Squeakie et ses petites manies

Squeakie et ses petites manies

– Je ne dis pas que je n’ai pas aimé, je dis que sur le fond, c’est du réchauffé.

Once upon a time… in Hollywood, du réchauffé ?

– Ben tu admettras qu’on a dit à peu près tout ce qu’on avait à dire sur Charles Manson, son foutu ranch paumée, sa Famille de gamins fanatisés, ou le massacre de Sharon Tate et de ses amis. C’est littéralement LE truc qu’on retrouve le plus souvent dans la pop culture dès que ça parle de secte et de tueurs en série. Je n’en peux plus de Manson, tout le monde sait tout de lui depuis des lustres.

– Tu veux dire que tout le monde est au courant que les Beach Boys lui ont piqué une chanson ?

– Hein ?

– Comme je te le dis. Tu as l’original ici chanté par Manson lui-même, le groupe s’est juste contenté de modifier la rythmique et de modifier les paroles à la marge pour en faire quelque chose d’un peu moins sinistre que Cease to exist, devenu l’à peine moins glauque Cease to resist. Si ça t’intéresse, Manson a même sorti un album entier au beau milieu de son procès, en 1970.

– Non ?

Oh si.

– Bon d’accord peut-être qu’on ne sait pas tout mais…

– Et tu vas me dire que tout le monde sait qu’une des jeunes femmes de la Manson Family a failli buter un président ?

– Pardon ?

– Et pas n’importe quel président, celui des Etats-Unis.

– D’accord, je suis impressionné.

– Gerald Ford, pour être exact.

– Je suis beaucoup moins impressionné. Il a été président, lui ?

– On oublierait presque, hein ? Et pourtant oui, même s’il n’a jamais été élu.

– Ben forcément que si, au moins comme vice-présid…  

– En 1972, quand Nixon est réélu, c’est sur le même « ticket » que pour son premier mandat, Spiro Agnew en l’occurrence. Mais en 1973, boum : Agnew tombe pour corruption et fraude fiscale.

– Une fine équipe qu’il formait, avec Nixon, dis donc.

– La meilleure. Bref, il se fait dégager avant d’être remplacé par Gerald Ford. Et en 1974 donc…

– … Le Watergate.

– Bingo. Le 8 août 1974, Nixon finit par démissionner et voilà comment tu te retrouves à poser tes miches dans le fauteuil du Bureau ovale sans l’ombre d’un bulletin de vote à l’appui.

– Je ne vois toujours pas le rapport avec Charles Manson.

– Avec Manson lui-même, aucun. Avec Lynette « Squeaky » Fromme, on ne fait pas plus direct.

– « Squeaky » ?

– Oui ?

– « La couineuse » ?

– En référence au timbre de voix qui lui a valu son surnom dans la secte de Manson, oui. On la voit dans le film de Tarantino, d’ailleurs : c’est la jeune fille rousse interprétée par Dakota Fanning, celle qui protège la sieste du vieux proprio du ranch. Elle avait autour de 22 ou 23 ans et sortait comme une bonne partie des membres de la Famille de la classe moyenne supérieure. Le genre WASP, bonne élève, membre d’une chorale réputée… Un cas d’école de ce qui a tant emmerdé les Américains au moment du procès de Manson : la capacité de celui-ci à détourner en quelques mois leurs petites filles bien sages du « droit chemin » pour en faire des hippies, ce qui les agace quand même un peu, ou des meurtrières insensibles et fanatisées, ce qui les agace quand même beaucoup.

« Ce symbole ? La course du soleil enfin, vous voulez que ce soit quoi d’autre ? »

– Vu. Et c’est elle qui a tenté de flinguer Ford ?

– Oui, mais plusieurs années après la série de meurtres commis par ses petits copains à Hollywood, meurtres dans lesquelles elle n’a d’ailleurs pas été impliquée.

– Ce qui explique qu’elle n’ait pas fini en tôle comme Manson et les autres.

– Elle a quand même passé trois mois en détention au moment du procès pour un motif qui me ferait presque marrer si l’affaire n’était pas aussi glauque.

– Du genre ?

– Procès ou pas, Squeakie était toujours sous l’emprise de Manson, au point de prendre la tête de ce qui restait de la Famille, de se graver une croix au couteau à la racine du nez comme lui et d’organiser manifestation sur manifestation devant le tribunal en hurlant au complot. Pour le protéger, elle a été jusqu’à tenter de flinguer le témoignage de Barbara Hoyt, une ancienne de la communauté. Et la méthode était… originale : elle a tenté de lui faire passer un hamburger truffé de LSD.

Certaines mauvaises langues pourraient prétendre que ça aurait plutôt tendance à améliorer le McDo de base.

– Ah.

– Bizarrement, ça a foiré mais les juges ont modérément apprécié la plaisanterie. Après la condamnation à mort de Manson – commuée ensuite en détention à perpétuité – la Famille a explosé et la plupart de ses membres ont fini par couper les ponts avec leur ancienne vie, à quelques exceptions près.

– Dont Lynette, j’imagine ?

– Tout juste. Elle a été jusqu’à s’installer à Sacramento pour se rapprocher de la prison de Folsom où Manson avait été transféré et s’est engagée dans la cause environnementale.

