Salade de césars
– Tu sais, je commence à avoir un peu l’expérience de la chose, mais je ne te cache pas que ça va finir par me peser un peu.
– Tu fais référence à quoi, exactement ?
– Cette campagne.
– Ah. Oui. Je pense que c’est peut-être exactement le fait qu’on commence à en avoir vues quelques-unes.
– Possible. Mais quand même…
– Exceptionnellement nulle et navrante, j’en conviens.
– Plus ça va, plus j’ai tendance à rejoindre Churchill.
– Tu fais référence à sa façon d’avoir des réunions de travail à poil ?
– Ha, lui auss…mais non enfin, pas du tout ! J’apprécie le télétravail parce…c’est…
Visio ou pas, la cravate c’est non négociable. Il faut garder des repères, sinon ça devient n’importe quoi.
– Bon alors quoi ? Je t’avoue que quand tu me dis que tu commences à être d’accord avec un Britannique, je m’inquiète.
– Mais enfin, je n’ai rien contre les Ecossais.
Enfin, quand même, ce sponsor…
– Tu sais très bien ce que je veux dire.
– Je veux parler de sa fameuse maxime selon laquelle la démocratie est le pire régime à l’exception de tous les autres. Qui mérite d’être prise en considération au-delà de la simple formule facile pour amuser sur un mode cynique, mais ce n’est sans doute pas le lieu ni le moment. Tu comprends ce que je veux dire.
– Ô combien.
– Dieu sait que j’exècre le principe même de la monarchie et des régimes héréditaires, mais au moins la désignation d’un nouveau chef ne tourne pas au n’importe quoi complet.
– Oui alors…
– Mais non, c’est carré, c’est prévu depuis longtemps, et ce n’est pas l’occasion d’ouvrir une période de plusieurs mois pendant laquelle n’importe qui peut faire et raconter n’importe quoi pour flatter les instincts les plus idiots.
– Ca se discute…
– Je sais pas, tu imagines un tel cirque disons…dans la Rome impériale ?
– Alors, précisément, oui.
– D’accord, d’accord, j’ai dit cirque, donc tu vas me dire que Rome était par définition la capitale des jeux du cirque. J’ai mal choisi mes mots.
– Non non, je ne pensais même pas à ça. Sans même parler des nombreuses fins de règnes qui ont été, disons, expéditives et assez peu protocolaires pour les personnes concernées, tu as eu quelques successions qui n’étaient pas vraiment des modèles de solennité et de formalisme majestueux.
– Ah oui ?
– Absolument. Et je ne vais même pas avoir besoin de te renvoyer à un épisode obscur de l’histoire romaine, on est en plein dans ta période préférée, si j’en crois tes goûts cinématographiques.
– Euh, c’est-à-dire ?
– Attends, on sait tous où vont tes préférences en matière de films d’inspiration antique.
– Attends, ne généralise pas. Gladiator est tout simplement l’un des meilleurs films de l’histoire, mais quand c’est ce charlatan de Kubr…
– Tuh tuh tuh, arrête-toi là, c’est bien de ça que je te parle. Le dernier quart du deuxième siècle de notre ère, et la succession de ce bon Marc-Aurèle.
– Ah, effectivement, tu me parles là. Donc ce brave Marc-Aurèle, qui meurt en 180 quelque part en Germanie.
– Jusque-là tu as tout bon.
– Brutalement assassiné par son maniaque de fils Commode alors qu’il voulait confier Rome à un général…
– Non. NON ! L’empereur-philosophe meurt dans son lit, et il est tellement en froid avec son fils et successeur désigné qu’il demande à ses proches et conseillers de veiller sur lui et de l’assister dans son règne.
– Bon, d’accord, licence artistique, tu ne racontes pas une bonne histoire sans un méchant, donc parfois il faut un peu tordre le bras à l’histoire pour l’avoir.
