Danse ou crève !

Danse ou crève !

– Ecoute, c’est pas pour me vanter…

– J’ai tendance à me méfier de ce qui suit. L’expérience tend à prouver qu’il s’agit souvent précisément de se vanter.

– Non mais si tu commences à tout prendre au pied de la lettre, tu vas finir par être, comment dire ?

– Pénible ?

– Voilà.

– Il me semblait qu’on avait déjà été présentés, mais c’est pas grave. Enchanté, je suis pénible.

– Moi à l’origine je voulais simplement dire que j’étais plutôt content, parce que mon programme donnait des résultats.

– J’en suis ravi, on parle de quel programme ?

– Mon programme d’entraînement pour pouvoir enfin profiter à plein de l’été qui se profile, et que j’ai audacieusement baptisé « Retour en piste ».

– Je pense être passé à côté de l’information, de quel genre de piste parlons-nous ?

– La piste de danse bien sûr ! Ca va faire trois ans que je n’ai pas pu consacrer mon été à m’adonner à corps perdu au déhanché rythmique qui a fait ma légende dans plus d’un camping. Je vais enfin pouvoir m’y remettre avec abandon, insouciance, et auréoles sous les bras.

– J’en suis ravi pour toi et sensiblement moins pour ton environnement proche. Et il te fallait donc un entraînement spécial pour ça ?

– Ah ben oui. En plus des inévitables révisions pour m’assurer d’une parfaite maîtrise des chorés, comme on dit entre jeunes ou presque, l’absence de pratique a nécessité une sérieuse remise en forme.

– Ben écoute c’est très bien tout ça. Tant que je suis dispensé d’assister au spectacle, je ne peux que te féliciter.

– J’en ai bavé, tu n’as pas idée, mais maintenant je suis prêt. A fond. Affuté. Je me sens capable d’enflammer la piste non-stop pendant plusieurs jours de suite.

– Bravo.

– Entre la frustration et ma condition physique retrouvée, c’est simple, je pense que je pourrais sans doute battre des records d’endurance.

– D’endurance à la danse ?

– Absolument.

– Ecoute, ça existe, si vraiment tu veux le tenter.

– Ca existe, pour de vrai ?

– Bien entendu. Tu as des records d’absolument tout et surtout n’importe quoi, tu sais.

– Oui mais quand même pas des trucs aussi ridic…

– Comme le record du nombre de Rubik’s cubes résolus en apnée ?[1]

– J’ai rien dit.

On ne veut même pas savoir ce que c’est que ce truc.

– Cela dit, en matière de records d’endurance à la danse, il y a eu un gros mieux.

– Qu’est-ce que tu veux dire ?

– Que le Guinness Book, qui reconnaissons-le est quand même à l’origine de quelques-uns des développements les plus stupéfiants du « génie humain », a fait un peu de ménage dans ses règles et pratiques pour éviter d’encourager des tentatives de records a minima contestables.

– Dans le domaine de la danse ?!

– Précisément. Les marathons de danse, ça te dit quelque chose ?

– Pas particulièrement. Ca sonne comme des compétitions.

– C’est exactement ça. Imagine un mélange entre de la danse, des jeux du cirque, du catch, et de la télé-réalité.

– Tu sais que j’ai l’imagination fertile, mais là je cale un peu.

– Je peux le comprendre, c’est un menu particulièrement copieux. Mais il a pourtant été servi aux Américains pendant une bonne quinzaine d’années.

– Dieu sait qu’ils ont l’appétit grand et peu regardant.

– Je ne te le fais pas dire. Revenons donc un peu dans les années 20.

– Euh, on y est.

– Les années 1920, gros malin désobligeant. C’est une période plutôt marquée par la prospérité et l’optimisme aux Etats-Unis. Le pays se porte bien, et il veut s’amuser.

– Les années folles.

– Exactement. Plusieurs phénomènes convergent. D’abord une certaine libération des mœurs, qui conduit les jeunes urbains à s’adonner à la danse au son du charleston, du fox-trot, et du jazz.

Et pourtant Dieu sait que le jazz…

– Quel est le rapport avec la libération des mœurs ?

– Ben la danse c’est quand même une activité contraire à la morale. Se trémousser comme ça devant tout le monde, quelle indécence.

– Tu exagères.

– Point. Le fait de danser en public commence seulement à être socialement acceptable, et tu as encore beaucoup d’églises qui froncent les sourcils. Et heureusement qu’il y a ça, faut bien trouver de quoi occuper ses soirées puisque boire des coups est interdit.