– Eh ben écoute c’est plutôt pas mal de revenir à des occupations militan…

–  Dans son cas pas tellement, non. Depuis sa cellule, Manson a toujours autant d’influence sur elle. A sa demande, elle fonde l’Ordre de l’Arc-en-ciel avec une autre des Manson Girls, Sandy Good, un truc à l’opposé de l’amour libre et de la liberté totale que leur avait vendu Manson à la grande époque. Cette fois-ci et pour une raison qui m’échappe un peu, sauver les arbres et les baleines implique de ne plus faire l’amour, d’éviter les séries violentes à la télévision et de ne plus fumer.

– Du moment que Manson ne peut plus en profiter, tout le monde fait ceinture, quoi.

– C’est aussi un peu comme ça que je l’interprète. Chaque membre de cette « église » improvisée et pour tout dire un poil miteuse sur les bords et au milieu adopte une couleur – le rouge, dans le cas de Lynette.

– Et à part s’habiller en rouge, elle s’occupe à quoi ?

« Oh, je voyage ici où là. »

– À planifier la mort du président, pourquoi ?

– Ben oui, suis-je bête.  

– En fait, j’exagère un peu, il n’y a pas de plan démoniaque minutieusement préparé. Disons qu’un beau matin, Lynette découvre dans la presse locale que Gerald Ford s’apprête à venir à Sacramento pour prendre la parole devant la crème de la crème des milieux d’affaires californiens. Dans sa tête, ça fait tilt : quel meilleur moyen de protéger l’environnement que de buter le 38e président des Etats-Unis au moment où il vient s’adresser à une jolie collection de chefs d’entreprise ?

– Oh ben j’en vois quelques autres.

– Pas elle. En plus elle est déjà équipée : elle possède une arme à feu impressionnante, un Colt .45 M1911. Bon, l’arme pèse un âne mort et demi et n’est plus de première jeunesse puisqu’elle est sortie de l’usine en 1911 mais elle est en parfait état de marche.

– Vu son flingue, j’imagine que le but n’est pas de la jouer façon Oswald.

– Ah non. Le M1911, c’est une arme de poing et ça suppose des tirs à courte distance vu que ça tient plus de l’arrosoir que du fusil de précision. La bonne nouvelle, c’est qu’on commence doucement à préparer la campagne présidentielle de 1976 et qu’il y a de fortes chances que Ford sorte en public pour serrer des louches. Le matin du 5 septembre 1975, Lynette met donc sa plus belle robe rouge, s’attache un holster à la cuisse et y glisse son Colt, chargeur engagé, avant de quitter son appartement, direction Capitol Park. Elle arrive à l’heure exacte où Ford sort de son hôtel pour s’offrir un petit bain de foule. Le président avance doucement, échange quelques mots avec ses supporters et serre les mains des gens sur une cinquantaine de mètres quand il aperçoit soudain une jeune femme qui en jette dans sa robe rouge vif.

– Et ensuite ?

– Je crois que c’est encore Ford qui le raconte le mieux (à partir de 5’55) : « en m’arrêtant, j’ai vu une main traverser la foule au premier rang et dans cette main, il y avait un revolver ». Franchement, il a dû voir sa vie défiler devant ses yeux à ce moment là, parce que regarder droit dans le canon d’un flingue à moins d’un mètre…

– Mais comment il a pu s’en sortir vivant ?

– La balle s’est arrêté à l’ultime page de la Bible qu’il portait dans la poche intérieure de son veston.  

– Tu te fous de moi ?

– Oui. Lynette avait plus prosaïquement oublié un tout petit détail.

– Le cran de sécurité ?

– Quand même pas à ce point. Non, elle n’avait pas pensé à faire monter une balle dans la chambre en jouant sur la culasse. Résultat : un bien beau clic métallique quand le percuteur claque dans le vide, et rien d’autre. Dans la nanoseconde suivante, la moitié du Secret Service lui est tombée sur le râble ou à peu près, l’empêchant de tenter un second tir pendant que leurs copains téléportaient Gerald Ford à l’autre bout de la ville.

–  Elle a dû être déçue la pauvre.

– Très. Pendant qu’on la maintient au sol, elle n’arrête pas de crier « Il n’est pas parti ! Tu le crois, ça ? Il n’est pas parti ! », ce qui a un peu compliqué sa ligne de défense ensuite.

– Ligne de défense qui consistait en quoi ?

– Elle a prétendu qu’elle voulait simplement effrayer Gerald Ford et qu’elle avait donc soigneusement fait exprès de ne pas faire monter de balle dans le canon.

« Mais puisque je vous dis que c’était une BLAGUE. Aucun humour. »

– Mmmmh. Et ça a marché ?

– Pas trop, non. Les jurés ont considéré que si elle avait juste voulu que Ford se fasse pipi dessus, elle n’aurait peut-être pas rempli son chargeur de sept bastos parfaitement fonctionnelles. Son attitude au procès n’a pas tellement aidé non plus.

– C’est-à-dire ?

– Elle a lancé une pomme à la tronche du procureur.

– Ah quand même. Du coup, résultat des courses ?

 – Prison à vie. Elle y est restée 34 ans avant d’obtenir sa libération conditionnelle en 2009. Elle a 70 ans, aujourd’hui.

– Elle a lâché Manson ?

– Jamais. Aux dernières nouvelles, elle s’est installée avec son boyfriend dans une maison un rien délabrée, au beau milieu d’une petite ville de l’état de New-York.

– Ben c’est plutôt encourag…

– Son petit copain est un meurtrier condamné et toute la baraque est apparemment décorée avec des crânes, mec.

– Oh.

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