– Alors pas tant que ça, en fait. Si l’accession de Commode au trône en mars 180 ne soulève en elle-même aucun doute ni difficulté, ça se gâte assez vite. Le film a raison sur au moins un point : il veut s’appuyer sur la plèbe et l’armée, plutôt que sur le Sénat pour lequel il n’a manifestement pas une grande considération. Commode va donc allégrement taper dans la caisse pour organiser des jeux et distributions frumentaires, c’est-à-dire des ventes à très bas prix, voire des dons gratuits, de blé.
– J’imagine que ça coche assez bien la case « gagner les faveurs du peuple ».
– Assez, oui. Il favorise également les soldats. Mais pour financer tout ça, Commode a notamment l’idée de taxer les sénateurs.
– Y’a peu de chances qu’ils apprécient.
– Ta clairvoyance m’impressionne. Par ailleurs, il prend l’habitude d’inverser la traditionnelle formule « Par le Sénat et le Peuple romain ».
– Le fameux SPQR.
– Voilà. Lui préfère dire « Par le Peuple et le Sénat romain », PSQR, ce qui ne laisse aucun doute sur la considération qu’il accorde à l’un et à l’autre. Commode se met ainsi à dos le Sénat, qui fomente plusieurs conspirations qui échouent mais n’arrangent pas les choses. Ainsi dès 182 des sénateurs et sa sœur, qui s’appelle effectivement Lucilla, essaient de s’en débarrasser.
«Commode n’est pas…facile…à vivre tous les jours. »
L’empereur s’en sort, et réagit avec une relative modération puisqu’il se contente de condamner sa frangine à l’exil. Pendant un temps, il la fera tuer plus tard. Aussi, il prend l’habitude de résider de plus en plus en dehors de Rome, histoire de mettre un peu de distance avec des gens qui ne lui veulent pas forcément du bien.
– Il prend mal qu’on ait essayé de le tuer, ça peut se comprendre.
– Oui, mais avec les années Commode devient complètement mégalo.
– Le pouvoir, que veux-tu.
– Certes, enfin là quand même il a semble-t-il scoré au niveau des plus grandes références du genre, comme Néron ou Caligula.
– Semble-t-il ?
– Ben on est un peu obligé de se référer largement à une source, l’Histoire Auguste. Or c’est un recueil de chroniques et biographies écrites aux 2e et 3e siècles par des auteurs pas toujours connus, ou par un seul anonyme plus tard. Donc ça n’est pas n’importe quoi, mais il n’est pas invraisemblable qu’on en ait un peu rajouté sur le sensationnalisme.
– Ecoute, les évangiles ont été rédigés de la même façon et je ne vois aucune raison de douter de leur véracité factuelle.
– D’accord, c’est toi qui gère le courrier sur ce coup. Pour en revenir à l’Histoire Auguste, il faut aussi préciser que le ton général est plutôt pro-Sénat. Pour le dire autrement, tout n’est peut-être pas à prendre au pied de la lettre. Cela dit, ce qui nous est raconté de Commode est tellement gratiné que même en admettant qu’il y a un peu d’exagération, est on en droit de se dire qu’il avait quand même bien disjoncté.
– Je t’écoute.
– Il prétend être non plus le fils de Marc-Aurèle, mais carrément et en toute modestie celui de Jupiter lui-même. Ce qui lui permet de se présenter comme un dispensateur de bienfaits pour le peuple, un combattant héroïque et un guerrier exceptionnel, un demi-dieu empereur.
– Parce qu’il part à la guerre ?
– Ah non, pas du tout. Par contre il fréquente assidûment l’arène.
– Laquelle ?
– Celle du cirque, banane. L’arène, l’endroit avec du sable où des gens se trucident pour le plus grand bonheur de la foule.
– Je vois. Donc Commode s’est vraiment pris pour un gladiateur ?
– Ca, oui, et pas qu’un peu. Il se trouve qu’il est d’après ses contemporains assez impressionnant physiquement, et il participe régulièrement aux jeux qu’il organise lui-même. Ce que les Romains considéraient semble-t-il comme indigne de l’empereur. Il se trouve qu’il gagne tous ses combats, ses adversaires finissent toujours par abandonner.
– Ca alors !
Pas de nos jours qu’on verrait ce genre de choses.