– Ah oui, la Prohibition.

– Exactement. Dans le même temps, le pays se passionne pour les records et performances physiques. Après tout, les Jeux Olympiques modernes n’ont qu’une grosse vingtaine d’années.

– Et on est encore en période de réglages après certaines éditions encore riches en n’importe quoi.

– Pour le moins. Des compétitions d’endurance se développent un peu partout dans le pays, qu’il s’agisse de courir des marathons ou des courses cyclistes d’endurance, de rester assis sur un poteau le plus longtemps possible, de tricoter pendant des jours, ou de tenter le record du plus long baiser.

– Rester assis sur un poteau, vraiment ?

– Mais oui. Et ça attire un public non négligeable, parce je te rappelle que dans une bonne partie du pays on se fait tellement suer qu’on peut attirer des foules en organisant une collision frontale entre deux trains.

– Et donc l’idée germe d’organiser des compétitions de danse ?

– Exactement. C’est dans ce contexte qu’en mars 1923, la professeure de danse Alma Cummings enchaîne 27 heures de danse dans une salle de New York, épuisant en route pas moins de six partenaires.

Et au moins une paire de chaussures.

Elle est la première, et sa performance combine parfaitement la fascination pour l’endurance et les records avec le goût pour les loisirs libérés de l’époque. L’idée de marathons de danse prend donc très vite, et va se répandre dans tout le pays. En l’espace de trois semaines, son record est dépassé à 9 reprises, à l’occasion de concours organisés à Cleveland, Houston, ou Baltimore. Le phénomène est lancé. C’est qu’il convient parfaitement aussi bien aux urbains qui s’adonnent à la danse et aux modes qu’aux ruraux qui s’ennuient sévère et cherchent toute forme de distraction. Et puis tu as une spécificité bien locale qui va contribuer à l’engouement.

– A savoir ?

– Le show-business. C’est le pays de Barnum après tout. Les entrepreneurs du spectacle ont vite fait de transformer ce qui était une forme d’amusement un peu poussé en véritables compétitions et spectacles, et d’en faire une activité très rentable.

– Je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée.

– Tu peux, d’autant que les effets négatifs potentiels apparaissent aussi rapidement. Dès avril  1923, un dénommé Homer Morehouse meurt de fatigue après dansé pendant 87 heures, à 27 ans.

– QUATRE-VINGT-SEPT HEURES ?!

– Mon enfant, tu n’as pas idée. Les choses sont donc prises en main par des professionnels du spectacle, qui s’y attellent avec tout le sérieux nécessaire. Ils proposent des prix très conséquents pour le couple, parce que ça se fait à deux, qui restera le dernier en piste. On parle de plusieurs centaines, voire milliers de dollars, tu peux multiplier par plus de 15 pour avoir la valeur actuelle.

– Ca ne rigole pas.

– Vu le temps qu’il faut y consacrer pour espérer remporter la mise, c’est assez logique. En parallèle, plusieurs règles font rapidement consensus et sont globalement adoptées partout. La plus importante est que les candidats doivent rester en mouvement.

– Ca semble logique.

– Oui, mais je te rappelle qu’on parle au départ de danse, or dans les faits les concurrents vont passer la majeure partie de leur temps à se contenter de se balancer d’un pied sur l’autre ou d’avant en arrière…

– Hey, ça s’appelle le slow et c’est ma principale forme de danse !

– Je croyais que…bref. Donc tant que tu bouges et que tes deux genoux ne touchent pas le sol, tu restes en compétition. Enfin, ça vaut quand même surtout pour les heures creuses.

– Les heures creuses ?

– Oui. Par définition, le marathon dure 24 heures sur 24. Mais les spectateurs ne sont surtout là que pendant les soirées. A ce moment, tu as donc un vrai orchestre, et il est attendu des couples qu’ils dansent effectivement, pas qu’ils se contentent de se dandiner mollement. Parce qu’il faut du spectacle, tout l’édifice repose sur le fait qu’il y ait suffisamment de gens qui viennent et paient un ticket pour assister à la chose. Le reste du temps, on passe des disques et le mouvement peut se limiter au minimum.

– Non mais…attends, ils dansent vraiment en permanence ?

