Ca envoie du lourd : j’en ai un peu plus, je vous le mets quand même

Ca envoie du lourd : j’en ai un peu plus, je vous le mets quand même

N’écoutant que l’appel de l’aventure et de leur destinée épique, nos deux héros se sont mis en quête du « cœur d’une étoile » pour y trouver le matériau nécessaire pour forger le marteau du dieu du Tonnerre. Après avoir passé en revue le fonctionnement d’une étoile en tant que fournaise cosmique, ils ont porté leur premier choix sur une naine blanche, une étoile en voie d’extinction dont le cœur effondré est phénoménalement dense. Replongez-vous dans la première partie de la saga ici.

Mais il semble qu’il y ait encore plus extraordinaire. Les voici maintenant sur la piste de la matière la plus sidérante de l’univers…

– Tu penses donc trouver encore plus lourd que le cœur d’une naine blanche pour faire mon marteau magique ?

– Oui. Je vais te présenter le matériau le plus incroyable de l’univers. Et toujours à partir d’une étoile mourante. Pour cela, repartons d’une étoile en bonne santé.

– Si je me souviens bien, tu as dit qu’une étoile comme le Soleil commence comme une grosse boule d’hydrogène, et au final relâche dans l’espace de l’hydrogène, de l’hélium et un peu de carbone. On n’est pas beaucoup plus avancés pour faire notre marteau. Ni quoi que ce soit d’autre, d’ailleurs.

– Tu as raison, mais c’est parce que le Soleil reste une petite étoile. Dans une étoile plus massive que le Soleil (au moins 8 fois plus), les réactions de fusion ne s’arrêtent pas au même stade. Par phase successive, elle fusionne d’autres éléments : néon, magnésium, oxygène, argon, chlore, potassium, calcium, titane, silicium, puis fer et nickel. Et là on a un problème.

– Avec le fer ?

– Oui. On ne peut rien en faire.

– Ha ha. Mais si, on peut faire des trucs en fer.

– Oui, mais pas une étoile. Le problème avec le fer et le nickel, c’est que leur fusion ne produit pas d’énergie. Il n’y a plus rien pour contrebalancer la gravité. Le cœur s’effondre, se contracte, puis la matière devient tellement compressée que c’est plus possible, ça pète.

– Attends, ça s’effondre tellement vers l’intérieur que ça finit par exploser vers l’extérieur ?

– Tu tiens à avoir les détails de la contraction gravitationnelle d’un cœur d’étoile en cours de neutronisation et du rebond provoqué par la force nucléaire ?

– D’accord, non.

– Donc ça pète. C’est une supernova. C’est énorme, c’est colossal, c’est cataclysmique à l’échelle galactique.

La Nébuleuse du Crabe, c’est-à-dire le nuage résultant de l’explosion d’une supernova il y a à peu

près un millénaire. Le nuage en question fait 5,5 années lumière de long/

Et là il se passe deux choses qui nous intéressent. D’une, l’explosion est d’une telle puissance qu’elle produit tous les éléments plus lourds que le fer, et balance le tout dans l’espace.

– Je dois comprendre que tout ce qui existe qui n’est pas de l’hydrogène ou de l’hélium a d’une façon ou d’une autre été produit dans des étoiles qui ont disparu depuis le Big Bang[1] ?

– Exactement. La table, la chaise, l’écran, toi et moi, nous sommes tous faits d’atomes constituées dans des étoiles. D’où la fameuse phrase de Sagan…

– Bonjour tristesse !

– Non, CARL Sagan, andouille. Qui disait que nous sommes poussières d’étoile.

Pour Françoise Sagan la « poussière d’étoile » était un truc qui se mettait dans le nez.

– Je note que si les étoiles produisent « tous les éléments lourds » ça m’avance pas beaucoup plus pour savoir en quoi faire mon marteau.

– Tu ne m’as pas laissé finir. Si on considère que la supernova est la mort d’une étoile, ce qui est assez juste, alors le « cœur d’une étoile mourante » c’est du fer et du nickel. On peut en faire des armes, mais bon c’est pas très remarquable. Mais, c’était mon point deux, c’est pas parce que l’étoile a explosé qu’il ne reste plus rien.

