Blood on the dancefloor

Blood on the dancefloor

– Eh ben alors, tu en fais une tête. Qu’est-ce qui t’arrive ?

– Ben je…c’est-à-dire que j’ai fait un peu de rangement.

– Ah oui, je comprends. Moche. Non mais le ménage, faut pas, c’est un truc à se faire du mal.

– Mais non, c’est pas ça.

– Allez, dis-moi.

– Ben je suis retombé sur mes fringues de soirée. Tu sais, celles que je me mettais pour…sortir. Dehors. La nuit.

– Ah, oui, je comprends.

– Tu te souviens ?

– Oh ben oui, c’est assez inoubliable.

Ah, si vous l’aviez connu à l’époque… Je me demande ce qu’il a fait de cette petite robe rouge.

– Quand est-ce qu’on pourra recommencer, hein ? Remettre le feu à la piste et tout ? QUAND ?!

– Ben ça y est, on a des dates et tout. Ce n’est plus qu’une question de semaines. Et donc…euh…les jours du futur reviendront à l’avenir, et, hum, les prochains moments importants seront décisifs.

– Tu m’aides là.

– Ecoute, entre nous, la danse tu devrais te méfier.

– En général ce sont plutôt les gens autour de moi qui le regrettent.

– Non non, ça peut être dangereux pour toutes les personnes impliquées.

– Dangereux, tu veux dire comme quand j’ai voulu faire un grand écart au débotté ?

– Déboîté, tu veux dire. Episode douloureux, j’en conviens, mais je pensais à d’autres types de séquelles. Genre épuisement, pieds en sang, déshydratation, voire arrêts cardiaques.

– Attends attends, ça ressemble plutôt à ce qui arriverait à des gens qui y passeraient des heures et des heures sans s’arrêter.

– En effet.

– Ben oui mais faut s’arrêter quand ça commence à devenir pénible.

– Encore faut-il le pouvoir !

– Comment ça ? Quand tu en as marre et que tu fatigues tu vas au bar. Enfin, tu vas t’asseoir, je veux dire.

– Et te réhydrater.

– Voilà.

– Mais moi je te parle de personnes qui ne le peuvent pas. Qui n’ont pas le choix. Qui doivent danser jusqu’à tomber.

– On les menace ? On les oblige ?

– Non non. Mais elles ne peuvent pas s’arrêter.

– J’ai du mal à suivre.

– Je te parle de la Peste Dansante.

– Allons donc, une nouvelle forme de peste. On avait bien besoin de ça. C’est encore une épidémie, sérieusement ?!

– Oui. Un mal qui a saisi l’Europe il y a quelques années cela.

Alors oui, mais non. Plus longtemps, quand même.

– Je connais la noire et la bubonique, mais franchement la peste dansante ça me dit rien.

– Tu es peut-être plus familier avec la Danse de Saint-Guy ?

– C’est un nom que j’ai déjà entendu. C’est original pour désigner une maladie.

– Oui, mais c’est parce qu’on parle plutôt d’une malédiction, en fait. Il faut comprendre maladie comme punition divine.

– Ah ouais, d’accord, je vois…

– Non non, ne rigole pas. C’est du sérieux. L’épisode le plus ancien que l’on puisse associer à ce mal mystérieux remonte à l’année 1021, dans la cité allemande de Kölbigk. Le jour de Noël, 18 paroissiens dansent devant l’église avec tellement d’entrain qu’ils empêchent le prêtre de célébrer la messe. Tout empreint de bienveillance et charité chrétienne, ce dernier les maudit et les condamne à se trémousser pendant un an.

– Ils l’empêchent de bosser parce qu’ils font du chahut, donc il faut en sorte qu’ils continuent pendant une année entière. C’est un plan mûrement réfléchi ça, dis-moi.

– Oui, bon… De toute façon il y a de bonnes chances que l’épisode possède une dimension largement légendaire. Pour autant, il permet l’apparition de cette idée de la danse frénétique comme une punition imposée par Dieu, et dont seule une forme de pénitence permet d’être délivré. Dans les décennies et siècles qui suivent, les récits de foules soudainement prises d’une furieuse et irrépressible envie de gigoter se répètent assez régulièrement. Et toujours dans la même zone de l’Europe, disons pour faire simple le secteur rhénan et mosellan : l’est et le nord de la France, le sud de l’Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas. Ainsi, en 1237 à Erfurt, on parle de la même façon d’individus qui se mettent à danser spontanément et de façon incontrôlée. Puis peu de temps après, ce sont environ 200 personnes qui en font autant sur un pont de Maastricht, au point que ce dernier finit par s’effondrer.