– Ils ont droit à une pause tous les heures, en général de 15 minutes. Ils peuvent alors aller se poser dans une zone privée

Ou pas

, et en général bénéficier de soins infirmiers. Et surtout s’effondrer et pioncer. Avant d’être réveillés par une sonnerie, voire des sels pour les dames et de la flotte pour les messieurs.

– Ca donne envie.

– Non, mais ça permet d’aller bien au-delà des 27 heures initiales. Par conséquent, les concurrents étaient nourris plusieurs fois par jour (en général 12). Ils réalisaient en outre plusieurs tâches quotidiennes en dansant, tant qu’ils étaient en mouvement. On parle aussi bien des choses nécessaires, comme manger (les repas étaient servis sur de grands buffets et on mangeait en se trémoussant), faire un brin de toilette, ou se raser. D’autres étaient plus de l’ordre de l’occupation ou du spectacle, comme lire le journal ou tricoter.

– C’est qu’ils devaient se faire prodigieusement suer, au bout d’un moment.

– Certainement. Ils piquaient également des sommes, parce que même à raison d’une dizaine de minutes par heure le corps à des limites.

– En dansant, tu veux dire ?

– Oui. Ils revenaient à l’autre partenaire de s’assurer que le corps pendu à lui restait vaguement mobile et surtout ne touchait pas le sol des genoux.

« C’est mon haleine, c’est ça ? »

« Fais de la danse, les mecs seront à tes pieds… »

C’est d’ailleurs pour cela que certains se liaient les mains pour être sûrs de rester vaguement accrochés au cou de leur partenaire.

– Ca va finir par plus ressembler à une zombie walk qu’autre chose.

– De fait, et pour ne pas trop s’attirer les foudres des conservateurs qui considèrent encore que la danse est une pratique obscène dans les zones les plus rurales, de nombreux promoteurs en viennent à parler de walkathons, soit des marathons de marche, plutôt que de dance marathons.

– Mais du coup c’est peut-être moins vendeur ?

– Aaah, mais les professionnels du spectacle ont plus d’un tour dans leur sac pour s’assurer qu’il y a des enjeux et de la tension. Par exemple, ils ont très souvent recours à des danseurs professionnels, qui sont dissimulés au milieu des authentiques concurrents venus là dans l’espoir de remporter un prix, ou à des acteurs qui font des esclandres, voire se battent avec certains couples pour créer de l’animation. De leur côté, les concurrents étaient encouragés à développer aussi leurs petits numéros, voire leur danse signature, et le maître de cérémonie pouvait alors inviter le public à leur accorder une « douche d’argent ».

– Quoi ?! Uuuuh…

– Mais non, s’agissait de leur lancer des pièces. Par ailleurs, ça permet aux couples en question non seulement de se faire connaître et de gagner les faveurs du public, donc de devenir un atout commercial en vue de l’édition suivante, mais aussi d’attirer l’œil de potentiels sponsors. Ceux qui finissaient par être un peu connus pouvaient également vendre des photos signées au public, qui était en passant très majoritairement féminin. Comme des athlètes ou artistes. C’est ainsi que chaque promoteur avait ses champions, son écurie. Quasiment littéralement, puisque les danseurs étaient surnommés chevaux.

Du catch, on vous dit.

– Chevaux ? Pas très flatteur. Pis ça me dit quelque chose.

– On va y venir. Globalement, il y avait une réelle mise en scène pour impliquer le public. Des annonceurs dramatisaient la situation au micro (« combien de temps vont-ils tenir ? ») et racontait des histoires sur les couples, leurs histoires d’amour, les champions locaux, ceux qui avaient vraiment besoin de l’argent des prix.

WAHOUH ! NOOON ! AAAH !

On a même été jusqu’à avoir des mariages sur la piste entre des couples plus ou moins authentiques.

– C’est du cirque.

– A moitié, tu avais quand même une authentique compétition. Mais ce sont tous ces éléments qui ont permis le réel succès de la chose. En 1928, un marathon est organisé au Madison Square Garden, dans lequel 91 couples concourent pour 5 000 dollars.

– C’est énorme !

– En effet. Mais à 25 cents le ticket pour la soirée, ça peut néanmoins être rentable pour les promoteurs pour peu que le public soit au rendez-vous. De fait, il n’y a initialement que peu de monde, mais à partir de la deuxième semaine ils sont plus de 12 000 spectateurs par jour. Quand le département des affaires sanitaires de la ville y met un terme, il reste 9 couples qui ont dansé 481 heures. Tout juste plus de 20 jours.

