Mona Mania

Mona Mania

– Bon, écoute, je regardais les derniers chiffres, là. C’est pas mal.

– Ah, bien. Tant mieux, hein.

– Tout à fait. Mais je pense qu’on pourrait encore aller plus loin.

– Tu crois ?

– J’en suis convaincu.

– Fort bien, mais alors comment ? Je veux dire, ce n’est pas comme si on pouvait faire mieux en termes de qualité de production.

– Non, évidemment. Ni nous, ni personne.

– Ca saute aux yeux. Et donc, comment ?

– C’est une question de promotion. De marketing, si tu me passe le gros mot. Faire quelque chose qui marque, qui se remarque, qui fasse…

– Non, je t’ai déjà dit non. D’une ce sont des photos privées, de deux j’ai des doutes sur la pérennité du marché des calendriers.

– Eh bien écoute, que veux-tu que je te dise, si tu refuses de faire le nécessaire…

– Attends, il y a peut-être d’autres solutions.

– Pour propulser une création sur le devant de la scène ?

– Oui.

– Par exemple ?

– Voyons voir…l’enlèvement.

– L’enlèvement ? Ca marche vraiment ?

– Ca a beaucoup aidé une certaine œuvre.

– Laquelle ?

– Ben, l’œuvre.

– J’ai bien compris, mais quelle œuvre en particulier ?

– L’œuvre. LA œuvre. Une des premières références, sinon la première, à te venir à l’esprit si je te dis œuvre d’art. T’as qu’à demander à Internet de te montrer un tableau célèbre.

– Tu veux dire…

Non. Un BON tableau célèbre.

– Celle-là même. La Joconde. Mona Lisa. L’archétype de l’œuvre picturale.

– De fait. Et donc, tu es en train de me dire qu’elle doit sa renommée à un enlèvement ?

– Exactement.

– L’enlèvement de qui ?

– Mais…du tableau lui-même. Son vol.

– Elle a été volée ?!

– Ah oui. Et tu ne croiras jamais qui s’est retrouvé devant un juge pour ce forfait.

– Attends, ne brûle pas les étapes.

– Tu as raison. Pour commencer, évitons tout malentendu. Avant les faits, la Joconde était déjà connue et reconnue, et ce depuis qu’elle a été accrochée aux murs du Louvre en 1797. Sa notoriété était réelle, mais concernait essentiellement le monde des amateurs d’art.

– Une minute, il me semble quand même bien avoir entendu parler d’un homme tellement passionné par le tableau, pour ne pas dire éperdument amoureux, qu’il s’en serait suicidé, au milieu du 19ème siècle.

– Luc Maspero. Le 23 juin 1852, il se jette de la fenêtre de sa chambre d’hôtel à Paris. Chambre située au 4ème étage, il n’en réchappera donc pas. Il laisse une note expliquant que pendant des années il a cherché à comprendre le fameux sourire de la demoiselle, et qu’il préfère mourir.

– Tu vois.

– Oui, mais autant que je sache, les faits ne sont pas si clairement établis. Et puis quand bien même, un individu fragile peut développer une obsession mortifère pour n’importe quoi, ça ne fait pas la qualité artistique de la chose. Je te rappelle qu’il y a un gars qui s’est suicidé pour Björk (après avoir tenté de la tuer).

– C’est un argument puissant. Il aurait pu juste se percer les tympans.

– Et quoiqu’il en soit, Maspero résidait à Paris et était manifestement amateur d’art. Pendant le 19ème siècle et au début du 20ème, le quidam de l’autre bout de la planète avait toutes les chances de ne pas connaître la Joconde.

– Je vois ce que tu veux dire.

– Remarque que dans le genre obsessions bizarres et potentiellement dangereuses, le Louvre reçoit en 1910 une lettre de menace contre le tableau. La direction décide donc de le placer dans un cadre et sous verre, pour le mettre à l’abri.

