Tiens, et si on bombardait un volcan ?
– Aaah Hawaï.
– Eh ben quoi, Hawaï ?
– T’occupe, je me cherche une destination de vacances. 137 îles. Le surf. Les vagues. La bouffe. Les chemises. Je me vois déjà courir sur le sable au soleil couchant tel Steve MacGarret dans Hawaï « tatatatataaaaa » Police d’État.
– Moi aussi et je n’ai pas fini de rigoler. Cela dit, tu oublies deux gros facteurs de risques, là.
– Hein ? C’est le 50e état américain. Je veux bien que ce ne soit pas sûr à 100 % m’enfin je ne serais tout de même pas en train de me balader en agitant une Rolex au milieu des quartiers chauds de Medellin. Tu penses à quoi ?
– Le ukulélé, déjà.
– Patate. Et l’autre ?
– Les volcans.
– Bonne remarque.
– Oui. Tes 137 îles forment un des archipels volcaniques les plus dangereux de la planète avec quelques stars comme le M’auna Loa, le volcan le plus haut du monde. La dernière fois qu’il a pété, en 1984, il a recraché 220 millions de mètres cubes de lave.
– Tu as mal écrit 220 000.
– Nope. C’est bien 220 millions. Alors pardon mais la notion de quartier chaud, elle prend vite une autre dimension, à Hawaï.
– Finalement je vais peut-être revenir à cette idée de gîte rural dans la Beauce. Un bon coin, ça, la Beauce. Aucun risque de s’y faire cramer le fion par une éruption.
– Allons Sam, suis ton destin et ne t’inquiète pas : l’Amérique veille.
– Oui enfin la dernière fois que j’ai regardé, l’Amérique n’avait pas encore trouvé le moyen de reboucher un M’auna Loa en pétard.
– Oh si. Enfin il y a au moins un gars qui en est convaincu : Thomas A. Jaggar.
– Moui. Des gens persuadés qu’ils peuvent changer le destin de l’Europe en sautant sur place comme des cons, il y en a aussi et c’est de la burne en pâté, tu sais.
– Sauf que feu Jaggar était tout sauf un plaisantin. C’est un géologue reconnu avec un CV long comme le bras. Formé au MIT, doctorat à Harvard, passionné par les volcans d’Hawaï au point d’y avoir fondé en 1912 un Observatoire volcanologique qui existe toujours… Un scientifique tout ce qu’il y a de sérieux.
– Admettons.
– Mais c’est aussi un Américain. Et qu’est-ce qu’on sait sur les Américains ?
– Ils ne reculent jamais devant une idée qui fait boum ?
– Exactement. Du coup, lorsque le M’auna Loa pique une crise en novembre 1935, Jaggar a l’idée du siècle : le bombarder.
– Pardon ?
– Il y a urgence, il faut dire. Après plusieurs semaines, l’éruption menace les 15 000 habitants de la ville de Hilo, au nord-est de l’île d’Hawaï elle-même : d’après les calculs de Jaggar, la ville serait rasée par les coulées de lave le 9 janvier suivant. Il en conclut que c’est le moment idéal pour tester une vieille théorie à lui, qui veut qu’une série d’explosions suffisamment puissantes pourraient boucher les « tubes » souterrains que la lave emprunte avant de s’écouler en surface. En gros, Jaggar pense qu’en faisant péter suffisamment de bombes, les tunnels s’effondreraient.
– Va savoir pourquoi mais là comme ça, à l’instinct, ça me paraît fractalement con, comme idée.
– C’est… Original. Et Jaggar a du pot : il y a un gars à peu près aussi barré que lui sur l’île, et il adore l’idée.
– Et c’est qui ?
– Patton.
– Attends LE Patton ?
– Lui-même. George « Bandito » Patton, l’homme aux bottes de cavalerie et au flingue à crosse d’ivoire, celui qu’Hitler avait surnommé le cow-boy fou et qui s’est illustré sur à peu près tous les fronts ouverts par les Alliés à l’Ouest pendant la seconde guerre : en Afrique du nord, en Sicile, en Normandie, dans les Ardennes… Un personnage.