– Non mais c’est à Avignon qu’on danse sur les ponts, voyons.

– Ils auraient peut-être dû. En 1374, le phénomène se répète à Aix-la-Chapelle, et se propage à Liège, Utrecht, Tongres, et encore ailleurs aux Pays-Bas, en Belgique, et le long du Rhin. Il est question de danse sauvage à Trier, pendant six mois. Puis en 1463 c’est Metz qui est touché.

– Mais enfin c’est quoi ce truc, concrètement il se passe quoi ?

– Eh ben c’est difficile à dire, parce que les détails manquent. Ca se limite globalement à ce que je viens de te dire : on raconte que des gens se mettent à danser spontanément, sans raison, et ne s’arrêtent pas pendant des jours, des semaines, voire des mois. C’est pas beaucoup plus précis. Mais ça permet néanmoins de faire apparaître et d’ancrer dans ce bassin de population une croyance assez vivace, celle de Saint Guy, également appelé Saint Vitus.

– Ma théologie est un peu rouillée, si tu peux me rafraîchir sur l’individu…

– Pour ce qui nous intéresse, Saint Guy est associé à la danse, et présente un profil double. D’une part, il est l’interlocuteur auprès duquel il faut intercéder pour guérir les malades de chorée.

– Ca fait un peu loin depuis Séoul.

– Nan, la chorée, c’est-à-dire les accès de mouvements incontrôlés, des spasmes aux accès de danse. Par ailleurs, Saint-Guy est également celui qui punit les pécheurs en leur infligeant précisément les afflictions de ce type.

– Autrement dit, si du jour au lendemain je me mets à me dandiner sans pouvoir m’arrêter, on peut imaginer que c’est Saint Guy qui me punit, et c’est à lui que je dois m’adresser pour être guéri ?

– Voilà. Et on peut imaginer aussi qu’il te faudra en premier lieu faire pénitence et confesser tes fautes.

– Eh ben j’espère qu’il a un moment devant lui Guy.

– Il a tout son temps. Mais pour en revenir aux accès de peste dansante, comme je te le disais tous ceux que j’ai mentionnés jusqu’à présent sont mal connus car peu détaillés. Ca change avec un épisode qui est au contraire bien documenté. Il se produit en 1518, à Strasbourg.

– Cocorico, une fois encore saluons la recherche nationale.

– Alors non, à l’époque la ville fait partie du Saint Empire romain germanique. Et pour ce qui est de la recherche, on doit une étude détaillée des événements au Suisse Paracelse. L’épidémie se produit en effet à l’été 1518, et il est sur place en 1526. Donc non seulement il arrive sur les lieux « relativement » peu de temps après, mais en plus il a à sa disposition des témoignages et documents qui permettent de disposer de beaucoup plus de détails.

– Ok, allons-y.

– Tout commence le 12 juillet. Ou le 14.

– Ah ouais, je vois, c’est bien d’avoir des sources précises ce coup-ci.

– Nah nah nah. Ce jour-là, une habitante, Frau Troffea, sort dans la rue, devant chez elle, et se met à danser. Sans musique, sans rien de particulier pour l’expliquer, elle saute d’un pied sur l’autre et se trémousse. Pendant globalement toute la journée. Et en dépit des appels qui deviennent suppliques de son époux, qui l’enjoint de se calmer, et sans doute aussi d’arrêter de se donner en spectacle comme ça. Et le lendemain, elle recommence.

– Eh ben, elle est sportive Mme Troffea.

– Elle danse jusqu’à être épuisée, va se reposer un peu, et recommence. Comme ça pendant plusieurs jours de suite. Au point d’être rejointe par d’autres, qui sont manifestement gagnés par son entrain.

On n’avait pas encore inventé l’attitude dite « ignorons-les pour ne pas les encourager », que nous recommandons évidemment dans pareille situation.

Au bout d’une semaine, la troupe compte 34 personnes. Encore quelques jours, et on passe la centaine.

– Mon Dieu, un festival de rue ! Il faut intervenir !

– C’est bien ce que se disent les autorités municipales. Elles consultent donc les médecins, pour comprendre ce qui peut bien arriver à nos danseurs impénitents. Les docteurs excluent toute cause surnaturelle ou astrologique, concluent qu’il s’agit d’un problème de « sang chaud ».

