Palsambleu !

Palsambleu !

– Tu vois, il faut parfois revenir aux auteurs de référence, ceux qui sont à la base de la discipline. Prends par exemple la biologie.

– Ha, j’imagine que tu veux parler de Lamarck, ou Darwin.

– Euh…à vrai dire je pensais plus à Ridley Scott ou John McTiernan.

– Ils ont fait de la biologie ?

– Je les considère comme des pionniers de la xénobiologie.

– Ok, pour le formuler autrement tu veux dire qu’ils ont créé des espèces d’extra-terrestres qui sont restées dans la postérité.

– Précisément. L’alien de…ben Alien, et le predator de, ha hah, Predator.

– On sent bien qu’ils se sont donnés du mal pour créer la bestiole, et qu’après ils étaient fatigués pour trouver des noms.

Et attendez de voir les scénarios.

– C’est ça. Toujours est-il que ce sont deux créatures de ciné qui ont marqué les esprits.

– Et quelques sous-vêtements.

– Sans doute. Et tu noteras que pour souligner leur caractère extra-terrestre, comme si la physionomie ne suffisait pas, elles partagent un trait particulier.

– Là tout de suite, je peux penser à plusieurs caractéristiques qui montrent bien qu’elles ne sont pas du coin.

– Je veux parler de leur sang. Comme tu t’en souviens, le sang du xénomorphe d’Alien est un puissant acide.

– Exact.

– Quand à celui du predator, il indique tout à la fois que la bêbête est vulnérable…

– « Si ça saigne, on peut le tuer. »

– Voilà, et qu’elle vient d’ailleurs. Puisque coule dans ses veines ce qui est manifestement le reste de tout le slime fluorescent invendu des années 80.

« T’as le mascara qui coule, là. »

Ce n’est pas un détail anodin. Montrer que ces créatures ont un « sang » étrange permet de bien souligner leur caractère extraordinaire, puisque comme chacun sait, sur Terre, le sang c’est rouge.

– Ben oui.

– Ben non.

– Comment ça ?

– A toutes fins utiles, je te rappelle qu’il y a des humains dont le sang n’est pas rouge, ce qui leur fait la peau bleue. Je te l’accorde, il s’agit d’une anomalie. Mais il y a sur cette planète des bestioles dont le sang n’est pas rouge.

– Ah oui ?

– Qu’est-ce qui donne sa couleur au sang rouge ?

– Euh…l’hémoglobine ?

– Je te soupçonne d’avoir répondu au hasard, mais c’est juste. Et pourquoi est-elle rouge ?

– Alors là je sèche.

– Parce qu’elle contient du fer. Vois-tu, l’hémoglobine fait partie d’une famille de protéine pour laquelle j’ai beaucoup d’affection : les métalloprotéines.

– METAAAAAL !

– Voilà. Le transport d’oxygène est l’une des fonctions des métalloprotéines, et l’hémoglobine est de très loin la  plus répandue pour cela. Mais il est également possible de transporter l’oxygène sur une métalloprotéine dont l’élément métallique n’est pas le fer, mais le cuivre. Il s’agit alors d’hémocyanine. Elle remplit ainsi cette fonction chez des arthropodes et mollusques.

– Et du coup, puisqu’il n’y a pas de fer mais du cuivre, ça donne une autre couleur ?

– Tout juste. L’hémocyanine donne à l’hémolymphe (l’équivalent du sang chez les bestioles en question) une couleur bleue. Ce qui nous amène au limule.

– Qu’est-ce que c’est que ce truc ?

– Le limule, ou crabe-fer à cheval. Une bien singulière créature.

« Oh ben ça va, ça a pas l’air si bizarre que ça… »

Le limule est un des animaux les plus anciens qui soit, un authentique fossile vivant. Il est en effet apparu il y a 450 millions, d’années. Ce qui signifie que les limules ont survécu à quelques âges glaciaires et extinctions massives, ainsi qu’aux dinosaures. Aussi, contrairement à ce que le nom laisse entendre, ils sont plus proches des araignées et scorpions que des crabes.

« Eloigne ce truc ! »

– Donc, c’est très vieux, et ça a le sang bleu. Définitivement un truc qui sort de l’ordinaire, je suis d’accord.