– Parce qu’avant…

– Non, il n’était pas particulièrement protégé, que ce soit contre les éventuelles dégradations volontaires ou les conditions. Tout cela nous amène au Louvre, le 22 août 1911. C’est un mardi, c’est important, et Louis Béroud, lui-même artiste peintre, vient pour réaliser une reproduction de la Joconde. Ce qui implique en passant que le tableau était alors facilement visible, et pas obstrué par 12 000 visiteurs à la minute.

– Oui, j’imagine que le gars qui voudrait poser son chevalet devant de nos jours en baverait un peu.

– Béroud se rend donc dans le Salon Carré du musée, et il constate que…Mona Lisa n’est pas là. Il le signale à un garde.

– J’imagine la réaction.

– Je ne crois pas, non. Parce que ça n’émeut pas plus que ça le personnel du musée, qui lui explique que la Joconde a sans doute été provisoirement décrochée pour en faire des photographies ou autres, comme il est assez courant avec les œuvres exposées. Donc la réponse est plutôt du genre « Ah ? Bon, ben elle devrait revenir dans pas longtemps ».

« J’ai pris 5 minutes, si vous voyez ce que je veux dire. Hé, je passe mes journées là sans bouger. »

– Effectivement, je ne m’attendais pas à ça.

– Bon, le lendemain, comme le mur est toujours nu, finalement, la direction est avertie. Ce qui lui permet de confirmer que non, il ne s’agit pas d’un retrait temporaire pour une raison triviale, et OH PUTAIN ON A VOLE LA JOCONDE !

– Ah, quand même.

– Et d’un coup, ça rigole plus. Les frontières sont fermées, et tous les trains et bateaux qui quittent le territoire sont fouillés.

– Oui, enfin vu le temps qu’ils ont mis à réagir, elle a le temps d’être partie loin, Lisa.

– Les bateaux qui ont quitté le pays lors des derniers jours sont également inspectés à leur arrivée. Cela dit, effectivement, il y a eu un peu de retard à l’allumage.

– Combien, exactement ?

– Bonne question. La disparition a donc été constatée le mardi 22 août au matin. Le dimanche 20 au soir, le tableau était là.

– Et le lundi ?

– Le lundi, le musée est fermé au public. Manifestement, c’est pendant cette journée que la Joconde a pris l’air.

– Mais comment ?

– On va y venir, mais dans l’immédiat, c’est une équipe de 60 enquêteurs qui est mise sur l’affaire. Et les techniques d’investigation les plus poussées sont déployées, comme le relevé et l’analyse des empreintes digitales. On trouve ainsi sur le mur des empreintes inconnues, mais malheureusement elles ne correspondent à rien dans les fichiers. Pendant ce temps, la disparition fait les gros titres, y compris à l’international. Le retentissement du vol dépasse la notoriété du tableau lui-même, et c’est en fait ainsi que la renommée de la Joconde s’étend à toute la planète, au-delà du monde des amateurs d’art. C’est à cette occasion que beaucoup en entendent parler pour la première fois.

– Y’a plus de gens pour venir la voir maintenant qu’elle n’est plus là.

– Exactement, mais tu crois que ça les arrête ?

– Comment ça ?

– Le Louvre rouvre après 9 jours, et des milliers des visiteurs se pressent pour voir l’emplacement vide.

Ooooooooh…

Il y a des queues à l’extérieur, et globalement beaucoup plus de monde pour voir un mur nu qu’il n’y en avait avant pour admirer le tableau.

– Les gens… Note que des visiteurs qui se pressent pour regarder un mur vide, c’est un peu précurseur de l’art contemporain.

– Certes.

– Et l’enquête alors ?

– Le 29 août, on a une piste.

– Bravo aux limiers de la police.

