Laaaaapin. Laaaaapin ?

Laaaaapin. Laaaaapin ?

– Je ne dis pas que je voue une admiration sans borne aux auteurs américains. Je dis simplement qu’ils ont le don de savoir exploiter l’un des folklores les plus riches de la planète. Surtout quand on commence à parler d’histoire qui flanquent les GROSSES CHOCOTTES.  

– Mouais. Pardon, m’enfin c’est du réchauffé dans la plupart des cas. Tu ne risques pas de me faire sursauter avec une histoire de Bigfoot ou d’alligators dans les égouts de New-York et AAAAAAAH QU’EST-CE QUE C’EST QUE CA. 

– Rien, une véritable réplique de patte de Bigfoot en plastique que j’ai acheté dans le Wisconsin [1] et qui a bêtement dû tomber de l’étagère au moment où tu m’expliquais que ça te laissait de marbre [2]. Dis, on parie que je te fais peur avec un lapin ?

– Franchement, ça m’f’rait mal.

– Enfin un homme-lapin, plus exactement.

– Un lapin-garou ?

– Pas vraiment, n…

– Tu comptes me faire peur avec un putain de lapin-garou ?

– Je peux parler, oui ?

– Aucune chance. Tu n’as aucune chance.

Disons que ça dépend de ce qu’on a en stock du côté icono.

– Déjà, ce n’est pas franchement un lapin-garou. La légende est différente et tous les mômes nés en Virginie dans les années 70 la connaissaient. Ils se sont bien évidemment fait une joie de la transmettre à leurs enfants, au point qu’elle fait toujours partie des grands succès des soirées feu de camp-chamallow. Tu peux me croire sur parole, je l’ai entendu pour la première fois à 17 ans au bord d’un lac et je n’ai pas fermé l’œil de la nuit.

– Pour un lapin ? Ha.

– Pour des lapins. Morts. Étripés. Imagine des guirlandes entières de tripes de lapins.

– Mon rythme cardiaque n’a toujours pas bougé d’un iota.

– L’histoire qu’on se racontait en pleine nuit devant les braises, c’est qu’un malade mental, échappé de l’asile du coin après avoir trucidé sa famille à coup de hachette, s’était mis à buter tous les pauvres Panpan qu’il croisait dans le Comté de Fairfax avant de décorer les arbres et les lampadaires du secteur avec leurs boyaux. Évidemment, pour que ça fasse encore plus peur, il y avait une suite : petit à petit, le Bunny Man prenait confiance et commençait à exposer ses décorations de plus en plus près de la ville, en accrochant les dépouilles sanguinolentes des bestioles dans les parcs urbains.

– Je ressens peut-être l’ombre d’un début de sensation le long de la colonne vertébrale mais ça reste très léger. Continue.

– A force de s’enhardir, tu vois venir la suite gros comme une maison, non ? La version qu’on m’a racontée impliquait une mère de famille censée habiter à deux pas d’un petit parc où ses mômes, deux stars de l’équipe de football du lycée local, allaient courir le soir. Un soir – celui d’Halloween, évidemment – ils ne rentrent pas : après une nuit d’angoisse passée à appeler le 911 et à courir dans tous les sens, la mère finissait par les retrouver sous un souterrain de la gare de Fairfax, pendus tête en bas avec les intestins à l’air. La légende se terminait par un avertissement : éviter à tout prix de se balader le soir d’Halloween dans le secteur de la gare de Fairfax…

– Et c’est tout ? C’est censé me faire flipper ?

Franchement, loin de moi cette idée.

– Oh non. Enfin moi, à 16 ans, j’en ai mangé mes propres dents mais toi, adulte comme tu es et tout, je me doute que tu restes serein.

– Je préfère. C’est de la légende urbaine de niveau 1, franchement.

– Ce qui est censé te faire flipper, c’est que ce n’est pas tout à fait une légende urbaine.

– Pardon ?

– Plusieurs années AVANT que l’histoire ne se répande, il s’est bel et bien passé des trucs chelous de chez chelous à Fairfax.  Et ça, on le sait grâce à Brian Conley, l’archiviste du comté. Persuadé qu’une légende a toujours une origine réelle, il s’est tapé toute la presse locale des années 70. Et bingo.

– Comment ça bingo ?

– Le 18 octobre 1970, un jeune homme et sa fiancée étaient en train de, comment dire, « discuter » dans la voiture du garçon, à deux pas de la maison de son oncle, 5400 Guinea Road, Fairfax. Je n’ai pas le nom de la jeune fille, mais le garçon, Robert Bennet est un garçon plutôt carré, cadet dans l’Air Force Academy à ce moment là.