– Et qu’est-ce qu’il fout à Hawaï, Patton ?
– En 1935, il n’est encore que lieutenant-colonel et dirige l’US Army Air Corps, basé pas bien loin de là à Luke Field, sur Ford Island. Quand il prend l’appel de Jaggar, il dit oui tout de suite et comme ça urge, les pilotes du 23e Bombardment Squadron décollent de leur base le lendemain de Noël pour rejoindre Hawaï.
– Et il envoie quoi, comme zincs ?
– C’est là que c’est beau : six bombardiers Keystone B-3A et quatre autres bombardiers légers Keystone LB-6A.
– Alors ça ne me parle pas tellement, si tu veux.
– Ton manque de culture aéronautique m’affole. Les LB-6A, ça ressemble à ça.
– Mais… Ce sont des biplans ?
– Ton sens de l’observation me stupéfiera toujours, Sam.
– Des gars sont partis attaquer le plus haut volcan du monde en biplan ?
– Ooooooh oui. Et comme Jaggar ne serait pas vraiment américain s’il n’avait pas sauté sur l’occasion, il est évidemment monté à bord pour un premier vol de reconnaissance, officiellement pour montrer aux pilotes où lâcher leurs bombes, officieusement parce qu’il ne raterait pour rien au monde l’occasion de survoler une éruption volcanique.
– Faut admettre que je ne résisterais pas non plus.
– Oui, hein ? Bref : le 27 décembre, sous un soleil radieux, cinq des dix bombardiers du 23e décollent pour une mission badass as hell : bombarder un volcan. Les cinq autres décollent ensuite dans l’après-midi, avec le même objectif.
– Et alors ?
– T’es impatient, hein ? Tout se passe comme prévu. Les pilotes lâchent en tout une vingtaine de bombes MK1 de 300 kilos chacune sur le volcan. Mais tu sais ce qui se passe, quand tu lâches vingt bombes MK1 de 300 kilos sur un volcan ?
– Aucune idée.
– Ben ça fait de jolies explosions.
– Comme sur n’importe quel type de cible, tu me diras.
– Ah non. Parce que c’est un peu moins gênant de voir jaillir des débris et de la poussière sous ton zinc que des giclées de lave.
– Oh merde.
– Comme tu dis. Une partie des bombes arrive sur des zones refroidies et relativement solides et ne font d’ailleurs qu’érafler la surface sans pénétrer profondément – pour le gag, l’armée américaine en a retrouvé une non éclatée 40 ans plus tard, prise dans une couche de tuf volcanique…
Mais cinq autres bombes au moins finissent en plein milieu des coulées de lave. Et c’est un petit peu embêtant quand ça en projette une belle giclée juste sous ton avion.
– Ah.
– C’est presque logique : avec leur chargement de bombes, les bombardiers ont le vol lourd et comme le volcan est lui-même très haut, sans dire qu’ils volaient en rase-mottes, ils n’étaient pas bien loin de la surface. Un des pilotes, William C. Capp, a vu des morceaux de lave brûlants atteindre l’aile inférieure de son biplan et faire de jolis trous dedans.
– C’est ce qui s’appelle avoir chaud aux fesses. Ils ont réussi à rentrer ?
– Oui, tous les avions sont revenus à la base. Capp s’en est tiré avec une jolie trouille et probablement un slip à changer d’urgence.
– Bien. Et ça a marché ?
– C’est là que les avis divergent. Concrètement, il ne se passe strictement rien pendant une semaine. Les cratères creusés par les bombes sont immédiatement remplis par d’autres roches en fusion et les coulées de lave continuent leur petit bonhomme de chemin, à raison de deux kilomètres par jour. Lent, mais implacable.
– Jaggar doit tirer la gueule.