– Ils n’y sont pour rien. Le quotidien Paris-Journal offre une récompense pour toute information permettant de faire avancer les recherches. Et ce jour-là, quelqu’un se présente au journal. Il s’agit d’Honoré Joseph Pieret. Il a avec lui une statuette, qu’il dit avoir volée au Louvre il y a quelque temps. Avec d’autres. D’autres objets, et d’autres acolytes.

– Ha ha, un gang de pilleurs d’œuvres d’art ! Qui sont donc ces sinistres individus, ces fléaux de la culture, ces ennemis des beaux-arts ?

– Guillaume Apollinaire.

– Je…c’est un homonyme ?

– Pas du tout, on parle bien du poète.

Une véritable calamité pour le patrimoine.

Pieret a été le secrétaire d’Apollinaire, et l’implique dans les vols. Il est donc arrêté deux jours plus tard. Et là, il raconte que Pieret a vendu deux statuettes ibères de la période romaine à un obscur immigré espagnol, qui barbouille à ses heures perdues.

– Il a un nom ce malfaisant ?

– Pablo Picasso. Oui, celui-là. Il est donc également appréhendé. Il reconnaît avoir acheté deux statuettes à Pieret, dont il s’est servi comme inspiration/modèle pour un machin dont tu as peut-être entendu parler, les Demoiselles d’Avignon.

– Vaguement.

– Pour autant, Pablo professe son innocence. Il nie avoir su que les statuettes étaient volées.

« Je vends des voitures, comment peut-on douter de mon honnêteté ? »

– C’est crédible ?

– Totalement. Si on oublie que la mention « propriété du musée du Louvre » figure sur le socle des statuettes. Mais Picasso est terrorisé à l’idée d’être renvoyé en Espagne, il fait donc tout pour être innocenté. Devant le juge qui les interroge, il va même jusqu’à nier connaître Apollinaire, ce qui est d’un ridicule consommé. Mais bon, ils ne peuvent ni l’un ni l’autre être reliés au vol de la Joconde, et ils s’en sortent avec un sévère rappel à l’ordre.

– « Et essayez de devenir des membres productifs de la société, pour changer. »

– A noter que quand Pieret va parler à Paris-Journal, et avant qu’ils soient appréhendés, Apollinaire et Picasso l’apprennent et envisagent de se débarrasser des embarrassantes statuettes. Ils projettent de les balancer dans la Seine, mais ne peuvent s’y résoudre.

– Ce ne sont pas de mauvais bougres.

– Non, on arrivera peut-être à en tirer quelque chose.

– Mais en attendant, elle est où la Joconde ?

– Un peu partout. On l’imagine partie pour la Suisse, l’Amérique du sud, New York, Saint Pétersbourg, ou l’appartement de J.P. Morgan ou de quelque autre amateur richissime qui aurait financé le coup. Ce qui est certain c’est qu’elle n’est pas entre les mains de la police.

– Et ?

– Ben rien. On cherche, on enquête, et on trouve pas. Les semaines passent, les mois passent, un an passe. En décembre 1912, le Louvre accroche un autre tableau à l’emplacement déserté par Mona Lisa, à savoir le portrait de Baldassare Castiglione, de Raphaël.

« Désolé, c’est un Raphaël. C’est la dèche, on fait les fonds de tiroirs. »

– Il est un peu plus barbu que Lisa.

– Un détail. Tout ça pour dire qu’il n’y a aucune piste, l’enquête est au point mort, le tableau est soupçonné d’être un peu partout dans le monde.

– On n’a rien, quoi.

– Non. Il faut attendre un an pour que les investigations progressent.

– Encore un tuyau ?

– Si on veut. C’est encore mieux, en fait. En novembre 1913, le galeriste florentin Alfredo Geri reçoit une lettre. Son interlocuteur dit être en possession de la Joconde, et souhaite la rendre à l’Italie. Il demande une compensation financière, mais il ne cherche certainement pas à la vendre à son prix « de marché ». Le mystérieux individu invite Geri à lui répondre par poste restante à Paris, et signe du seul prénom Leonardo.