– Note qu’il a le bon goût ou la décence de toujours les épargner.
– C’est déjà ça.
– Aussi, il se faisait payer par la ville pour combattre dans l’arène.
– Admirable.
– Il a aussi trucidé pas mal d’animaux exotiques dans l’arène, des lions et panthères aux autruches en passant par des éléphants ou des girafes. Et comme il gagne, il se fait représenter en Hercule, qui est après tout son lointain frère, puisque fils de Jupiter lui aussi.
Ca, pour le coup, on a des preuves.
Y compris en modifiant le colosse de Néron, une grande statue de ce dernier placée à côté du Colisée. Elle devient une statue de lui, en Hercule, un lion à ses pieds, avec une inscription qui le décrit comme le seul combattant gaucher à avoir vaincu 12 fois 1 000 hommes.
– Ah oui, il était… ?
– Ben manifestement.
– Je retire tout le mal que j’ai dit.
– En 191, une partie de Rome est brulée pendant un incendie. Commode en profite pour se déclarer un nouveau Romulus. Il refonde rituellement Rome, qu’il renomme Colonia Lucia Annia Commodiana.
– Tant qu’à faire.
– Par ailleurs, il s’est un peu lâché sur l’état civil, puisqu’à l’époque il a officiellement 12 noms, dont Hercule et Suprême. Attention, je prends ma respiration : Lucius Aelius Aurelius Commodus Augustus Herculeus Romanus Exsuperatorius Amazonius Invictus Felix Pius.
– Amen !
– Par la suite, il veut qu’on l’appelle également Pacificateur du Monde et Notre Seigneur.
– Je ne vais pas mentir, l’idée m’a aussi traversé l’esprit.
– Je ne suis pas surpris. Et tu auras évidemment remarqué l’heureuse correspondance.
– De quoi ?
– Ben, 12 noms. Comme… ?
– Les 12…doigts de la main ? Non, attends…apôtres, non sans doute pas, travaux d’Hercule ?
– Alors oui, mais aussi les 12 mois de l’année.
– Ah non, pas encore une histoire de calendrier romain ! J’ai encore mal à ma tête de la précédente.
– Rassure-toi là c’est très simple : Commode donne un de ses noms à chaque mois.
– Effectivement, il ne se casse pas la tête.
– Ah ben de toute façon il est parti dans une grande partie du jeu que les rédacteurs d’un journal satirique paraissant le mercredi appellent « ma binette partout ». Les légions sont rebaptisées Commodies, de même que la flotte qui transporte les grains depuis l’Egypte, ou encore le Sénat qui devient Sénat Commodien. Et puis comme à ce stade ce n’est plus la peine de faire semblant, les Romains eux-mêmes s’appellent maintenant les Commodiens, et toutes ces décisions sont prises pendant le Jour Commodien.
– C’est comm…pratique.
– Oui, et ça commence à bien faire pour une bonne partie des figures romaines, qui se disent qu’il est temps de lui faire prendre une retraite anticipée. Fin 193, le préfet de la garde prétorienne, Quintus Aemilius Laetus, son chambellan Eclectus, et sa concubine Marcia organisent un empoisonnement.
– Aux grands maux…
– Oui mais Commode s’en sort. Et prend alors la deuxième lame quand son esclave Narcisse, qui l’entraînait aux armes, l’étrangle dans son bain. Commode meurt le 31 décembre 193.
« Nul ce réveillon. 0/5. »
– Bonne chose de faite.
– Oui, mais se pose comme toujours la question de son remplacement. Commode n’a pas de successeur désigné. Qu’est-ce qu’on va mettre à sa place ?
On devrait pouvoir trouver.
– Attends, nous avons de toute évidence affaire à des conjurateurs sérieux. S’ils avaient pensé une deuxième option pour rectifier Commode, ils avaient déjà une idée pour son remplaçant.
– Semblerait bien que oui, effectivement, parce que l’affaire est rondement menée. Son successeur est désigné empereur dès le 1er janvier.
– Et surtout la santé. C’est qui ?
– Pertinax.
-C’est pertinent. C’est pertinent ?