– Les  services sanitaires ont sifflé la fin de la partie ?

– Oui. En dépit de l’engouement, il y a des inquiétudes sur les potentiels dangers de la chose. Je ne vais pas te surprendre en te disant que l’exercice peut quand même être assez traumatisant. Et pas que pour le corps. En 1928, Seattle interdit les marathons sur son territoire après la tentative de suicide d’une concurrente, arrivée 5e pour avoir dansé pendant 19 jours.

– Faudrait peut-être quand même se poser quelques questions.

– Oui, mais l’histoire s’en mêle.

– Comment ça ?

– La crise de 29 et la Grande Dépression qui suit changent les choses. Dans les années 30, les marathons de danse deviennent plus qu’une passion ou une occupation bizarre, c’est une planche de salut pour certains. Le nombre de marathons et de candidats explose. Non seulement il y a avait des prix à gagner, qui peuvent représenter jusqu’à un an de salaire, mais les concurrents sont nourris et abrités le temps de la compétition.

– Et ça peut se chiffrer en semaines de gîte et de couvert.

– Exactement. Tu as donc de plus en plus de concurrents qui se présentent plus par désespoir qu’autre chose. Et ça vaut aussi pour le public.

– Qu’est-ce que tu veux dire ?

– Les spectateurs pouvaient également jouir d’un sentiment de catharsis en assistant aux compétitions, en se disant qu’il y avait toujours plus infortunés qu’eux et qu’au moins ils n’étaient pas obligés d’en arriver là. Les marathons étaient durs, mais pour un bon nombre de participants l’alternative c’était au minimum de n’avoir rien de mieux à faire, au pire de se trouver à la rue à crever la dalle.

– Plus durs comment ?

– Il y a plus de candidats, et on est dans le show-business. Il faut donc toujours aller plus loin, aussi bien pour éliminer des compétiteurs que pour susciter l’intérêt. Des difficultés et épreuves supplémentaires sont ajoutées pour épicer la compétition : des sprints, la suspension des soins, voire celle des périodes de repos si ça se prolongeait trop au détriment de l’assistance et qu’il fallait relancer un peu l’attention. Ce qu’on appelait les « grinds ».

– Mais enfin c’est quand même un peu dangereux !

– Hé, personne ne les oblige à participer, et il faut bien arriver à ce qu’il n’y ait plus qu’un seul couple en piste. Ces épreuves se poursuivaient donc en général jusqu’à ce qu’une paire lâche (s’effondre). Si un partenaire abandonnait, l’autre avait droit à une période donnée pour trouver un remplaçant.

– Je commence à trouver ça un peu ignoble.

– Attends que je te donne des exemples des grinds en question. Tu avais ainsi des courses sur tapis roulant entre des équipes aux yeux bandés, également appelées « tapis roulants zombies ». Ou des courses autour de la piste, par sexe, en nombre limité ou jusqu’à élimination. Ou encore des sprints impromptus au milieu des périodes de danse. Autant de moments d’accélération qui justifiaient régulièrement une couverture des radios locales en direct, en plus de celle de la presse. Comme l’a écrit une ancienne compétitrice régulière, le spectacle reposait sur la dégradation des concurrents, le sadisme était sexy et le masochisme un talent.

– On passe du catch aux jeux du cirque.

– Ca peut effectivement être assez douloureux pour les concurrents, a fortiori quand ils résistent jusqu’au bout dans l’espoir d’un chèque. Parmi les traumatismes les plus fréquents : les jambes gonflés, les périostites (inflammation de la membrane du tibia), des oignons et cloques divers sur les pieds, et écrasements de la voûte plantaire. Et puis de l’épuisement physique et mental. Avec le temps beaucoup finissaient dans un état second, avec des hallucinations ou des épisodes d’hystérie.

– C’est bon, je me souviens des conséquences de la danse frénétique.

– Oui mais celle-là les pauvres hères n’avaient pas le choix. Et je ne t’ai pas encore parlé des truanderies des promoteurs. Il était fréquent qu’ils aillent organiser un marathon dans une bourgade qui n’en avait pas encore connu, ce qu’ils appelaient une « virgin town », avec grand raffut et battage pour annoncer la chose, ainsi que l’association à des sponsors respectables, puis plient les gaules après avoir encaissé les billets mais avant de devoir payer les prix.

– Fumiers !