– Ah, encore un coup de la théorie médicale des humeurs.

– Bien entendu. Par conséquent, le meilleur traitement consiste à les laisser danser jusqu’à ce que ça leur passe, c’est-à-dire que cette chaleur anormale s’évacue. Ca va partir avec la sueur, puisque cette dernière permet de faire descendre la température.

– Guérir le mal par le mal donc. J’imagine que c’est toujours mieux que de les saigner.

– Incontestablement. Par conséquent, pour faire les choses bien, la municipalité, qui voit le nombre de danseurs grossir chaque jour, donne l’ordre de dégager un marché aux grains et d’y construire une grande estrade/scène où sont conduits les danseurs Des musiciens, essentiellement tambours et flûtes [1] sont mêmes diligentés sur place, et des hommes forts ont pour mission de maintenir les danseurs debout pour qu’ils puissent continuer. Et ça dure.

– Le plan pour les calmer fonctionne ?

– Pas vraiment. Non seulement ils sont de plus en plus nombreux, à croire que les installer en plein centre-ville au vu et au su de tout le monde, avec en plus un accompagnement musical, donne envie à d’autres de les rejoindre. Mais en plus, ils ne vont pas mieux, au contraire. Les pauvres s’agitent jusqu’à se faire du mal. On parle de pieds en sang, de personnes qui tombent littéralement d’épuisement et de déshydratation, je rappelle qu’on est en plein mois de juillet, et de pertes de conscience. C’est plus de la frénésie que de la danse.

– Ca devient dangereux cette histoire.

– Mais oui. La municipalité finit par se rendre contre que son remède n’est pas du tout une bonne idée puisqu’il encourage plus la troupe à grossir et à gigoter de plus belle qu’autre chose. Il devient évident que ce n’est pas un problème médical, puisque le remède préconisé par les doctes experts est inopérant, mais un châtiment divin.

– Ah ouais, carrément.

Le démon de la comédie musicale. On a été prévenus.

– Ben c’est l’un ou l’autre. A ce moment nous sommes au mois d’août, et on estime le nombre des danseurs à 400. Un chiffre qui fluctue, puisque que nouveaux infortunés se joignent à la ronde, tandis que d’autres tombent. Des chroniques locales parlent d’un bilan qui atteint jusqu’à 15 morts par jour, cependant les archives municipales ne font pas état de décès liés à l’épidémie. Pour autant, même s’ils ne meurent pas, les danseurs finissent dans un sale état. La conseil municipal change de pied, sans doute en rythme, et interdit la musique et la danse publiques. Il est autorisé de danser pour les mariages ou chez soi, mais il faut alors le faire « en conscience », avec au plus un accompagnement d’instruments à cordes, et surtout pas de tambourins et flûtes.

Les cordes c’est pas entraînant.

Ca ne résout rien. Les danseurs sont donc rassemblés et conduits à un sanctuaire de Saint-Guy situé à Saverne, à environ une journée de Strasbourg.

– Une minute, ils continuent à danser quand on leur interdit ?

– Oui.

– Mais, je sais pas, on peut peut-être leur filer des amendes, des sanctions, un truc du genre ?

– Hé non. Parce qu’ils dansent contre leur gré. C’est bien ce qui les pousse à continuer jusqu’à se faire du mal, et qui conduit à conclure à une forme de punition, possession, ou truc dans le genre. Ils voudraient s’arrêter. Ca les amuse pas de ne faire que ça, de ne s’arrêter que quand ils tombent de fatigue et de reprendre dès qu’ils sont suffisamment reposés. C’est pour ça que le problème relève de Saint Guy, celui qui les a sans doute châtiés ainsi, et qui peut de la même façon les soulager. Une fois au sanctuaire, les malheureux sont équipés de chaussures rouges qui sont aspergées d’eau bénite, et ils marchent en procession autour d’une statue du saint.

Les chaussures rouges, c’est magique.

Et c’est ainsi, grâce à leur repenti sincère et à l’intercession de Saint Guy, que les habitants de Strasbourg sont délivrés de la peste dansante en septembre 1518, environ 2 mois après le début de l’épidémie.

– Vraiment ?

– Oui. Il y aura d’autres épisodes, par exemple à Molenbeek en 1564.

Illustration d’époque. Ah ben oui, 16ème siècle, y’a pas la couleur.

