Horreurs, malheurs et grosses ficelles

Horreurs, malheurs et grosses ficelles

On ne va pas se mentir : tout n’est pas à sauver dans le cinéma spécial pétoche des années 50, 60 et 70. Qu’on parle des films d’épouvante avec leurs scénarios en carton et leurs monstres en mousse (aaah L’Invasion des araignées géantes et son arachnide construite avec trois peaux d’ours scotchées sur une Coccinelle) ou de films d’ambiance comme Macabre de William Castle, le Hitchcock du pauvre, il faut parfois se forcer pour ressentir autre chose qu’un ennui vaguement amusé devant quelques beaux nanars.

« J’ai calé putaaaaaain… ! Bon. Bob, on la refait. »

Et pourtant, tout n’est pas à jeter. En dehors d’authentiques réussites comme L’invasion des profanateurs (flipantissime), Psychose (trouillissime) ou La nuit des morts-vivants (infarctusissime), toute une série de films de bonne facture atteignaient parfaitement leur objectif premier : vous doter d’un très beau teint verdâtre.

Et puis si ça ne marchait pas, si cette bonne vieille suspension consentie de l’incrédulité (théorisée en 1817 par le poète anglais Coleridge, on se couchera tous un peu moins glands) ne suffisait pas à faire oublier les trous béants d’un dialogue, la fermeture-éclair dans le dos du loup-garou ou la performance lamentable d’un acteur, restait alors à faire joujou avec l’une des peurs les plus profondes et les plus faciles à exploiter dans un cinéma : l’obscurité. Eh oui : c’est tout bête, mais il fait noir dans un cinéma, par définition.

Opération crise cardiaque

A la grande époque où le cinéma hollywoodien produisait nanar sur nanar à un rythme industriel, certains se sont alors dit qu’il y avait là un trésor de petits gags à mettre en place pour jouer sur les nerfs des spectateurs venus narguer leurs propres angoisses dans les salles obscures. Des trucs récurrents, des gimmicks en somme, sortis du cerveau malade des producteurs et des réalisateurs (souvent les mêmes, d’ailleurs) pour renforcer un effet ou conditionner le public, avec l’aide des exploitants de salle.

Un des exemples les plus frappants est lié au film Seule dans la Nuit (Wait Until Dark, 1967), de Terence Young. Son intrigue a été davantage pompée qu’un gisement de pétrole depuis, d’où le fait que le film fait au mieux lever un sourcil poli aujourd’hui : Audrey Hepburn y incarne une jeune aveugle contrainte d’affronter trois trafiquants de drogue qui débarquent chez elle à la recherche d’une poupée truffée d’héroïne, arrivée là par la faute de son mari. Tout l’intérêt du film repose sur l’astuce imaginée par les producteurs. Pour se retrouver à égalité avec ses assaillants, Hepburn casse toutes les lampes de la maison, comptant sur le fait qu’elle connaît les lieux et qu’elle est habituée à se déplacer sans rien voir. Pour ne pas vous gâcher le coup de théâtre final, je me contenterai de dire que les 15 dernières minutes du film se déroulent… dans le noir. Pendant de longues minutes, il n’y a littéralement rien à l’écran : seul le son permet de suivre les efforts de Hepburn pour échapper à son poursuivant, qu’on entend haleter dans le noir.

Le petit coup de génie ? La production exigea des cinémas qu’ils éteignent absolument toutes les lumières dans les salles. Or, si on n’y voit pas grand-chose, l’obscurité n’y est jamais totale, ne serait-ce que pour éviter aux spectateurs sortis le temps de lâcher un petit pipi de retrouver leur siège sans écraser les pieds de la moitié de la ville. Là, fini : les dernières minutes de Seule dans la nuit se déroulent dans un noir presque absolu. Les spectateurs n’ont plus que l’ouïe pour imaginer ce que subit cette malheureuse Audrey… Et à transpirer en attendant que les lumières se rallument. En espérant qu’elles se rallument.

