veut. Il la met au point entre 1819 et 1822, et obtient à ce titre la médaille d’or de la Royal Astronomical Society en 1823. La Couronne lui donne également quelques sous pour en réaliser un modèle plus efficace, incluant notamment une impression automatique des résultats.

Malheureusement, Charles rencontre des difficultés techniques, et a des problèmes avec son ingénieur en chef, pendant que les autorités deviennent de plus en plus réticentes face aux coûts de construction. En 1834, il n’est en mesure que de présenter des plans détaillés et un mystérieux « fragment » de la machine en question. Qui pèse déjà quelque chose comme 5 tonnes.

Ce qui fait quand même très lourd pour un…moulin à café ?

Il faut rappeler ici que, comme le montre cette illustration, la machine de Babbage est composée de bonnes grosses pièces en métal, engrenages, leviers et autres. Un vrai fantasme pour steampunk, on est très loin de la calculatrice de poche avec circuits imprimés.

Charles abandonne donc sa machine différentielle. A noter qu’elle sera finalement construite selon ses plans dans les années 1990, et qu’elle fonctionne exactement comme prévu.

Génial, vous avez ajouté une imprimante au moulin à café.

Babbage n’est sans doute pas enchanté de la frilosité des finances royales, mais il est entre-temps passé à un autre projet. Plus gros, évidemment. Fini la machine différentielle, il travaille à la machine analytique. La fonction de la machine différentielle était de calculer une série d’équations simples. Le nouveau joujou de Charles est plus ambitieux : elle doit être en mesure de réaliser tous types de calculs. Elle disposerait également d’une forme de mémoire, pour conserver et réutiliser des données, d’un processeur pour les exploiter, et on lui communiquerait les instructions avec des cartes perforées. C’est donc un calculateur, mais on peut également lui donner un nom encore plus familier : un ordinateur.

C’est le moment de rappeler que Babbage conçoit tout ça sans électricité. Il invente un ordinateur à vapeur.

Il l’invente, mais ne le construit pas. Echaudé par les problèmes de financement de sa première machine, il se « contente » d’élaborer des plans détaillés, pour prouver que son concept est réalisable.

Nous ne sommes pas ingénieurs, mais puisqu’il s’agit d’un ordinateur moderne, 
c’est sans doute là qu’il comptait stocker des images de femmes en corset.

Et l’est-il, réalisable ? Nous sommes bien infichus de répondre, mais les plans sont suffisamment convaincants pour qu’un projet se soit monté afin de construire, enfin, la machine analytique de Charles Babbage. L’objectif est de finir le projet vers 2030 environ, et si ça vous intéresse vous pouvez en apprendre plus ici.

Quoi qu’il en soit, Charles Babbage est incontestablement le père, largement inconnu, de l’informatique moderne, un bon siècle avant Turing.

Il partage un autre point commun avec ce dernier, puisqu’il s’est également intéressé à la cryptographie et aux codes secrets[1]. Babbage a ainsi développé en 1854 une méthode pour percer les codes dits de substitution polyalphabétiques, réputés inviolables depuis trois siècles. Méthode que l’Angleterre garda secrète puisqu’elle lui procurait un avantage dans la guerre qu’elle menait à l’époque contre la Prusse[2].

A noter que Charles Babbage a aussi établi les premières tables de mortalité à destination des assurances, conçu le pare-buffle pour locomotive, développé un système de signalétique pour phares, inventé des chaussures pour marcher sur l’eau (en manquant de se noyer à l’occasion), ou s’est lancé dans une croisade contre les nuisances urbaines que constituaient à ses yeux les enfants jouant avec des cerceaux ou la musique dans les rues.

Il voyait tellement loin qu’il avait prévu la fête de la musique. Que ne l’avons-nous écouté.

Enfin, en bon futur savant fou, Charles Babbage avait fondé à Cambridge l’Extraction Society, dont l’objet était de faire évader ceux de ses membres qui se retrouveraient un jour internés dans un asile.

Un vrai visionnaire.

Ada Lovelace : la reine des nerds

Vous savez qui est le père de l’ordinateur moderne ? Vous vous fichez de moi, on vient d’en parler ! Evidemment que vous savez, Charles Babbage. Et la mère alors ? Elle s’appelait Ada. Ada Lovelace. Si Babbage reste comme ayant dessiné les plans du premier ordinateur, Ada Lovelace est la première programmeuse informatique de l’histoire.

On ne le voit pas, mais elle porte un t-shirt Linux sous sa robe.

Augusta Ada Lovelace est née en 1815, fille de Lord Byron. Dont il convient de rappeler même brièvement que bien que poète et aristocrate, il était l’équivalent d’une véritable rock star à l’époque :

Excentrique ? A l’université, son animal de compagnie était un ours (il entretint plus tard toute une ménagerie chez lui), et il organisait des batailles navales sur son lac privé.

Dépravé ? S’il a accumulé suffisamment de conquêtes pour qu’on retrouve dans ses affaires une centaine d’échantillons de poils pubiens soigneusement conservés (bon, certains lui ont été envoyés par courrier par des admiratrices), on retiendra surtout qu’il a eu une relation (et une fille) avec sa demi-sœur.

