Les révoltés du céleri (une petite histoire du scorbut, bonus)

Les révoltés du céleri (une petite histoire du scorbut, bonus)

J’imagine que Fernand de Magellan vous est un peu connu. Au moins son nom, sinon son prénom. Nous lui en sommes en effet redevables. C’était un navigateurportugais, qui entreprit dans le premier quart du 16ème siècle de réaliser la première circumnavigation, c’est-à-dire tour du monde à la voile, en partant vers l’ouest depuis l’Europe.

Ce faisant, il embarqua avec lui et forma un jeune pilote qui devint quelques années plus tard l’un des plus grands héros de l’histoire de l’humanité.

Il y a ceux à qui cette image fait de l’effet, et ceux qui ont raté leur enfance.

Magellan est aussi accessoirement connu pour deux-trois faits mineurs, notamment avoir trouvé le passage qui porte son nom et qui permet de traverser la pointe de l’Amérique du sud pour aller de l’Atlantique au Pacifique.

Dans l’autre sens,
 ça marche moins bien

On a également l’habitude de créditer Fernand pour avoir effectivement réalisé la première circumnavigation, mais c’est en l’occurrence inexact. Il est parti de Séville le 10 août 1519 avec 5 navires et 237 hommes. Le 6 septembre 1522, seuls 18 membres d’équipage parviennent à revenir à leur point de départ (dans un seul bateau, ça va sans dire), et Fernand n’en fait pas partie. Il est en effet mort le 27 avril 1521.

Mort comment ? Comme un con, aurais-je tendance à dire. L’expédition fait escale dans une île des Philippines, à savoir celle de Mactan. Le roi local refuse de se soumettre à l’autorité du capitaine (et de l’Espagne à travers lui). Magellan, qui a manifestement trop joué à Civizilation (ou pas assez) décide alors de mener une expédition punitive. Il prend une soixantaine d’hommes équipés d’arquebuses et d’armures, pour aller combattre environ 1 500 guerriers locaux armés de lances et de flèches empoisonnées. Les Espagnols ne subissent que 9 morts, ce qui dans l’absolu est une belle performance, mais le chef de l’expédition, Fernand lui-même, en fait partie.

Etrangement, 9 autres membres de l’expédition ont également été victimes d’une autre cause avec laquelle vous devriez maintenant être un peu familiers, à savoir le scorbut. Neuf morts, pour une trentaine de malades, lors de la partie la plus longue du voyage entre le détroit de Fernand et l’île de Guam. Ce qui est statistiquement fort peu par rapport à la durée de la navigation et aux statistiques habituelles dans la marine de l’époque. L’équipage se retrouve à court de rations pendant la traversée du Pacifique, et doit manger successivement des rats, des chats, et même des bouts de voile, et il subit logiquement le scorbut et le béribéri. Mais pas tant que ça.

« On s’en sort bien. J’ai même eu du rab’ de chat. »

Comment expliquer que le scorbut ait relativement épargné l’expédition de Magellan ? Miracle, coup de génie lors de la constitution des provisions, goût de Fernand pour le jus de citron ?

Pas du tout, c’est le fait d’une désertion. Alors que la flotte de trouve en Patagonie au printemps 1520, trois officiers qui s‘inquiètent de la tournure de l’expédition (ils en sont pas convaincus par l’idée de trouver un passage vers l’ouest) mènent une mutinerie. Elle tourne court, mais l’ambiance n’est pas excellente. En mai, Magellan envoie l’un de ses navires, le Santiago, chercher le fameux passage vers le Pacifique.

« C’est pas compliqué. C’est un détroit, y’a mon nom dessus. »

Sauf qu’il s’échoue. Fernand attend trois mois, puis repart vers le sud. Le 21 octobre, il repère ce qui pourrait constituer un passage, et y engage sa flotte. Au milieu de la traversée du détroit (notons que les équipages n’avaient par définition par idée qu’il se trouvait au milieu du détroit, ni même que celui-ci déboucherait effectivement sur le Pacifique), le pilote du San Antonio se dit que ça suffit comme ça. Il se rebelle, entraîne ses camarades, et le capitaine, un cousin de Fernand, se retrouve aux fers. Le San Antonio rebrousse alors chemin et repart vers l’Espagne.

Sauf que Magellan n’est pas au courant. Il constate qu’un de ses bateaux manque à l’appel, et décide donc de faire escale dans la Baie des Sardines pour l’attendre. Au bout d’une dizaine de jours et de quelques recherches, il passe le San Antonio par pertes et profits, et se résout à remettre les voiles avec les trois vaisseaux restants. Or il se trouve que le secteur est riche en céleri sauvage, dont les marins se goinfrent et font des stocks.

Certes, c’est du céleri. Mais l’alternative ce sont des biscuits moisis.

Coup de bol, la racine est très riche en vitamine C, ce qui en fait un antiscorbutique particulièrement efficace. En vertu de quoi les équipages de Magellan emmagasinent assez de vitamine pour travers le Pacifique sans trop souffrir du scorbut.

« Je me demande si ça protégerait pas aussi des flèches empoisonnées… »

Autrement dit, si l’expédition de Magellan n’avait pas dû faire une escale improvisée pour cause de désertion, les pertes liées au scorbut auraient certainement été plus lourdes. Sans faire dans l’histoire-fiction, sachant qu’au final seuls 18 marins sont revenus au port, peut-être même qu’elle n’aurait jamais pu atteindre l’Espagne.

Et c’est ainsi qu’une tendance est née.

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