– Il est autour de minuit, j’imagine ?

– Évidemment. A un moment donné, ils se sont interrompus pour une bonne raison : quelqu’un était en train de hurler comme un possédé pas loin de la voiture.  

– Il y a de quoi refroidir certaines ardeurs, c’est très moral.  

– Surtout quand tu allumes les phares pour voir ce qui se passe, oui.

– Oh merde.

– Comme tu dis. Dans le faisceau des phares est soudain apparu un monsieur habillé en lapin.

– Hein.

– En costume de lapin, quoi. Avec de grandes oreilles. Tu sais, un peu comme ceux que tu apprécies de voir porté par les jeunes femmes de ton Playboy Clu…

– Ça n’intéresse absolument personne. Et ça s’est limité à ça, un connard bourré qui hurle ?

– Pas vraiment. La seconde suivante, le Bunny Man a balancé une hachette à travers le pare-brise de la voiture.

Cette hachette.

– Oh.

– Cela dit, c’est moins sanglant que dans la légende. Le fer de la hache a bien traversé la vitre mais dieu merci, personne n’a été blessé et la jeune femme en a été quitte pour se faire longuement peigner les cheveux par sa tante pour en ôter les éclats de verre. Cela étant, c’est pour ça qu’on a une trace de l’histoire : le couple a foncé au commissariat pour raconter l’histoire aux cops, à mon avis après avoir changé de slip pour être présentables.

– Et ? Fin de l’histoire ?

– Oh non.

– Comment ça non ?

– Quinze jours plus tard, Paul Phillip, un agent de sécurité privé, faisait le tour du pâté de maison qu’il était chargé de surveiller quand il a à son tour aperçu le Bunny Man, sous le porche d’une maison en construction, à deux pas de la première.

– Et il y faisait quoi, sous le proche ?

– Il rongeait la balustrade avec les dents, pourquoi ?

« Ivre virgule », le remake

– Il rong… Oh bordel.

– Oui, je pense que c’est à peu près ce que s’est dit le pauvre agent de sécurité, juste avant de se faire hurler dessus par un grand lapin qui avait eu le temps de se racheter une hache beaucoup plus grande et qui lui jurait qu’il allait lui couper la tête.

– Bonne ambiance.

– Ce n’est pas allé plus loin, ceci dit : le Bunny Man a fini par se tailler dans les bois derrière la maison.

– En faisant des petits bonds ?

– Tu ferais tout pour ne pas admettre que c’est un peu flippant, hein ?

– Pas du tout. Et la police a fait quoi ?

– Ils ont envoyé six hommes ce soir là pour fouiller le quartier, mais ils n’ont pas vu la queue d’un lapin, grand ou petit. En revanche, ils ont commencé à avoir des appels, cet automne-là.

– Beaucoup ?

– Une cinquantaine en quelques semaines. Il y a des chances qu’il y ait eu des petits malins dans le lot ou que Bunny Man ait inspiré quelques andouilles, mais pas tous. Le Bunny Man s’est bel et bien baladé quelque temps encore à Fairfax avant de disparaître de la circulation. Ceci dit, il est à l’origine d’une bien belle légende urbaine même s’il n’y a pas de meurtres et pas de lapins étripés partout.

– Et même pas de pont.

– Non, c’est venu après. Ceci dit, le pont de la gare de Fairfax est tellement associé à la légende que même Google l’a rebaptisé comme ça…

– Et on a une théorie ?

– L’archiviste, oui. En rencontrant le jeune couple attaqué le premier soir, Conley a appris que le mec déguisé en lapin leur avait hurlé qu’ils étaient sur son terrain avant de balancer la hache. Et il a aussi fait allusion à ça avec l’agent de sécurité… Comme tout le quartier était en train de sortir de terre dans ces années-là, Conley pense que le Bunny Man était peut-être un type agacé de voir des lotissements mordre sur la forêt.

– On ne saura jamais, quoi.

– Non, sans doute pas . Dis ?

– Oui ?

– On parie que tu n’oses pas murmurer cinq fois Bunny Man devant ton miroir ce soir ?


[1] Authentique, évidemment. J’étais jeune et c’était ça ou une balle de base-ball.

[2] Alors que même le FBI a enquêté sur cette bestiole. Ô, Amérique.

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