– Sachant que dans le même temps temps, les spectacles concurrents (théâtres, ciné) perdaient des clients, et protestaient. Ainsi que les églises et des associations de bienfaisance, pour des raisons morales ou médicales, selon les fois. Ca a conduit de plus en plus d’élus à s’interroger sur la moralité de ces performances, et à les interdire. Pour autant, les historiens estiment que pendant la période des années 20 et 30, toutes les villes américaines de plus de 50 000 habitants ont organisé au moins un marathon.

– Ah ouais, ça fait du monde, quand même.

– En 1935, 24 états ont banni la chose. C’est la même année que Horace McCoy publie On achève bien les chevaux, qui raconte précisément l’histoire de participants qui vont jusqu’au bout de leurs capacités, dans l’espoir de toucher le prix qui leur permettra de sortir un peu de la déche. Quand ils finissent le marathon sans l’avoir remporté, la cavalière désespérée demande à son partenaire de la tuer, ce qu’il fait parce qu’après tout on en fait bien autant pour les chevaux blessés.

– Cool, je cherchais une histoire gaie pour après Les raisins de la colère.

– Pour toutes ces raisons, à la fin de la décennie et avant même l’entrée des Etats-Unis dans la Seconde Guerre, les marathons sont en voie de disparition. Mais on a quand même eu le temps d’établir un record durable.

– Je sens que je vais avoir mal aux pieds rien qu’en l’entendant.

– Callum Devillier devient un champion de marathon de danse avant la Crise. C’est ainsi qu’il gigote pendant 443 heures en 1928. Mais quelques années plus tard il se trouve sans emploi et dans une situation difficile. Il recrute la fille de son proprio, Vonnie Kuchinski et se rend au marathon de Somerville, à côté de Boston.

« J’emmène votre fille danser un peu. Promis, on sera raisonnables, on reviendra avant un an. Peut-être. »

Pas à Boston même, où le maire avait interdit les marathons de danse après la mort par épuisement d’un participant.

– Ca paraît une bonne raison.

– Callum et Vonnie dansent de décembre 32 à juin 33.

– De…six mois ?!

– C’est ça. Dans les dernières semaines, le temps de repos est ramené de 15 à 3 minutes par heure. Le marathon devient un phénomène, une véritable attraction qui fait venir des spectateurs de tout le secteur. Au point que devant l’importance du trafic routier, notamment nocturne, plusieurs responsables locaux interdisent les marathons avant même que celui-là se termine. Devillier et Kuchinski arrêtent finalement de danser le 3 juin, après avoir notamment gigoté ou au moins s’être mollement balancés sans interruption pendant les 52 dernières heures. Un total de 3 780 heures.

– Mais enfin qui va passer des milliers d’heures à ce genre d’activité ? C’est pas sain !

On ne vous le fait pas dire.

– Sans doute, mais ça leur permet de remporter un prix de 1 000 dollars. Ils se marient, pas sur la piste, mais ça ne dure pas, et Devillier ne prend plus part à d’autres marathons. Il faut attendre 1969, et la sortie au cinéma de l’adaptation du roman de McCoy, qui rencontre un succès certain et ramasse une brouette de prix, pour que l’histoire des marathons de danse refasse surface.

Ca dure deux heures. Vous pouvez le regarder en boucle 1 890 fois, pour vous donner une idée.

Le film attribue le record de Devillier à un autre danseur, ce qui pousse Callum à écrire au Guinness pour faire reconnaître sa performance. Il l’obtient quelques mois avant sa mort en 1973, mais histoire d’être sûr il se commande une pierre tombale qui grave littéralement sa performance dans le marbre.

-Après tout, je peux comprendre.

– En 73, les étudiants de l’université de Pennsylvanie organisent un marathon « propre » : 30 heures max, et pour récolter de l’argent pour des enfants malades. 20 ans plus tard, les compétitions d’endurance, danse ou marche, sont considérées comme des formes acceptables de manifestations de levée de fonds pour des causes caritatives. En parallèle, le Guinness a redéfini les règles des marathons qu’il accepte de prendre en compte, en spécifiant que l’activité doit être pratiquée non-stop. Du coup le record de Kuchinski et Devillier a été rayé des archives, et il ne reste plus qu’une pierre tombale pour en attester.

– Eh ben moi je vais aller m’asseoir et attendre le quart d’heure américain.

Pour nous soutenir et éviter qu’on finisse dans un marathon, ça se passe ici.


[1] Absolument authentique, évidemment

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