– Leonardo ? Il vit dans les égouts, a trois complices, et ils ont fait le coup grâce à leur maîtrise des arts martiaux ?

– A ce stade, on n’en sait rien. Geri est un peu incrédule, mais on ne sait jamais, après tout c’est peut-être vrai. Il contacte Giovanni Poggi, le directeur des Offices de Florence. Le musée des Offices, pas une administration. L’objectif est de convaincre Leonardo d’amener le tableau à Florence, pour que Poggi puisse l’authentifier avant d’envisager la suite. Leonardo se montre un peu réticent, puis se laisse convaincre. Il débarque donc à Florence en décembre 1913, et rencontre Geri et Poggi. C’est un Italien d’une trentaine d’années. Il explique qu’il est certain de l’authenticité du tableau, pour la bonne est simple raison que c’est lui qui l’a subtilisé au Louvre. Et il confirme que sa motivation première n’est pas financière. Il veut venger l’Italie de Napoléon.

– Quoi ?! Mais quel est le rapport ?

– Y’en a pas. L’individu est convaincu que c’est à l‘occasion des campagnes napoléoniennes en Italie que la France a mis la main sur la Joconde.

– Mais pas du tout !

– Non, en effet. On rappelle que la Joconde est arrivée en France avec son créateur, Léonard de Vinci, sous le règne de François 1er, et qu’il ne s’agit en rien du résultat d’un pillage. Mais le voleur semble l’ignorer. Il accepte néanmoins de laisser Geri et Poggi emmener son tableau aux Offices pour procéder à des expertises. De prime abord, ça pourrait être Mona Lisa : même taille, mêmes caractéristiques, et puis…ça ressemble. Mais pour être certain, Poggi veut étudier les microfissures du support, qui sont caractéristiques et en principe inconnues des faussaires. Il procède donc à ses examens, pendant que Leonardo attend gentiment à son hôtel que les deux hommes el recontactent.

– Attends, il leur laisse ce qui est en principe la Joconde, et il retourne poireauter le temps qu’ils lui passent un coup de fil ?

– Exactement.

– Eh ben il a confiance.

– Mal lui en prend. Poggi conclut qu’il a bien entre les mains le chef d’œuvre de Vinci, et Leonardo est tout surpris de recevoir la visite de la police. La Joconde est retrouvée, et on va maintenant pouvoir en savoir plus sur sa disparition.

Ca a pas l’air de lui faire…ou peut-être que si…on peut pas savoir en fait, c’est pénible.

– Allez, parle Leonardo !

– Déjà, c’est pas Leonardo. L’homme s’appelle Vincenzo Peruggia. Ou Perugia, on trouve les deux orthographes. Il est âgé de 32 ans, et c’est un ouvrier en bâtiment/vitrerie. Pas le profil du grand voleur international.

C’est presque Georges Clooney.

– Hein ? Naaan, c’est sa couverture ça.

– Pas du tout. Parce que le fond de cette affaire, c’est que le vol du tableau aujourd’hui le plus célèbre au monde n’a rien d’un exploit de haut-vol fruit d’un plan extraordinairement élaboré et d’exécutants surentraînés.

– Non non non. On parle du vol d’une pièce exceptionnelle dans un des plus grands musées du monde, y’a forcément eu…

– Je te dis que non.

– Des séances d’entraînement très pointues pour déjouer des systèmes de sécurité hautement performants…

– Arrête, il n’en est rien.

– Des préparations méticuleuses qui méritent d’être illustrées ici…

– Ah, tu veux que…

– Oui, s’il-te-plaît.

– D’accord. Bon. Alors il n’y a RIEN eu dans la préparation qui ressemble à ces séquences de répétition compliquées qui font le sel des films de cambriolage.

Chassez ces visions de vos esprits. C’est quand vous voulez. On vous attend.

Peruggia est donc ouvrier, et pas acrobate. Et c’est précisément grâce à ça qu’il peut monter son coup.

