Le volontaire d’Auschwitz

Le volontaire d’Auschwitz

– Eh bien voilà, le destin se rit de moi.

– Tant que ça ? Tu ne penses pas qu’il a mieux à faire, entre nous ?

– Manifestement pas. Je te l’accorde, il ne m’inflige pas des tourments indicibles qui me pousseraient à me frapper la poitrine en dénonçant son iniquité cruelle, Dieu merci, mais un petit rappel sur l’importance de la modération.

– Ah. Il est donc question d’alcool.

– Quoi ? Mais non !

– Oh, tu veux dire…les autres substances ?

– Mais enfin, non plus !

– Alors je ne vois pas.

– Mais si, et je t’accorde que c’est aussi un peu une forme de drogue en ce qui me concerne : le vocabulaire. En particulier celui qui pousse un peu sur l’hyperbole, qui fait un tantinet dans l’exagération, qui part d’emblée en mettant les niveaux à 11. Si tu vois ce que je veux dire.

– Oh, à peine. Je te reconnais tout juste. Vraiment, si tu ne le disais pas toi-même, je ne ferais pas le lien.

– Ouais, bon, ça va. N’exagère pas.

– Ca te va bien de dire ça. Et donc ?

– Ben à force de sortir les superlatifs et l’artillerie lourde à la première occasion, j’ai l’impression d’être un peu démuni pour te parler de la figure du jour. Comme si je n’avais plus que des termes un peu émoussés alors que j’aurais besoin de toute la puissance évocatrice d’un vocabulaire maximal.

– Diantre, à ce point ?

– Ah oui. Le gars dont je vais te parler, il aurait besoin d’un mot qui ferait passer le « héros » pour le type qui court les rues. De la même façon, non seulement il s’est retrouvé au milieu d’un endroit qu’on peut très certainement qualifier d’enfer sur terre, en vrai, mais en plus il était volontaire pour y aller.

– Je suis déjà impressionné. L’avantage c’est qu’il doit déjà être bien connu, non, et dans sa classe à part ?

– Eh ben non. Pire que ça, son histoire a été délibérément effacée pendant plusieurs décennies. Je suis à peu près certain que tu n’as jamais entendu parler de Witold Pilecki.

– Je confirme.

– Alors accroche-toi, et prépare l’orchestre, on est parti pour du niveau légendaire.

Pas de cape, mais c’est l’idée.

Witold nait en mai 1901, dans la ville d’Olonets. C’est en Russie, mais sa famille est originaire de Lituanie. Elle a été déportée en Russie pour avoir pris part à l’insurrection de janvier 1863.

– Fais comme si je n’étais pas tout à fait familier avec cette dernière.

– C’est un mouvement qui éclate dans le duché russe de Cracovie pour demander le rétablissement de la République des deux nations, polonaise et lituanienne, qui avait été divisée entre les empires allemand, austro-hongrois, et russe.

– Ha, chouette, il va être question de frontières et d’états dans l’Europe centrale entre 1850 et 1920…

Quoi, c’est super-fun.

– Ne t’inquiète pas. Quand il a 10 ans, sa mère emmène ses 5 enfants à Vilnius, où ils reçoivent une éducation polonaise. Alors que c’est la future capitale lituanienne, qui est alors une ville russe.

– Qu’est-ce que je disais.

– Il y rejoint l’association scout polonaise, qui est alors clandestine. Parce qu’il n’est pas question pour les autorités russes de laisser encourager une quelconque revendication nationale polonaise. Le 11 novembre 1918, la Pologne proclame son indépendance retrouvée pendant que la Russie a d’autres chats à fouetter.

– C’est malin de faire ça un jour férié.

– Vilnius fait alors partie de cette Pologne toute nouvellement proclamée, et le tout jeune Witold rejoint la section scout de la milice de défense, dans la mesure où on s’attend quand même à ce que l’Union Soviétique ne laisse pas faire. Ce qui ne manque pas d’arriver, puisqu’elle lance une offensive début 1919. C’est alors la guerre soviéto-polonaise, qui dure deux ans.

– C’est important pour l’URSS de prendre rapidement l’habitude d’envahir ses voisins.