Ou encore en 1863 à Madagascar.

– Ok, donc manifestement les faits sont bien établis. Mais alors, c’était quoi ce truc ?

– Ha, c’est bien toute la question, effectivement. On peut se retourner vers le premier à avoir sérieusement étudié la question, Paracelse. Il évoque une rébellion domestique des femmes contre leurs maris. De fait, les danseuses étaient majoritaires. D’après lui, Mme Troffea voulait embarrasser publiquement son mari, et a été rejointe par d’autres. Il considère qu’elles étaient toutes motivées par des pensées « libres, dépravées, et impertinentes », ce que Paracelse catégorise comme une chorée lascive, à distinguer de la chorée imaginative, alimentée par la colère et la grossièreté, et la chorée naturelle, dont les causes sont physiologiques.

– Ouais, c’est pas terrible comme diagnostic, si je puis me permettre.

– Tu peux. Paracelse a incontestablement fait pas mal pour la médecine, mais là il repassera.

Pis il a quoi contre la chorée lascive, d’abord ?

Evoquons donc les autres hypothèses. Il y en a une autre qu’on peut évacuer rapidement, à savoir celles d’un mouvement religieux. Les danseurs seraient des mystiques, qui se dandinaient pour atteindre la transe ou honorer la divinité.

– Ils tordaient du culte.

– Voilà. Sauf que non. Répétons-le, la plupart dansaient manifestement contre leur gré. Ils criaient et imploraient qu’on les aide.

– Ok, idée suivante.

– Il y a une hypothèse qui nous est un peu familière, puisqu’il s’agit de celle de l’ergot du seigle. On rappelle qu’il s’agit d’une moisissure, qui se trouve donc sur le seigle, et qui provoque des intoxications. L’ergot produit notamment un composé, l’ergotamine, qui est proche chimiquement du diéthylamine de l’acide lysergique, le LSD. Il provoque donc des hallucinations et des convulsions.

– Ah ça pourrait être ça alors.

– Ben pas vraiment en fait. Certes, une personne intoxiquée à l’ergot peut effectivement être prise de mouvements erratiques. Mais il est très peu probable que ça la conduise à des danses pendant des jours et des semaines. En outre, l’ergotamine a plutôt tendance à réduire la circulation sanguine dans les extrémités, donc danser longtemps est fort peu probable, pour ne pas dire impossible. Enfin tout le monde n’aurait pas réagi de la même façon. En plus si on élargit la perspective pour envisager toutes les épidémies de danse de Saint-Guy, les épisodes n’ont pas toujours correspondu aux périodes de récolte, et les populations ne consommaient pas toutes du seigle. L’ergot du seigle est à l’origine du feu de Saint Antoine, mais pas de la danse de Saint Guy.

– Ne confondons pas. Bon ben j’attends toujours une explication qui tienne la route.

– L’hypothèse la plus probable est celle d’une affliction psychologique collective, ou hystérie collective. Cet état second semble en outre correspondre aux descriptions physiques, l’air absent et les yeux dans le vague, et aurait permis aux possédés de continuer des heures et des heures en dépit de la fatigue et de la douleur.

– Admettons, mais une hallucination collective doit bien quand même avoir un point de départ, non ?

– Oui, et on l’a mentionné. Au fil des siècles, plusieurs épisodes similaires dans la région ont conduit à la croyance assez répandue que Saint Guy pouvait punir les pécheurs en leur infligeant l’irrépressible envie de danser. Une telle croyance peut très bien avoir des influences très concrètes sur les comportements, pour peu que le contexte s‘y prête.

– C’est-à-dire, quel contexte ?

– A Strasbourg, l’idée que Saint Guy est à l’origine de la frénésie apparaît et se répand rapidement. Ce qui ne peut que renforcer la tendance a fortiori quand les danseurs sont exposés au cœur de la ville. D’autres habitants se posaient forcément des questions sur leur propre conduite, leurs péchés, et pouvaient être pris à leur tour. Or il se trouve que la population avait été bien éprouvée au cours des mois précédents, ce qui crée des conditions favorable à de tels mouvements psychologiques et favorise la suggestibilité. Des mauvaises récoltes et épidémies, dont l’arrivée de la syphilis, avaient conduit à une situation socialement difficile. L’année 1517 a été qualifiée par les chroniqueurs comme difficile. Les hospices et orphelinats étaient débordés. Autant de raisons d’être angoissé et de penser que Dieu punissait la ville.