– Ah ah.

– Tu peux même trouver le matériau le plus dingue qui soit.

– Ben voilà, c’est ce qu’il me faut.

– Reprenons. L’étoile a explosé, balancé l’essentiel de sa masse, mais pas tout. Il reste un cœur. Là, deux possibilités.

– Encore ?

– Non mais ça va aller vite. Si, parce que l’étoile initiale était vraiment grosse, ce cœur de matière restante fait plus de 3,3 fois la masse du Soleil, il continue de s’effondrer sur lui-même, et on a un trou noir. Mais s’il est moins massif que ça, tu obtiens une étoile à neutron.

– C’est quoi. Encore. Ce truc ?

– Une étoile à neutron, c’est de la matière, l’équivalent d’au moins une fois et demie la masse du Soleil, compressée dans une sphère de quelques dizaines de kilomètres de diamètre.

– Attends, des kilomètres comme…

– Comme mille mètres oui. Imagine deux à trois fois la masse du soleil dans le diamètre de l’agglomération parisienne[2]. Autant te dire que la matière est compressée à un niveau inimaginable.

– Mais c’est quoi la matière en question ? C’est fait en quoi les étoiles à neutron ?

– C’est marqué dessus. En neutrons. On est partis de matière « normale », d’accord, mais elle a été tellement compressée qu’il ne reste plus que des neutrons, qui sont eux-mêmes compactés comme ça n’existe nulle part ailleurs. Attends, tu vois un atome ?

– J’ai une bonne vue, mais pas à ce point.

– Gros malin, tu vois le modèle d’un atome ?

– Ouais.

En tant que représentation exacte d’un atome, ce modèle est criticable, mais pour les besoins

de la démonstration il fera l’affaire.

– L’idée globale est que tu as le noyau, et les électrons qui orbitent autour. Ils orbitent loin. Imagine un atome dont le diamètre (c’est-à-dire l’orbite le plus éloigné des électrons) serait de 100 mètres, eh ben ton noyau ferait, allez 2 à 3 centimètres. Un atome, c’est plein de vide. Une étoile à neutron, non. Y’a plus de vide. Les neutrons sont complètement serrés les uns contre les autres.

Un atome.
Une étoile à neutron.

Le résultat est une matière…exotique. Le terme ne fait pas l’unanimité chez les physiciens, mais comme il existe quand même et qu’il sonne bien, appelons-là neutronium.

– Ah ben voilà ! Parfait ! C’est bien dense, c’est exactement ce qu’il me faut pour mon marteau ! C’est bon, j’ai trouvé, Mjölnir est en neutronium.

– Euh…non.

– Mais enfin pourquoi, et n’en finiras-tu donc jamais d’éteindre en moi la moindre étincelle d’enthousiasme enfantin ?

– Je me dois. Prenons les dimensions officielles d’une réplique de notre Mjölnir cinématographique, disponible évidemment en boutique. Un rapide calcul nous permet d’arriver à un volume de 4 907 cm3. A partir de la densité généralement admise pour le neutronium, ton marteau (sans le manche, mais vraiment c’est négligeable, vraiment) pèserait : 1.9628×1012 tonnes. Ou si tu préfères : 1 962 800 000 000 000 kg.

Attention au recul.

Même une bactérie surpuissante ne peut pas le manier ton truc.

– M’enfin…

– Et attends, quand il se brise, comme ça arrive dans les films, il libère suffisamment d’énergie, et de façon explosive, pour transformer  la Terre en boule calcinée. Non, je crois qu’on va ranger le « matériau issu du cœur d’une étoile mourante » de Thor dans la même catégorie que le « royaume quantique » d’Ant-Man.

– Nan ! C’est magique !


[1] Dernières nouvelles du labo : les éléments les plus lourds seraient même carrément produits dans des fusions d’étoiles à neutron, dont on va parler dans un instant, soit quelque chose qui se classe encore plus haut dans l’échelle du cataclysmique cosmique, mais bon avec ce schéma vous avez l’essentiel.


[2] Ce sont des ordres d’idée.

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