– Et de l’entretenir par la suite. La milice ne parvient pas à tenir Vilnius, à la suite de quoi l’unité de Pilecki mène des actions de guérilla contre l’Armée rouge. Puis il rejoint la toute nouvelle armée régulière polonaise, dans la cavalerie. Il prend ainsi part à la décisive bataille de la Vistule, qui sauve la mise de la Pologne face à l’URSS. Puis il participe à la mutinerie de Zeligowski, une opération tordue par laquelle toute une division polonaise, celle du général Zeligowski, « déserte » et prend le contrôle de la province de Vilnius, ce qui permet au gouvernement polonais de nier toute responsabilité dans l’affaire. Zeligowski annonce alors la création de la République de Lituanie centrale, qui est par la suite annexée par la Pologne en 1922, à la demande du parlement de la Lituanie Centrale, avec reconnaissance internationale en 1923. Ca va ?

– Je suis. J’ai pris des notes.

– A l’issue de la guerre contre l’URSS, Pilecki, qui a tout juste une vingtaine d’années, est pour ainsi dire un vétéran de l’indépendance, qui a mené des actions clandestines aussi bien que participé à des opérations régulières. Il est promu caporal, puis devient réserviste dans la cavalerie le temps de poursuivre ses études, qu’il doit arrêter prématurément faute de sous. Il retourne alors dans l’armée, où il passe lieutenant.

Et il est moche, aussi, tant qu’à faire.

– Beau parcours. Et ensuite.

– Ben ensuite rien, il se marie, a des enfants et tout se passe bien pour la petite famille Pilecki. Jusqu’à un certain mois de septembre 1939.

– Pas le meilleur moment de l’histoire de la Pologne.

– Pas vraiment, non. Au moment de l’invasion allemande 1er septembre 1939, Witold est commandant d’un groupe de cavalerie et prend évidemment part au conflit. Quand intervient  la capitulation, il refuse de se replier vers la Roumanie ou la France conformément aux instructions du commandant en chef des armées, et opte plutôt pour la poursuite du combat dans la clandestinité.

– Pas du genre à battre en retraite.

– Pas trop. Le 9 novembre 1939, Witold participe à la fondation de l’Armée secrète polonaise (TAP) à Varsovie. Les membres fondateurs sont au nombre de six, et Pilecki est en charge de l’organisation. La TAP recrute et s’étend rapidement à la plupart des grandes villes. Début 40, elle compte 8 000 hommes. A partir d’août 40, Pilecki est à la tête de la première branche de l’Armée secrète, en charge de l’organisation et de la mobilisation.

– Ils n’ont pas perdu de temps. Et au-delà du principe général de vouloir foutre les Allemands dehors, ils ont une forme d’orientation politique ?

– Les fondateurs de la TAP sont chrétiens, et insistent volontiers sur leurs valeurs chrétiennes. Ce qui, dans l’ensemble, ne marche pas trop mal pour combattre le nazisme.

– De fait.

– Cependant le commandant Wlodarkiewicz, retiens son nom parce que je vais éviter de le répéter, qui est la tête du mouvement, considère que l’échec de la Pologne à résister à l’invasion tient à ce qu’elle a elle-même abandonné ses valeurs catholiques. Il est disposé à s’allier avec les nationalistes, même d’extrême-droite, pour lutter, et finit par laisser entendre que tout ça c’est quand même un peu la faute des Juifs.

– Ha. C’est pas parce qu’on combat les nazis qu’on ne peut pas être un peu antisémite, quand même.

– Par conséquent Pilecki se casse et rejoint un autre mouvement clandestin, l’Union pour la lutte armée (ZWZ). Il commence pour elle à recueillir des renseignements et informations, qui sont transmis au gouvernement polonais en exil. Wlodarkiewicz finit par accepter de se joindre aux autres mouvements et en particulier la ZWZ. En août 40, il propose que Pilecki mène une mission spéciale.

– Uh, est-ce que ça pourrait être un sale coup pour régler ses comptes ?

– Je te laisse en juger. Il s’agit d’infiltrer une nouvelle structure récemment mise en place par les occupants en avril, dont la nature, l’objet, et le fonctionnement intriguent.

– C’est quoi exactement ?

– Oh, je pense que tu en as vaguement entendu parler. Les Allemands l’ont construite sur le territoire de la localité d’Oswiecim. En allemand, ça se dit Auschwitz.

– Ils…veulent que Pilecki infiltre Auschwitz ?!

– Exactement. Le camp a commencé à opérer au printemps, et des premières informations sont remontées par des prisonniers libérés et des civils (riverains, cheminots). C’est alors un camp de concentration, pas d’extermination, néanmoins les renseignements soulèvent des questions sur son objet et la façon dont les prisonniers y sont traités. Ce serait bien d’aller voir.

– Euh…non merci ?

– C’est pas le genre de Witold. Pour lui il s’agit plus d’une proposition que d’un ordre, et il l’accepte.