– Pendant une semaine, sans doute. Mais le 3 janvier, la coulée ralentit puis s’arrête à quelques encablures de Hilo. Un qui saute dans tous les sens en braillant qu’il l’avait bien dit, c’est Jaggar. Même son de cloche du côté de l’Air Force où on se rengorge : l’opération est un succès, les bombes ont fait s’effondrer les couloirs souterrains, la ville est sauvée : champagne. Jaggar raconte partout que son idée a sauvé Hilo et plastronne dans le New York Times : « L’expérience n’aurait pas pu être plus réussie (…) les résultats ont été exactement ceux que j’avais prévus ».
– Je te sens sarcastique.
– Moi pas tellement mais les volcanologues, oui. Pour la plupart des collègues de Jaggar, hier ou plus récemment, l’arrêt de la coulée une semaine après le bombardement est un pur hasard. Le seul qui n’en démordra jamais et qui jurera jusqu’à sa mort qu’il a trouvé le moyen de stopper une éruption volcanique en libérant la pression grâce à ses bombardements reste Jaggar lui-même. Enfin pas tout à fait : il y a aussi le 23e Bombardment Squadron qui soutient toujours aujourd’hui que ses glorieux anciens ont pilonné un volcan jusqu’à ce que mort s’ensuive. Ils ont remis ça une deuxième fois pendant la guerre, d’ailleurs, quand le volcan a pété à nouveau. Ils en ont même fait leur écusson…
– L’armée ne déçoit jamais.
– Ben oui et non. Une partie des habitants de l’île a moyennement aimé l’idée de bombarder un cratère, redoutant qu’une opération pareille ne fasse que fâcher Pele, la divinité traditionnellement attachée aux volcans.
– Je comprends mais c’est un peu de l’ordre de la supersti…
– T’iras dire ça aux six pilotes impliqués dans le raid qui se sont tués dans un accident d’avion moins d’un mois plus tard.
– Oh. Tout ça pour une idée à la con.
– Alooooors…
– Quoi ?
– En fait, ce n’est pas forcément SI con. En soi, il n’est pas complètement idiot de penser qu’on pourrait détourner un flot de lave avec des bombes modernes, plus puissantes et mieux guidées. C’est juste qu’on n’en sait rien… Pour la plupart des géologues, même une frappe nucléaire ne créerait pas un cratère suffisant pour « souffler » l’éruption, vu la puissance accumulée dans le sous-sol. D’autres estiment que ça vaudrait le coup de tester l’impact d’un truc comme la GBU-57.
– Kécéssé ?
– Une bombe anti-bunker de treize tonnes, pourquoi ?
– Oh ben oui, très bonne idée, tiens.
– Le Américains, mec. Et surtout prie pour que Michael Bay n’entende jamais parler de cette histoire, faute de quoi on risque de se bouffer un film catastrophe encore un peu plus ridicule qu’Armageddon.
2 réflexions sur « Tiens, et si on bombardait un volcan ? »
Cette nouvelle histoire du ‘porte nawak américain me rappelle un film que j’ai vu y’a quelques années. Rien de réaliste, autant le dire tout de suite, et encore des américains déjantés face à un volcan, mais cette fois ils s’y prennent un peu plus proprement (même si physiquement on comprend pas bien le mécanisme).
Au début de Star Trek Into Darkness, ce pauvre Spock est largué sur un volcan en éruption pendant que les humains, ces feignasses, se pavanent dans l’Enterprise, le tout pour…. faire de la technologie de fusion froide, je crois, qui refroidit instantanément tout le volcan et paf ça fait de la roche.
Non mais j’avais dit, c’était pas clair.
J’me demande si des gens ont eu cette idée folle, en vrai. Congeler un volcan jusqu’à ce que mort s’en suive. Je suis sûr que ça ferait une bonne anecdote.
Là où ça devient amusant, c’est quand on pense que d’autres ont eu l’idée de bombarder le Vésuve pendant la guerre pour PROVOQUER une éruption…