Le roi du gimmick

Ceci dit, le vrai roi de ce genre d’astuces avait commencé dix ans plus tôt à jouer ce genre de coups pendables. Il s’agit de William Castle, déjà croisé au premier paragraphe. Bien conscient qu’il produisait et réalisait des films de série B, le futur producteur de Rosemary’s Baby s’était d’abord fait une spécialité des gags marketing. Pour Macabre, il avait ainsi eu la brillante idée de proposer aux spectateurs une assurance-vie d’ailleurs parfaitement authentique avec la Lloyd’s. La promesse était simple : Castle s’engageait à verser 1 000 dollars aux héritiers en cas de décès subi pendant la projection. Simple mais efficace, d’autant que Castle faisait régulièrement garer des corbillards devant les cinémas, bien en évidence et accompagnés de figurantes déguisées en infirmières.

« Ça va peut-être vous faire un tout petit peu mal. »

Pour un autre film (House on Haunted Hill, 1958), de véritables nurses, cette fois, exigeaient de ces cinéphiles avertis qu’ils se fasse prendre leur tension avant d’être admis dans la salle. Pas forcément idiot : une heure plus tard, il n’était pas rare que des squelettes fluorescents aux yeux rouges leur passent subitement au ras du crâne, glissant le long d’un astucieux réseau de fils de pêche. Le truc fonctionna à merveille pendant quelques semaines, le temps que tous les gosses du pays se passent le mot et se mettent à essayer de descendre les malheureux squelettes à coup de seaux de pop-corn.

Dans la longue collection de gimmicks imaginés par Castle, on en trouve d’attendrissants, comme ces lunettes distribuées aux spectateurs avant chaque séance de Treize Fantômes (1960) pour leur permettre de distinguer toute apparition venue d’un autre monde, ou le lent compte à rebours de 60 secondes qu’il faisait projeter en plein milieu du film Homicide (1961) : le film s’interrompait au pire des moments, informant les spectateurs qu’ils avaient une minute pour changer d’avis et quitter la salle s’ils n’avaient pas les tripes d’aller plus loin. Castle leur promettait même un remboursement, en prenant tout de même soin de les faire passer pour ça par un stand spécialement installé au beau milieu des halls d’accueil et baptisé « Le coin des trouillards ».

Dégivreurs militaires

D’autres sont authentiquement flippants, comme le procédé imaginé à l’occasion du lancement du Désosseur de cadavres (The Tingler, 1959). Nanar devenu culte, le film affiche tout de même Vincent Price au casting – et même si vous n’êtes pas un grand fan du genre, vous le connaissez forcément : c’est la voix off du clip (à 6’31’’) de Thriller. Question scénario, c’est du grand guignol chimiquement pur : l’intrigue repose sur l’idée que le sentiment de peur est dû à l’existence d’un parasite (le tingler) qui s’accroche à votre colonne vertébrale. Seule façon de le désactiver : hurler.

Castle eut la brillante idée de racheter à l’US Air Force pour 250 000 dollars de… dégivreurs militaires, soit des moteurs vibrants qu’on insérait dans l’épaisseur de l’aile des avions. À chaque première (les sorties n’étaient pas fixées à une date unique comme aujourd’hui), ses équipes installaient ces moteurs sous les sièges des cinémas. Au moment précis où le parasite du film était censé sortir de l’écran pour se ruer dans la salle, les techniciens activaient les vibreurs pour sérieusement secouer la moitié de la salle, tandis que la voix de Price hurlait « Mesdames et messieurs, ne paniquez pas. Mais criez ! Criez pour vos vies ! Le désosseur est en liberté dans ce cinéma ! ». Et comme il n’y a aucune morale dans cette histoire, le film, assassiné par la plupart des critiques, rencontra bien évidemment un succès considérable. Oh, et le fan club personnel de William Castle compta jusqu’à 250 000 membres.

Ah si, il y a peut-être une morale quand même : William Castle est mort d’une crise cardiaque en 1977. Qui sait, un technicien lui avait peut-être fait une petite blague avec sa chaise de bureau.

5 réflexions sur « Horreurs, malheurs et grosses ficelles »

  1. Sans vouloir paraître esprit déplacé, je le dis d’emblée, vous me rappelez à ma grande surprise « Les belles histoires de l’Oncle Paul ».
    Fabuleux! Faudra présenter aux plus jeunes cet ancêtre, conteur didactique pour BD, dont l’amour de la pipe prend soudain pour moi un autre sens. Quoi? « Larrey dans toute sa splendeur » quand-même j’invente rien! Excellent! Merci!

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