Par les deux bouts
Bon, on ne va pas mentir, nous avons un compte à régler avec les bananiers. C’est une histoire parfaitement rationnelle, une attitude tout à fait mesurée, depuis que l’un d’entre eux a épousé l’une des plus belles femmes au monde. En vertu de quoi nous saisissons toute occasion de dévorer les enfants de ces organismes honnis.
Néanmoins, ne laissons pas cette jalousie maladive légère irritation obscurcir notre jugement. Après tout, Aishwarya Rai n’avait peut-être pas entièrement tort. Je ne parle pas du mariage bidon pour motif astrologique, elle avait évidemment complètement tort sur ce point, mais de la contribution de la banane à la science.
Car oui, la banane est très officiellement un instrument scientifique. Un instrument de mesure, pour être exact.
La banane est une unité de mesure de la radioactivité. Parce que la banane est riche en potassium, et que l’un des isotopes naturels du potassium (le potassium 40) est radioactif. Il y a donc un peu de radioactivité dans une banane. Comme il y a un peu de radioactivité dans à peu près tout ce qui vous entoure, l’air, le sol, vos murs, etc.
L’unité de base pour mesurer le rayonnement ionisant reçu par l’homme, c’est-à-dire la quantité de radioactivité à laquelle un individu est exposé, est le Sievert (Sv). Et c’est une unité qui tabasse. Si vous recevez 1 Sv, vous n’êtes pas bien. Une dose de 2 Sv correspond à une irradiation sévère, potentiellement fatale. Si vous êtes bien traités et chanceux, vous pouvez survivre à 4 Sv. Mais pas à 8 Sv, qui correspondent à une dose fatale en tout état de cause, sauf Bruce Banner ou Superman. Regardons les choses en face, vous n’êtes sans doute ni l’un ni l’autre.
A côté de ça, beaucoup de rayonnements que nous pouvons rencontrer au quotidien représentent (heureusement) des quantités bien moindres, et on utilise pour les mesures le millisievert (mSv), soit un millième de Sievert, voire le microsievert (µSv), c’est-à-dire le millionième de Sievert. La réglementation française indique ainsi que le grand public ne doit pas être exposé à plus d’1 mSv par an, là où pour un travailleur du secteur nucléaire le seuil est de 20 mSv sur le corps entier par période de 12 mois. Par ailleurs, fumer 5 paquets de cigarette correspond également à une dose d’1mSv, mais toute la radioactivité n’arrive pas jusqu’à vos poumons, donc vous êtes complètement à l’abri de toute complication médicale si vous consommez du tabac.
Si vous vivez à l’année dans un bâtiment en pierre, brique, ou béton, vous recevez 70 µSv. Pour passer une radio, comptez 20 µSv. Une radio dentaire, 5 µSv. C’est-à-dire, pour rappel, 5 millionièmes de Sievert, soit 200 000 fois moins qu’un Sievert. La radioactivité naturelle due à l’environnement représente elle en moyenne 10 µSv par jour selon certains chiffres américains, tandis que l’IRSN (français, donc) calcule une exposition totale comprise entre 0,4 et 3,1 mSv par an en fonction notamment des habitudes de consommation.
Et une banane alors ? Une banane c’est 0,1 µSv. Un dix-millionième de Sievert. Autrement dit, on a pris la banane parce que sa teneur en potassium en fait l’un des aliments les plus radioactifs qui soit, mais il faut avaler 700 banana splits pour être aussi exposé qu’en vivant pendant un an dans un bâtiment en briques. Et avec deux banana splits par jour, vous aurez d’autres soucis.
Et alors, quel est l’intérêt, à par montrer qu’il faudrait ingérer des dizaines de millions de bananes pour être en danger de mort radiologique ? L’intérêt est précisément de relativiser les niveaux d’exposition plus ou moins naturels en les ramenant à quelque chose qui est tout à la fois concret et parfaitement inoffensif. Libre à chacun de penser que c’est une grossière manœuvre du lobby nucléaire pour faire passer la radioactivité pour quelque chose d’anodin, ou que c’est un instrument utile ou au minimum amusant pour exprimer le rayonnement reçu à l’occasion d’un vol transatlantique.
Toujours est-il que la Banana Equivalent Dose (BED) est une unité de mesure tout ce qu’il y a de plus légitime.
Bon, c’est pas comme si Aishwarya avait épousé un vrai scientifique, mais c’est toujours mieux que de se marier à un choux fleur. Rien ne peut sauver le choux fleur.
Et si vous n’êtes pas encore suffisamment sûrs de pouvoir faire le malin avec ces informations la prochaine fois que vous mangerez une banane, rajoutons-en une petite couche en regardant un peu plus en détail ce que signifie le fait que la banane soit radioactive.
Conséquence logique de la dégradation naturelle de son potassium-40, une banane typique produit, ou si vous préférez émet, un positron toutes les 75 minutes. Non, ça va pas vous rendre malade. Qu’est-ce qu’un positron ? Mais enfin, c’est un anti-électron ! C’est-à-dire une particule de la même masse qu’un électron, et qui porte la même charge électrique, mais positive là où celle de l’électron est négative. Le positron est une particule d’antimatière. Oui oui, d’antimatière, le truc que vous croisez régulièrement dans toute œuvre de SF qui se respecte, et qui peut au choix propulser les vaisseaux spatiaux, ouvrir des portails dimensionnels, constituer une source inépuisable d’énergie, vous faire cuire un œuf, etc. Cette antimatière-là. Produite par une banane. Le positron en question rencontre très vite un électron, et les deux s’annihilent en produisant des photons gamma (c’est la radioactivité gamma). Ce qui signifie que…
5 réflexions sur « Par les deux bouts »
Le seuil légal en France est de 20 mSv pour les travailleurs en zone réglementée, 50 mSv probablement aux USA.
http://www.inrs.fr/risques/rayonnements-ionisants/reglementation.html
J’ai modifié en conséquence.
Bonjour, j’ai lu souvent que la banane émettait des positrons du fait de la désintégration du 40K qu’elle contient.
Or le 40K se désintègre en 40Ca par radioactivité Beta-moins, avec émission d’un e- et d’un antineutrino.
Où est le positron dans l’histoire ?
Ca dépasse de très loin mes compétences, aucune idée.