– C’est pas une bonne idée, Witold.

– Le 19 septembre 40, Witold Pilecki assume l’identité de Tomasz Serafinski, un membre de la résistance présumé mort, pour protéger sa famille.

– La protéger de quoi ?

– De représailles, s’il s’échappe. Sa mission n’est pas forcément de rester indéfiniment prisonnier. Puis il se fait appréhender, soit lors d’une arrestation massive dans la rue soit lors d’une perquisition dans un appartement, par les Allemands. Ce jour-là, 2 000 Polonais sont pris. C’est d’autant plus gonflé que Witold n’a aucune certitude qu’il sera envoyé à Auschwitz. Il pourrait tout aussi bien pu être récupéré par la Gestapo pour interrogatoire voire exécution, ou placé en détention ailleurs, ou expédié dans un camp de travail en Allemagne. A ce stade il risque de finir ses jours en taule sans pouvoir réaliser sa mission.

– Ca doit être la seule fois dans l’histoire de l’humanité où l’on part du principe que si le plan se passe bien, il atterrit à Auschwitz.

Gagné !

– Le 21 septembre, Pilecki est enfermé à Auschwitz, où il est le prisonnier 4859.

Il est content d’avoir réussi.

Il remarque, et souligne dans les premiers rapports, la brutalité dont font preuve les gardes d’emblée à l’arrivée. Et aussi que les rations semblent délibérément insuffisantes, pour ne pas permettre de survivre longtemps. A croire que c’est l’objectif.

– En tant que prisonnier, dans ce qui n’est alors qu’un camp de prisonniers, j’imagine qu’il est mis aux travaux forcés.

– C’est ça. Il travaille, et il travaille pour la résistance. Et ne vas pas penser qu’il n’est là que pour collecter des informations. Non. On parle de Witold Pilecki. Il est à Auschwitz ? Eh ben il va y constituer des réseaux de résistance, qu’est-ce que tu crois. Il met en place une organisation militaire clandestine, la ZOW, soit quelque chose comme Union des organisations militaires clandestines. Son objet est de soutenir le moral des prisonniers, de diffuser des nouvelles de l’extérieur, ou encore de distribuer les vêtements et la bouffe qu’ils pouvaient récupérer et mettre de côté.

– Les gars sont mal nourris, mal traités, ils doivent effectuer des tâches harassantes à longueur de journée, et ils ont des activités clandestines en plus ?

– Mais oui. En plus de ce que je viens de te dire, la ZOW sous le commandement de Witold établit des réseaux de renseignements. Et prépare une insurrection.

– Carrément ?

– Pense à tout ce que ces prisonniers pourraient apporter à la résistance s’ils se libéraient, sans parler du coup porté à l’occupant. La ZOW, qui est constituée de cellules de 5 personnes pour éviter que la capture d’un de ses membres puisse mettre toute l’organisation en péril, finit par fédérer toutes les autres organisations de ce type présentes dans le camp.

– Ah parce qu’il y en avait d’autres ?!

– Manifestement. Et ils mènent des actions. Les SS mettent en place une boîte aux lettres pour que les prisonniers puissent dénoncer les plus séditieux d’entre eux, contre récompense. La ZOW la force, intercepte les courriers, et dénonce à la place les informateurs pour se débarrasser d’eux. Par ailleurs, elle organise un élevage de poux porteurs du typhus pour infecter les SS, et il semble que plusieurs de ces derniers en soient morts. Et puis Pilecki établit des rapports et les transmet à l’Armée intérieure, le principal mouvement de résistance polonais, via notamment des prisonniers qui sont libérés, ou qui parviennent à s’échapper quand les libérations deviennent plus rares. Aussi, en 1942, la ZOW dispose d’une radio, évidemment bricolée sur une durée de 7 mois avec des pièces récupérées et introduites comme ils pouvaient. Ils s’en servent pour transmettre leurs informations, avant de la démanteler à l’automne de peur qu’elle soit découverte.

Vous connaissez la longueur d’onde.

– Bien joué.

– Ses premiers rapports pointent les conditions d’internement particulièrement dures, et le fait que de nombreux prisonniers meurent de faim ou d’épuisement. Pilecki est également le premier à signaler l’usage du Zyklon B et des chambres à gaz après avoir assisté à sa première utilisation en septembre 41, pour tuer 850 prisonniers de guerre soviétiques et polonais au bloc 11 d’Auschwitz 1. Il apprend aussi la construction d’Auschwitz 2, Auschwitz-Birkenau, à partir d’octobre 41, et que cette construction inclut des chambres à gaz. Ce qui est logique puisque ce deuxième camp est cette fois un camp d’extermination. Les informations de la ZOW incluent des estimations du nombre de prisonniers et déportés qui rentrent quotidiennement dans le camp, et de ceux qui sont gazés, en signalant que les corps sont brûlés dans les fours.