– J’ai du mal à suivre.

– Tu te souviens qu’en 1910, la direction du musée a fait placer la Joconde dans un cadre protégé, sous verre.

– Je me souviens.

– Peruggia fait partie des artisans qui installent ce dispositif. Il est donc aux premières loges pour constater plusieurs choses. D’abord, que la sécurité du musée n’a vraiment rien d’impénétrable. Pour preuve, quelques mois avant le vol de la Joconde, un journaliste a créé quelques vagues en passant la nuit dans un sarcophage égyptien du musée pour souligner les lacunes de la sécurité du Louvre.

– Pour passer la nuit dans un sarcophage égyptien je demande a minima un prix Pulitzer.

– Deuxième constat : la plupart des tableaux étaient encore juste accrochés aux murs, alors que d’autres musées du même calibre, comme les Offices, avaient décidé de les visser. Ce qui complique tout de suite les choses si on veut partir avec. Enfin, le personnel du musée peut décrocher et déplacer les œuvres, par exemple pour les entretenir ou les photographier, sans avoir besoin d’une autorisation spéciale.

– Il ressemble de plus en plus à un moulin, le Louvre.

– Exactement. Les interrogatoires et le procès de Peruggia permettent de reconstituer le scénario du vol. Il se rend au musée le dimanche 20 août 1910, et se planque dans un placard à la fermeture. Il y passe donc la nuit.

– C’est toujours mieux que dans un sarcophage.

– Le lundi, c’est jour de fermeture. Vincenzo porte la blouse blanche du personnel du musée, ce qui lui permet de passer inaperçu. Il se rend donc dans le Salon Carré, se plante devant la Joconde, et…

– Et… ?

– La décroche. Aussi simple que ça. La prendre est facile, la trimballer un peu moins. Avec son cadre renforcé, le tableau pèse près de 90 kg. Peruggia se planque donc dans un escalier de service, et retire l’œuvre de son cadre. Il se retrouve alors avec un tableau de petite taille, puisque Mona Lisa ne fait jamais de 77 centimètres sur 53. Cependant c’est un tableau, pas une toile. Elle a été peinte sur un support en bois. Pas question donc de la rouler pour la transporter plus facilement. Peruggia l’enveloppe dans sa blouse, se care le tout sous le bras, et se dirige vers la sortie.

– C’est déconcertant.

– Attends, tu connais le genre non ? C’est toujours au moment du film où on croit que c’est bon, le plus dur est fait, qu’il se passe un truc qui risque de ruiner tout le plan.

– C’est vrai. Il se passe quoi ?

– Oh c’est tout bête : la porte que Vincenzo compte emprunter pour sortir est fermée à clé. Il s’acharne dessus, tente de démonter la poignée, mais n’y arrive pas. Une bête porte verrouillée se tient entre lui et le vol de la Joconde.

– Comment il a fait ?

– Il a eu du bol. Arrive alors un plombier, qui travaillait au musée, du nom de Sauvet. Il voit un camarade ouvrier coincé, et lui ouvre bien aimablement la porte avec son passe. Peruggia sort, saute dans un taxi, et file chez lui. Comme on l’a dit, le vol ne sera signalé que près de deux jours plus tard.

– Et après ?

– Après, rien. Alors qu’on a imaginé la Joconde partie pour nombre de destinations mystérieuses, elle passe trois ans dans l’appartement de Peruggia, qui ne veut pas prendre le risque de la déplacer. Il lui faut tout ce temps pour se décider à mettre en œuvre la deuxième phase de son plan, à savoir le retour de l’œuvre en Italie. Voire son arrivée, en fait, puisqu’elle n’était pas finie quand de Vinci a fait le voyage vers la France.

– On est sûr qu’il a fait le coup tout seul ?