– Et toute l’industrie pharmaceutique repose dessus.

– Pardon ?

– Je ne t’apprendrai pas que dans le domaine pharmaceutique, il est de la plus haute importance que les produits soient exempts de toute forme de contamination bactériologique.

– Y’a déjà suffisamment de fondus pour penser qu’il y a des trucs dangereux dans les vaccins.

– Exact. Donc évidemment, les processus sont conçus pour éviter le risque. Mais comme on ne peut jamais être sûr, il faut aussi réaliser des tests pour s’assurer de l’absence de contamination.

– J’aime autant.

– Pour s’assurer de la pureté des produits, les industriels se sont appuyés pendant des décennies sur un dispositif de pointe : l’oryctolagus cuniculus.

– Qu’est-ce que c’est que ce truc ? Une molécule affinée en laboratoire, un matériau exotique, un organisme issu des abysses ?

– Non. C’est un lapin.

« Docteur lapin, si ça vous fait rien. »

– J’exige des explications.

– Pour tester l’innocuité d’un produit pharmaceutique, pendant des décennies, le protocole consistait à l’injecter à une demi-douzaine de lapins, puis à suivre leur température pour détecter toute éventuelle réaction à une infection bactérienne.

– Un peu artisanal, mais efficace.

– En effet. Tout cela change dans les années 70. Les chercheurs découvrent alors une propriété remarquable du sang de limule, en plus de sa couleur. Son système immunitaire ne fonctionne pas comme le nôtre, et pour faire simple son sang a la particularité de coaguler dès qu’il détecte la moindre trace de bactéries.

– Uh, mais dis donc, du coup on pourrait peut-être en faire un détecteur de bactéries, pour tester nos produits pharma ?

– Tout juste. C’est exactement ce que se disent les scientifiques, qui développent le protocole de test LAL, pour Lysat d’Amébocytes de Limules. Qui a été progressivement approuvé par la Food and Drug Administration américaine et les autorités européennes, devenant ainsi le standard de l’industrie.

– Plus besoin de piquer des lapins !

Hourra !
(nous sommes très attachés à leur bien-être, on est même prêts à en adopter, s’il le faut)

– Voilà. Mais le bonheur des uns fait le malheur des autres. On utilise du sang de limule, il faut donc bien le prélever. C’est l’apparition des fermes à crabe-fer à cheval. Le principe est simple : des milliers de limules sont capturés, et on les envoie dans une grande usine où leur sang est prélevé, à la suite de quoi on les relâche dans la nature.

Mais pas avant de leur avoir donné un jus de fruit et un gâteau.

– C’est le truc le plus science-fiction d’un article qui a commencé avec des aliens et predators.

– N’est-ce pas ? Les laboratoires prélèvent jusqu’à 30 % du sang avant de rendre les limules à leur habitat. Chaque année, environ un demi-million de crabes-fer à cheval sont ainsi capturées, pompés, puis relâchés. Et c’est un marché juteux, si je puis me permettre, puisque le sang bleu vaut près de 15 000 dollars le litre.

– Quand même. Note il s’agit d’assurer la sécurité des produits pharmaceutique, c’est pas rien. Mais dis donc, les limules qui se font capturer et saigner, ils le vivent bien ?

– C’est la question. Se faire prélever 30 % de son sang n’est pas mortel, mais pas anodin non plus. Les chercheurs qui ont réalisé des études de suivi ont montré une mortalité plus importante dans les premières semaines, ainsi qu’une moindre fécondité par la suite. De fait, les crabes-fer à cheval sont aujourd’hui considérés comme une espèce presque menacée.

– Sans en revenir aux lapins, y’aurait pas moyen de synthétiser la molécule dont on a besoin ?

– Non seulement y’a moyen, mais il existe des substituts synthétiques depuis une quinzaine d’années.

– Eh ben alors ?

– Hé, c’est qu’il faut du temps pour changer les habitudes et faire homologuer des processus par les autorités sanitaires. Mais c’est en train de changer, et des grands laboratoires ont commencé à soumettre des processus de test à base de substituts synthétiques.

– On va pouvoir fermer ces trucs qui sont bien partis pour me donner des cauchemars ?

– On peut l’imaginer.

A moins qu’on se mettre à le boire. Ca se fait, dans d’autres galaxies.

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