– Vu la suite, ça se discute.
– Dis-m’en plus.
– Publius Helvius Pertinax, de son nom complet, est né en 126. C’est le fils d’un esclave affranchi, qui s’enrichit dans la confection et le commerce de laine.
– Voilà, quand on veut on peut.
– Euh…ok. Il fait carrière dans l’armée, devient procurateur provincial puis sénateur, consul, et gouverneur. C’est un parcours classique, mais faut quand même le faire. Il intègre le cercle des proches de Marc-Aurèle, et fait donc partie de ceux à qui ce dernier demande de veiller sur Commode et de le conseiller après sa mort.
– Mission moyennement accomplie.
– Pendant le règne de Commode, il est soupçonné à un moment d’avoir été associé à une conjuration contre à la vie de ce dernier, et doit se retirer un temps de la vie publique. Mais il revient dans les bonnes grâces de l’empereur, notamment en prévenant une mutinerie militaire en Bretagne. Il devient proconsul d’Afrique, puis préfet de Rome. Par ailleurs, il épouse Flavia Titiana, fille de Flavius Sulpicianus.
– Donc si j’ai bien suivi, au moment où Narcisse montre à Commode comment faire une vraie prise d’étranglement, Pertinax est à Rome et a déjà roulé sa bosse.
– Exactement. Laetus, le préfet de la garde prétorienne, lui propose alors de prendre le relais. Enfin disons qu’il lui demande sans doute plutôt combien Pertinax est disposé à payer pour que les prétoriens le soutiennent, puisque ce sont eux qui mènent la danse. Et de fait, il leur promet une prime en échange. C’est comme ça que le Sénat le nomme empereur dès le lendemain.
Il a le profil du poste.
– Eh ben allez, au boulot. En commençant par payer ce qu’il a promis, j’imagine.
– Oui, sauf que les coffres sont vides, dans la mesure où Commode a allégrement tapé dedans pour organiser ses fêtes et jeux divers.
– Et d’été.
– Tu veux que je te monte une prise d’étranglement ?
– Non merci.
– Pertinax décide donc des mesures d’austérité, veut vendre des biens de Commode.
« Ca vous intéresse un buffet de Commode ? »
Il limite aussi sévèrement le budget festivités, les privilèges des prétoriens, et revoit à la baisse la somme qu’il doit leur verser.
– Je suis pas sûr que c’est comme ça qu’ils voyaient leurs étrennes.
– Non. Sachant qu’en tant qu’officier il est depuis toujours partisan d’une discipline stricte dans les rangs.
– Après tout il a fait carrière en matant des mutineries.
– Voilà. Pertinax se met ainsi à dos la plèbe et les prétoriens. Plutôt que d’aller frapper aux portes pour vendre un calendrier et arrondir leurs fins de mois, ces derniers décident de prendre les choses en main. Une délégation de 300 gardes prétoriens se pointe chez Pertinax pour lui signifier qu’ils sont moyennement satisfaits de sa période d’essai.
– Qui devient période décès ?
– Exactement. Le règne de Pertinax prend fin à coups de lame le 26 mars, soit une durée de moins de trois mois.
– Ils ne lui ont quand même pas laissé beaucoup de temps pour faire ses preuves.
– Non. Les chroniqueurs de l’époque, notamment le sénateur et historien Cassius Dio, considèrent d’ailleurs que c’est assez injuste et dressent de Pertinax un portrait plutôt flatteur : intègre, sérieux, soucieux de biens gérer les affaires publics et de privilégier des institutions comme l’intérêt général. Même s’il a sans doute voulu aller trop vite, ce qui a conduit à la réaction hostile qui lui a coûté la vie, et qu’il a été idiot de vouloir confronter les soldats qui venaient s’en prendre à lui plutôt que de fuir.
– Aussi, si ton Dio était sénateur, il était peut-être un peu biaisé.
– Je place ma foi en Dio.
Double double corne, avec un x comme Pertinax.
– Oui ben en attendant il faut encore trouver un empereur.