– Il semble que oui. Deux compatriotes ont été soupçonnés, les frères Vincenzo et Michele Lancelotti. Cependant Sauvet, le fameux plombier, déclare n’avoir vu qu’un homme. Les deux frangins nient toute implication ou même connaissance du projet de Peruggia. Michele Lancelotti reconnaît l’avoir aidé à transporter ses bagages jusqu’à la gare quand il prend le train pour l’Italie en 1913, bagages qui contenaient la Joconde, mais il affirme qu’il en ignorait le contenu. De fait, les deux frères sont auditionnés par le juge italien, qui décide de ne pas les poursuivre.

– Attends, juste une chose, tu veux dire qu’il y avait un témoin oculaire, là, le plombier ?

– Oui. Peruggia a trimballé la Joconde, certes empaquetée, sous son bras, et il a été vu. Mieux, il a eu des démêlées avec la justice en 1908 et 1910, pour port d’armes et avoir essayé de voler une prostituée…

– Il a essayé de voler une prostituée ?!

– De la détrousser, banane. Par conséquent, il était fiché, avec ses empreintes digitales, mais l’enquête n‘a pas fait le lien avec celles relevées sur les lieux. Enfin, pire, la police l’a interrogé deux fois, et a visité son appartement.

– Son appartement ? Là où il avait planqué le tableau ?

– Ben oui. C’est un peu la honte pour la police.

Inspiré de faits réels.

– Et pour le Louvre.

– Aussi. Peruggia est donc jugé seul, en Italie. En raison des motivations de son geste, certes erronées mais patriotiques, il bénéficie d’un important soutien dans le public. Il est condamné à un an et quinze jours de détention. A sa sortie, il s’engage dans l’armée italienne pour la Première Guerre, puis rentre en France, en Haute-Savoie. Il y ouvre, ça ne s’invente pas, un magasin  de peinture.

– Joli.

– Il meurt en 1925, peut-être de saturnisme. Ce qui est certain, une fois encore, c’est que c’est ce vol, et son retentissement, qui ont fait passer la Joconde du statut d’œuvre, certes majeure, à celui d’icône absolue.

– C’est sûr que pour le vol d’un tableau aussi célèbre, on était quand même en droit d’attendre une opération un peu plus spectaculaire.

– Peut-être. C’est sûrement ce qui a fait le petit succès d’une autre version, proposée en 1932 par le journaliste américain Karl Decker. Ce dernier prétend avoir rencontré, en 1914 à Casablanca, un escroc argentin connu sous le nom de marquis de Valfierno. Il lui aurait raconté avoir commandité le vol dans le cadre d’une arnaque.

– Ha ha…

– L’idée était de vendre, comme étant l’originale, six copies de la Joconde à de riches collectionneurs privés. Ce qui impliquait déjà de faire disparaître l’œuvre. Malheureusement, Peruggia aurait tout fait foirer en essayant de la refourguer à son pays natal.

– C’est toujours le vol d’un individu seul, mais ça a un peu plus de gueule.

– Oui, mais il y a quand même 99% de chances, voire plus, pour que ce soit un joli morceau de flûte. Rien ne prouve même l’existence de ce marquis, déjà. En plus, aucune des copies en question, en principe très ressemblantes, n’a jamais été mise au jour. Enfin, pourquoi l’arnaqueur aurait-il attendu si longtemps pour fourguer ses faux, et surtout pourquoi laisser l’œuvre originale à Peruggia ?

– Ouais, effectivement, c’est pas complètement étanche comme histoire.

– Non. De toute évidence, le tableau le plus célèbre au monde a été volé par un individu seul, qui s‘est contenté de le décrocher des murs d’un musée qui ne faisait rien de particulier pour le protéger, dans le but de réparer un tort qui n’existait pas.

– Mais attends, c’était peut-être un agent des Illuminatis Templiers Maçons pour déchiffrer le code secret qui révèle le moyen d’aller de la Grande Pyramide à l’Atlantide en passant par Rennes-le-Château ?

– Va savoir…

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