Miroir, miroir

Miroir, miroir

(La science perchée, 6ème épisode)

Il ne faudrait surtout pas croire que les Etats-Unis ont été les seuls à tenter des choses bizarres en orbite. Les initiatives soviétiques ont peut-être été moins fréquentes, mais elles étaient incontestablement brillantes.

A son apogée, typiquement sous le règne de Victoria, l’empire britannique était si vaste que, selon l’expression, le soleil ne s’y couchait jamais. Et puis quelques décennies plus tard la décolonisation est venue gâcher tout ça, parce que les peuples ne comprennent rien à la beauté poétique, et n’ont à la bouche que des revendications triviales comme « la liberté » ou « l’indépendance ». Toujours est-il qu’il n’y avait aucune raison pour que cette performance d’ensoleillement permanent (d’autant plus remarquable que britannique, et la Grande-Bretagne n’est pas particulièrement synonyme d’ensoleillement) reste l’apanage de la nation mère du capitalisme triomphant moderne. Non ! Aussi, quelque chose comme un siècle plus tard, l’idée fut reprise par les dirigeants de l’Union soviétique : bénéficier en permanence de la lumière du soleil.

Non pas tant par une extension géographique (même s’ils ont bien essayé un peu aussi), mais grâce à la science spatiale au service de la productivité prolétarienne. Le principe consistait à placer en orbite au-dessus de la Mère Russie un miroir géant, qui renverrait au sol la lumière du soleil pendant la nuit…

Pardon ? Comment on peut renvoyer la lumière du soleil pendant la nuit ?

(Soupir)

Eh ben comme la lune. Quand la lune est illuminée, ce n’est pas parce qu’elle émet elle-même de la lumière, c’est juste un bête gros caillou.

Hé, ça fait deux fois là ! Ca suffit au bout d’un moment !

Quand elle n’est pas dans l’ombre de la Terre, la lune renvoie la lumière du soleil, et ce y compris pendant la nuit. Même principe pour le miroir spatial. Ok ?

A la base, l’idée vient de Vladimir Syromyatnikov, qui n’a rien d’un illuminé puisque c’est un ponte des programmes spatiaux soviétiques. Il a notamment travaillé sur la capsule qui a envoyé Gagarine en orbite, ou sur les systèmes d’amarrage des engins spatiaux. Ce qui intéresse Vladimir, c’est l’idée de la voile solaire. Une voile solaire, c’est…une voile, propulsée dans le vide spatial par la lumière des étoiles. Parce que si la lumière n’a pas de masse, elle possède une énergie suffisante pour propulser une surface suffisamment grande, légère, et réfléchissante, en l’absence d’atmosphère qui la freine. Syromyatnikov voulait donc mettre au point des sortes de grands voiliers spatiaux, et élabore des projets dans les années 80.

Dans le même temps, les dirigeants soviétiques ont toujours été très attachés à l’efficacité productive de leurs travailleurs. Voir Stakhanov. Or dans les exploitations agricoles du nord du pays, les journées de travail sont très sévèrement réduites pendant l’hiver, quand il n’y a plus que quelques heures de soleil par jour.

En 1988, Vladimir a donc l’idée de proposer son concept comme un miroir géant (il s’agit après tout d’une grande surface réfléchissante), susceptible d’illuminer les provinces plongées dans le noir. Et donc d’augmenter la durée quotidienne de travail. Du coup, il obtient l’aval du gouvernement.

Là-dessus, quelques contretemps mineurs apparaissent…

Parce que les peuples ne comprennent rien à la beauté poétique d’un miroir spatial, et ne pensent que « pain » et « liberté ».

Mais, en 1992, le projet est finalisé, et la Russie met en orbite Znamya (Bannière) 2 (Znamya 1 était le premier prototype réalisé au sol). C’est un réflecteur qui, une fois déployé, possède un diamètre de 20 mètres.

Idiots ! Vous avez déployé le presse-citron spatial !

Znamya est déployé dans la nuit du 4 février 1993, et projette à la surface de la Terre un rayon d’environ 4 km de large, brillant comme une pleine lune, qui balaie l’Europe du sud (y compris la France) et la Russie occidentale. Ce niveau de luminosité est inférieur à ce qui était annoncé, mais l’expérience est néanmoins un succès. Ayant fait ses preuves, Znamya 2 est détruit lors de sa rentrée dans l’atmosphère.

Le programme se poursuit donc, mais péniblement en raison de l’état des finances russes. En 1999, Znamya 2.5 est lancé. Le diamètre passe à 25 mètres, et les ambitions du programme sont revues à la hausse. A terme, l’idée est de mettre en orbite un réseau de plusieurs grands miroirs (Znamya 3 doit avoir un diamètre de 70 mètres), qui permettront d’illuminer plusieurs villes, leur permettant de se passer d’éclairage nocturne. Le système Znamya pourrait également être utilisé pour apporter de la lumière dans les zones sinistrées et frappées par des catastrophes.

Le projet est cependant contesté. Les astronomes dénoncent la pollution lumineuse, les défenseurs de l’environnement et les médecins une perturbation des cycles circadiens des plantes, animaux, et humains, sans compter ceux qui considèrent que chacun a droit au ciel nocturne et étoilé.

Au final, c’est la station Mir qui décide de ruiner le programme. Znamya 2.5 est d’abord arrimé à la station avant de se déployer. Au moment de sa mise en place, le 5 février 1999, une antenne de Mir déchire l’un des pans du réflecteur, et la mission est avortée. En dépit des efforts de Vladimir Syromyatnikov, le projet est alors définitivement abandonné.

Définitivement ?

Ha, bourgeois présomptueux ! Reprenant fièrement la bannière (hé hé) de l’Union soviétique, ne voilà-t-il que la République Populaire de Chine a annoncé son intention de mettre en orbite, d’ici 4 ans, des « lunes artificielles », en reprenant le même argumentaire. A suivre.

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