– Effectivement, sauf que cette fois le remplacement n’a pas vraiment été anticipé, on n’a pas de solution toute prête. C’est alors que le beau-père de Pertinax, Flavius Sulpicianus, qui est entre-temps devenu préfet de Rome…
– Il a récupéré le poste laissé par son beau-fils quand ce dernier est devenu empereur ?
– Oui.
– C’est beau.
– Flavius Sulpicianus, donc, prend contact avec les prétoriens pour devenir empereur. Mais ils ne sont pas pleinement convaincus, et cherchent un autre candidat. C’est alors que Marcus Didius Julianus se déclare intéressé.
– C’est qui encore celui-là ?
– Julianus est né en 137, ou peut-être 133, dans la région de Milan. Il grandit au sein de la famille de Domitia Lucilla, la mère de Marc-Aurèle. Il bénéficie donc de leur soutien dans sa carrière politique. Il devient rapidement questeur, édile, préteur, c’est-à-dire qu’il monte en grade dans la magistrature du Sénat. Le poste de préteur lui donne le droit de porter la toge dite prétexte, et je veux croire que ça signifie qu’il a le droit de s’habiller en toge quand il veut juste parce qu’il a envie, sans avoir à se justifier.
– Le rêve.
– Marc-Aurèle le nomme à la tête de la Légion XXII, positionnée à Mainz en Germanie, puis il tient également le poste de gouverneur de Belgica (Gaule belge), dans lequel il repousse une tentative d’incursion de la tribu germaine des Chauques. Il monte alors encore en grade, et est promu consul en 175, en même temps qu’un certain Pertinax.
– Comme on se retrouve.
– Par la suite, il…ok, je vais te demander de faire un très gros effort sur toi-même, d’accord ?
– Euh, pourquoi d’abord ?
– C’est…promets-moi, s’il-te-plaît. Pas un mot pendant les 30 secondes qui viennent.
– Mais…
– Vraiment, j’en ai besoin.
– Bon. D’accord.
– Juianus part en campagne contre une tribu germanique vivant entre la Hesse et la Basse-Saxe. Les Chattes.
– Il…
– NON !
– Mais il part en guerre contre les…
– TU AS PROMIS !
– Gnnnnnnnnnn
– Tu peux sortir un moment si tu veux.
[Intermède]
Non, nous n’avons honte de rien.
– Ca va mieux ?
– Je ne te le pardonnerai jamais.
– Bref. Julianus est promu gouverneur de Dalmatie, et ensuite de Germanie inférieure jusqu’en 185. Commode le nomme alors praefectus alimentorum en Italie, c’est-à-dire en charge d’organiser l’aide alimentaire pour les populations les plus démunies de la péninsule. Sans doute une sanction pour avoir un peu trempé dans un complot contre lui.
– Oui bon ben comme tout le monde, faut y passer à un moment ou à un autre.
– Enfin Julianus est nommé à la tête de la Bithynie (nord de la Turquie actuelle), et enfin proconsul d’Afrique à la place de Pertinax.
– Ils sont faits pour se suivre.
– En ce 27 mars 193, la situation est donc la suivante : Flavius Sulpicianus est dans le camp des prétoriens, puisqu’il est allé leur proposer sa candidature, et Didius Julianus est à l’entrée.
– Va falloir décider lequel choisir.
– Exactement.
– Je sais ! Un duel.
– Ils ne sont plus tout jeunes l’un comme l’autre, et puis non. C’est barbare. On est entre gens civilisés quand même. On parle de devenir empereur de Rome, quoi, on ne va pas se salir à des trucs vulgaires !
– Eh ben alors quoi ?
– Des enchères.
– Des enchères ? Mais genre…pour vendre quoi ?
– Ben le trône. Enfin techniquement, l’appui de la garde prétorienne pour obtenir le trône.
– La garde leur dit qu’elle soutiendra le plus offrant, donc merci d’allonger les sesterces ?
– C’est exactement ça. Le titre de césar est à vendre. Flavius et Didius commencent donc à faire des offres et contre-offres pour obtenir le trône. Didius finit par promettre 25 000 sesterces par prétorien, soit environ 200 millions. Autant dire que c’est une somme colossale. Et aussi de restaurer le nom de Commode, retiré de plusieurs bâtiments publics et archives mais toujours populaire auprès des prétoriens. Flavius ne peut plus suivre, et lâche l’affaire.