– Et ça peut suffire ?

– Ca peut. Pour John Waller, qui a étudié en détail la question à partir de l’exemple de Strasbourg dont il a tiré un bouquin, les mouvements de panique et manies collectives, les transes, touchent les populations particulièrement stressées et qui y croient. Autrement dit, les habitants ont été affectés parce qu’ils étaient éprouvés et pensaient qu’une telle chose était possible. Après, c’est une question de contamination psychique. Et puis qui sait, la légende du joueur de flûte de Hamelin a pu jouer aussi.

– J’en conclus qu’il y a une dimension culturelle.

– Oui. Tiens d’ailleurs on peut trouver des variantes. En Italie il y a le tarentisme. Une forme de chorée, provoquée par une morsure de tarentule. La danse est à la fois le symptôme et partie du processus de guérison, et cette danse c’est la tarentelle.

Chez nous, par exemple, ça provoque une course accompagnée de cris et de mouvements désordonnés des bras.

– Aujourd’hui, la danse de Saint Guy est aussi le nom donné la chorée de Sydenham, une maladie pour le coup totalement physiologique qui a pour cause une infection à streptocoques. Mais les épisodes de maladie collective dite sociogénique ou psychogénique existent toujours. Des populations sont ainsi capables d’avoir des réactions collectives contagieuses à des situations de stress. Qu’il s’agisse de danse ou d’autre chose.

– Par exemple ?

– Le rire. Le rire peut aussi être une forme de réponse au stress, à la colère, ou à la tristesse. Certainement ce qui s’est passé en 1962 dans la toute nouvelle Tanzanie (toute nouvelle parce qu’elle s’appelait quelques mois auparavant le Tanganyika).

– Il s’est passé quoi ?

– Quelques écolières commencent à rire à l’école communale de Kashasha. Le phénomène se propage aux deux tiers des élèves, qui se gondolent à en pleurer. L’école doit être fermée. Les enfants passent le truc à leurs parents. Ca se répand à des villages entiers, les médecins signalent des centaines de cas, qui durent en moyenne une semaine. Sachant qu’on ne peut pas physiquement rire continuellement pendant des heures (pendant plus de 20 secondes, en fait), ils font des pauses et reprennent. Les patients sont affectés de quelques heures à 16 jours. Un millier de personnes sont atteintes, et 14 écoles sont fermées. L‘épidémie a duré environ un an, par période.

– Il faut absolument qu’on découvre la blague à l’origine de ça.

Ben disons que dans une école…

– Je vais te décevoir, mais il n’y sans doute rien de vraiment hilarant au départ. Les chercheurs qui ont étudié la chose en détail concluent à une maladie psychogénique collective. Il s’agit souvent d’une forme d’expression de l’angoisse des personnes qui n’ont pas les moyens, pas le pouvoir, de répondre autrement à la situation. Or en l’occurrence on parle d’un pays tout nouvellement indépendant, et de jeunes écoliers soumis à des attentes importantes de la part de leurs parents et enseignants. Donc rien à voir avec un fou-rire communicatif, c’est une réponse au stress.

Et c’est pas en se faisant poursuivre par une chauve-souris géante que ça va s’arranger.

– J’annule le voyage d’étude en Tanzanie.

– On pourrait aller ailleurs. L’épisode tanzanien est le plus connu, mais à une plus petite échelle c’est très fréquent. Dans les dernières années on peut citer le Kosovo, l’Afghanistan, l’Afrique du Sud, des pays pas forcément marrants, ou même l’Angleterre en 2016.

– C’est pas comme si Royaume-Uni avait pris collectivement une grande orientation hasardeuse en 2016.

– Non, du tout. L’hypothèse d’un syndrome psychogénique collectif a également été suggérée pour expliquer les symptômes développés par les personnels des ambassades américaine et canadienne à Cuba ces dernières années, même si en l’occurrence c’est peut-être bien plus compliqué.

– Ha, les mystères de l’esprit humain…

– Ouais. La bonne nouvelle, si on veut, c’est que tu vas peut-être pouvoir ressortir tes bottines.

– Comment ça ?

– Je sais pas, tu vois une population collectivement stressée et frustrée et qui va se ruer dehors en masse à la première occasion après avoir été punie par un truc tombé du ciel autour de toi dernièrement ?


[1] Et Dieu sait que ça marche bien pour donner des envies de bouger

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