– On peut définitivement enterrer l’idée que personne ne savait ce qui se passait.

– Définitivement. Les informations de Pilecki remontent jusqu’au gouvernement polonais en exil, qui les transmet aux Alliés. Tout y est : la brutalité, la famine organisée, les expérimentations médicales, et les exterminations. Cependant ces rapports sont reçus avec circonspection, et sont soupçonnés d’être très exagérés. Witold espérait que ses informations conduiraient l’Armée domestique à lancer l’insurrection, ou les Alliés à bombarder. Il attend l’ordre de lancer une insurrection, qui ne vient pas. Ce qui le frustre de plus en plus.

– J’imagine.

– D’autant que la Gestapo ne se tourne pas les pouces et fait la chasse à la ZOW. Elle réussit ainsi à attraper un certain nombre de membres. Sachant qu’à ce moment, les effectifs de la ZOW à l’intérieur du camp sont estimés entre 500 et 1 000 personnes. Voyant que rien ne se passe et craignant de finir identifié, Witold décide de mettre les voiles au printemps 1943.

– Oh ben oui, rien de plus simple. Suffit de s’échapper d’Auschwitz.

– Je ne dis pas que c’est facile, mais ça c’est fait. Par exemple le 20 juin 42, 4 prisonniers se font la belle. Ils se déguisent en SS et empruntent une voiture pour sortir du camp par la porte.

– Un plan à la Colditz.

– Exactement. En avril 1943, Witold Pilecki a passé 947 jours dans le camp. Non seulement il a survécu plus de deux ans, et trois hivers, mais il y a été pour le moins actif.

– Pour le moins.

– Dans la nuit du 26 au 27 avril 43, lui et deux camarades sont affectés à la boulangerie du camp, qui est située à l’extérieur de l’enceinte, sous la surveillance de deux SS. Lors d’une précédente affectation, ils ont utilisé de la mie de pain pour prendre l’empreinte du cadenas qui verrouille la porte et préparer l’outil adapté. Ils le forcent, neutralisent un garde, coupent la ligne de téléphone et l’alarme du poste de garde, et parviennent à prendre le large. Ils manquent de se faire serrer, et Witold se fait tirer dessus et toucher. Mais ils parviennent néanmoins à rejoindre la résistance. Ils arrivent dans une cellule sous le commandement…d’un fantôme.

– Que…quoi ?

– Tu te souviens de Tomasz Serafinski ?

– Euh, attends… Ben oui, c’est le nom sous lequel Pilecki a été arrêté.

– Exact. Celui d’un résistant mort un peu plus tôt. Sauf que non, en fait. Serafinsky est bien vivant, et c’est lui qui recueille le gars qui a usurpé son identité.

– C’est pas possible, tu te moques de moi.

– C’est pas moi, c’est le Destin. En conséquence de quoi Serafinski est arrêté le 25 décembre 43 pour s’être évadé d’Auschwitz.

« J’en connais un qui n’a pas été sage. Allez, au trou ! »

Il passe un sale moment, mais est finalement libéré le 14 janvier 44, une fois qu’il est établi que c’était pas lui. Lui et Pilecki devinrent amis par la suite.

– Pas rancunier.

– Non, et par ailleurs tous ceux qui croisent la route de Pilecki soulignent que c’est un type profondément sympa et attachant.

– Ah oui, en plus. Et il devient quoi, lui, après son évasion ?

– Oh ben tu le connais, il est du genre à ne rien faire. Witold rédige un premier rapport, qu’il enterre dans sa planque et qui ne sera retrouvé qu’après sa mort, puis il rejoint Varsovie en août 43 et établit son rapport officiel à l’Armée intérieure, le rapport W. Il traite de trois sujets : l’état des réseaux établis au sein du camp, l’expérience de la détention, et dans une moindre mesure l’extermination des prisonniers, y compris les juifs. L’objectif de Witold est de convaincre la résistance d’attaquer le camp, mais elle ne suit pas. Elle considère que l’attaque aurait peu de chance de réussir, et même si, elle ne dispose pas des capacités logistiques pour récupérer, ramener, nourrir, et planquer les prisonniers.

– Mouais.