– Bravo, c’est admirable.
– Didius ne demande pas la mise à mort de Flavius, ce qui est plutôt sympa de sa part, et le Sénat valide la nomination de Didius Julianus comme empereur le 28 mars. Il devient donc Imperator Caesar Marcus Didius Severus Julianus Augustus.
« Va falloir raccourcir l’année. »
– Ecoute, le procédé n’est pas glorieux, mais ça y est, on a un empereur, fini de faire n’importe quoi.
– Rien du tout, oui. L’autorité de Julianus est tout de suite contestée par plusieurs gouverneurs provinciaux. Il faut dire que les légions postées aux frontières de l’empire prennent mal que des primes énormes soient proposées aux prétoriens quand eux n’ont rien, alors qu’ils sont aux avant-postes et risquent leur peau pour Rome.
– Ca se défend.
– Nous avons donc trois autres césars autoproclamés : Pescennius Niger de Syrie, Clodius Albinus de Britannia, et finalement Septime Sévère de la proche Pannonie (entre l’Autriche, la Hongrie, et la Croatie). Ils revendiquent tous le tire d’empereur, ce qui explique que l’année 193 a été qualifiée d’année des 5 empereurs, puisqu’entre ces trois-là, Pertinax, et Didius Juianus ils sont autant à avoir détenu ou prétendu détenir l’autorité impériale.
Un peu de dignité messieurs, on se croirait à gauche avant une présidentielle.
– Je suis sûr que tout ça va se régler à l’amiable.
– Mal parti. Septime, qui est le plus proche, marche sur Rome en juin. Julianus le fait déclarer ennemi public, et envoie un sénateur pour convaincre ses soldats de l’abandonner, sans succès. Il nomme un nouveau gouverneur de Pannonie, pas mieux. Puis il confie à un centurion la mission de l’assassiner. Encore raté.
– Quand ça ne veut pas.
– Julianus propose alors à Septime d’être co-empereur, et fait exécuter le préfet prétorien et sa concubine qui étaient impliqués dans l’assassinat de Commode, pour gagner en popularité dans la troupe.
– Ca marche ?
– Bof. Septime fait mine d’accepter la proposition de co-empire, et en profite pour continuer son avancée en obtenant le ralliement de plusieurs villes. Il promet aux prétoriens qu’ils ne subiront aucune conséquence s’ils arrêtent les meurtriers de Pertinax et abandonnent Julianus. Ce qu’ils font.
– Quelque chose me dit que c’est plié.
– Effectivement. Le Sénat condamne alors Julianus à mort et proclame Septime empereur. Julianus est exécuté le 1er juin, après un règne de 66 jours. Sa mémoire est condamnée, et son patrimoine saisi.
– Classique.
– Pour éviter de rencontrer le même problème, Septime dissout les prétoriens et les remplace par les Pannoniens, venus de sa province. Aussi, il fait exécuter les soldats qui ont tué Pertinax et lui rend hommage avec des funérailles d’Etat. Il organisera par la suite des jeux pour les anniversaires de sa naissance et de son couronnement.
– On est d’accord qu’il avait promis d’épargner ceux qui avaient tué Pertinax ?
– Oui, bon, les promesses électorales…
– Et il reste en vie combien de temps, Septime ?
– Il règne plus de 17 ans, ce qui fait bien remonter la moyenne.
– C’est mieux, en effet.
– A noter que du fait de la brièveté de leur règne, Pertinax et Julianus sont les amis des archéologues.
– Comment ça ?
– Ils ont été empereurs tellement peu de temps que les seules monnaies portant leurs portraits viennent de l’atelier de Rome, et il n’y en pas eu beaucoup. Donc si tu retrouves une pièce à leur effigie, tu sais à quelques semaines près de quand elle date.
– C’est utile.
– Mais oui.
– Je t’en veux quand même toujours pour la guerre des Chattes.
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