Drogué ? Disons qu’il ne prenait pas du laudanum uniquement pour des raisons médicales.

A noter également que Byron défend les Luddites, ces ouvriers qui s’en prenaient physiquement aux métiers à tisser automatiques, craignant que cette mécanisation les prive à termes de leur emploi. Détail amusant quand on voit la suite de l’histoire.

En dépit de ce profil pourtant impeccable, la mère de la jeune Ada, Annabella Millbanke, le quitte alors que cette dernière a à peine un an (il mourra de toute façon en 1824). Elle-même fondue de mathématiques (non mais sérieusement, à quel point les gens s’ennuyaient), elle donne à sa fille une éducation impeccable, en particulier en sciences. Une pratique qui allait pourtant à l’encontre des évidences admises de l’époque, puisqu’il était alors bien établi que la femme ne disposait pas de l’énergie non seulement physique mais encore plus mentale pour poursuivre ce genre d’activité.

En 1833, la préceptrice d’Ada lui présente un certain Charles Babbage. Elle a alors 17 ans, et lui 42. C’est peut-être mieux de ne pas prendre l’expression « père et mère de l’informatique » au sens littéral. Toujours est-il que les relations entre eux deux ne sont qu’intellectuelles, et que deux ans plus tard, Ada épouse le roi.

Ah, non, pardon. Elle se marie avec William King, devenant ainsi madame King, puis madame Lovelace quand son époux, jusque-là baron King, devient comte Lovelace. C’est pas pour rien qu’il y a des journaux spécialisés pour s’y retrouver. Ok, c’est un peu pour rien.

Ada passe les années qui suivent à se consacrer à la grandeur de l’empire, c’est-à-dire à avoir trois enfants, puis reprend ses études en 1839, en se focalisant notamment sur l’algèbre, la logique, et l’analyse.

Les époux Lovelace avaient des visions radicalement différentes de ce qu’est une soirée X.

En 1842, Charles Babbage lui demande de traduire, depuis le français, l’article d’un mathématicien italien sur sa machine analytique. Charles est impressionné par le résultat, et lui demande d’inclure dans le document final les notes qu’elle a prises et développées à cette occasion. Il en ressort un article trois fois plus long que l’original, que Babbage considère comme bien meilleur (on ne nous empêchera pas de penser que s’il pouvait lire l’original, il aurait pu le traduire lui-même, mais il était sans doute occupé à inventer des chaussures pour marcher sur l’eau ou un pare-buffle pour locomotive).

Dans ses notes, Ada détaille le fonctionnement de la mémoire et du processeur de la machine, mais surtout de la programmation elle-même. Sa septième et dernière note n’est ainsi rien moins qu’un algorithme, c’est-à-dire la description de la suite logique d’opérations que la machine peut suivre pour réaliser des calculs complexes (en l’occurrence, le calcul des suites de Bernouilli). Ada souligne que la machine analytique dispose de capacités bien plus développées que la machine différentielle, et propose ainsi des programmes sensiblement plus complexes que ceux que Babbage avait conçus. En un mot comme en cent, elle écrit la première véritable programmation informatique, ce qui en fait la pionnière du logiciel.

Lorsque la Couronne décide de couper les fonds à Babbage, Ada se propose de jouer pour lui donner les moyens de construire la machine analytique, en partant du principe que ses connaissances en calculs et probabilités lui attireront des gains rapides et conséquents. En vertu de quoi elle parie surtout sur des courses de chevaux.

Nous ne sommes peut-être pas des pionniers du logiciel, mais quitte à jouer à partir de statistiques, on n’aurait pas choisi les courses.
« Ada, au lieu de vous piquer de sciences, vous feriez mieux de vous occuper des courses. »

Ada ira même jusqu’à monter une association avec d’autres joueurs, afin de développer, en 1851 un modèle mathématique pour gagner aux jeux. L’entreprise se solde par plusieurs milliers de livres. De pertes. C’est un échec complet, et Ada finit méchamment endettée.

En véritable pionnière de la science, Ada Lovelace…meurt d’un cancer en 1852, à l’âge de 36 ans. Son nom est donné à l’un des premiers langages informatiques,


[1] petit rappel rapide si besoin : Alan Turing est un mathématicien qui conçut et construisit pendant la seconde guerre mondiale une « machine », un ordinateur, lui permettant de casser les codes de communications nazis

[2] l’histoire bégaie

4 réflexions sur « Les parents de l’informatique moderne (« Grand esprit, es-tu là ?  » quatrième) »

  1. Sinon, Ada Lovelace a aussi livré dans ses « notes » (une femme n’écrit pas d’article scientifique à cette époque) des réflexions sur l’intelligence et les machines. Ses élections sont si intéressantes que Turing dédie une section entière de son article « Computer machinery and intelligence » de 1950 à « l’argument de Lady Lovelace » (donc plus d’un siècle plus tard. Et je trouve le contre argument pas super convaincant en plus). Je vous laisse lire, ça parle d’intentionnalité des machines et c’est trop cool.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.