– Quant à l’Armée Rouge, proche, elle ne voit pas l’intérêt de cette opération et ne propose pas son appui. Witold est amer, voire aigri, et critique la lâcheté de ses supérieurs.

– Ca se comprend.

– Il rejoint un groupe de sabotage en même temps qu’une organisation anti-communiste, et est promu capitaine en février 44. En parallèle il continue à coordonner l’Armée intérieure et la ZOW pour aider cette dernière du mieux qu’il peut.

– Toujours au four et…ouais, nan.

– Pilecki prend part à l’insurrection de Varsovie, lancée le 1er août 1944, mais qui échoue. Il est alors fait prisonnier par les Allemands. Cette fois il est envoyé dans un camp de prisonniers pour officiers en Allemagne, où il reste jusqu’à sa libération en avril 45.

– Vache, il a réussi à survivre à la guerre avec tout ça. Je suis pour le moins impressionné. Au moins maintenant c’est fin…

– En juillet 1945, Witold rejoint la section renseignement de l’Armée polonaise en Italie. Qui l’envoie en Pologne en octobre, alors que les relations entre le gouvernement en exil et le gouvernement communiste mis en place par les Soviétiques se dégradent. Il est chargé de fournir des renseignements sur la situation sous occupation soviétique.

– Mais faut arrêter à un moment, Witold !

– Ben quoi, le IIIe Reich c’est fini, c’est le moment de s’en prendre à l’URSS. Ca fait plus de 20 ans depuis la dernière fois, ça lui manque. Arrivé en Pologne, Witold vit sous plusieurs identités pour mener sa mission à bien. Il réussit ainsi, entre autres choses, à rassembler des preuves que les résultats du référendum de 1946, qui avait pour but de plébisciter le régime pro-soviétique, ont été largement bidonnés. Il récupère également les coordonnées et numéros de téléphone de plusieurs membres du gouvernement et conseillers soviétiques.

– Ce type est un super-héros.

– Au moins. En juillet 46, il apprend qu’il est compromis et que le ministère de la Sécurité publique l’a repéré et identifié. Il reçoit l’ordre de partir.

– Ca me semble une excellente idée. Attends, ne me dis rien, il refuse ?

– Evidemment. Il est arrêté  par les autorités soviétiques le 8 mai 1947, et « interrogé ».

– Il morfle, quoi.

– Pour te donner une idée, il dira à sa femme qu’Auschwitz était un camp de vacances à côté de ce qu’il a alors subi. Un camp de vacances ! Pour autant, il ne donne rien ni personne.

– Je ne suis pas surpris.

– Witold Pilecki est jugé en mars 1948 pour être entré illégalement sur le territoire et avoir usé de faux papiers, ne pas s’être présenté à l’armée, mais aussi et surtout port d’arme illégale, espionnage à la fois pour l’armée polonaise de l’étranger et les puissances impérialistes, et conspiration pour assassiner plusieurs officiels. Il rejette les accusations de conspiration, et explique qu’il est membre de l’armée polonaise, et lui transmet des informations de façon tout à fait légale. Il plaide coupable pour les autres charges.

On a une bonne idée de ce qu’il pensait de ses accusateurs, là.

– C’est peut-être pas une bonne idée.

– Pfff, la sentence était prête avant le procès. Plusieurs ex-prisonniers d’Auschwitz demandent aux juges de faire preuve de clémence. Ils en appellent même au premier ministre d’alors, Jozef Cyrankiewicz, lui-même survivant d’Auschwitz où il faisait partie de la résistance. Ce dernier non seulement décline, mais souligne que Pilecki doit être jugé avec la plus grande sévérité pour ses crimes. Il donne aux juges l’instruction d’ignorer tout ce qui avait trait à ses activités pendant la guerre et dans le camp.

– Fumier !

– Au moins, oui. Pilecki est condamné à mort, puis est exécuté le 25 mai 1948. Il est enterré dans un endroit inconnu, et son histoire est effectivement mise sous le boisseau pendant toute la période soviétique. Heureusement, sa mémoire est réhabilitée à la chute du Mur, et son nom a été donné à de nombreux monuments, rues, et institutions. Il a été décoré et promu colonel.

C’est bien le minimum.

– Eh ben je suis d’accord. Va falloir qu’on trouve un vocabulaire spécifique pour les types de ce calibre.

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One thought on “Le volontaire d’Auschwitz

  1. Vous indiquez que notre hyper-super-héros a, funestement, été fusillé en mai 45 cependant que le buste lui rendant honneur indique qu’il est mort en 1948?
    Me voilà bien confus !

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