Mithridate : « J’aime qu’un plan se déroule sans accroc. »

Mithridate : « J’aime qu’un plan se déroule sans accroc. »

– Hey !

– Bonjour, lecteur que j’imagine jeune pour utiliser une telle interjection pour le moins familière et assez peu protocolaire. Et aussi, masculin.

– Ca fait beaucoup de présupposés.

– Certes, en même temps tu m’as pas donné grand-chose alors il faut bien que j’extrapole.

– Admettons. Hey, disais-je donc.

– De même. J’imagine qu’il y a une suite ?

– Absolument. Je voulais dire : j’aime bien ce que vous faites. C’est plaisant, instructif, spirituel…

– Uh uh.

– J’aime moins quand vous me faites dire des choses pareilles.

– Oups, pardon. Je…j’extrapolais.

– Donc, voilà, j’ai bien aimé le coup de « qui c’est le plus fort », et du coup j’ai réfléchi.

– C’est…bien, j’imagine.

– On peut devenir aussi fort de Neissiria Gonorrhoeae ?

– Non. Absolument impossible.

– Attends, j’ai un plan. Imagine, je chope la blennorragie, et puis je deviens mutant en m’exposant à des matériaux radioactifs…

– Non.

– Alors je mange des OGM…

– Non.

– Je me fais percuter par une météorite venue d’une autre planète…

– Bon courage pour le planifier, mais c’est non.

– Je m’introduis dans le LHC et je me fais bombarder d’anti-quarks…

– Non !

– Je…

– Non, non, et non ! Déjà, un plan qui commence par « j’attrape la blennorragie », tu t’arrêtes tout de suite.

Même si c’est exactement le point de départ de beaucoup de plans de soirées.

– Mais comme ça j’aurais un super-pouvoir !

– Bon alors déjà ça marche pas comme ça. Regarde le nombre de super-héros venus d’Hiroshima ou Tchernobyl. S’il suffisait de se faire irradier… Et puis en plus, je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée.

– Mais enfin, pourquoi ?

– Parce qu’avec un super-pouvoir…

– Viennent de super-responsabilités ! Je connais !

– Nan, avec de super-pouvoirs viennent de super-emmerdes. Les responsabilités c’est juste une question de morale. Crois-moi, on peut avoir un super-pouvoir, aucun sens moral, et des emmerdes.

– Tu penses à quelqu’un.

– Absolument. Mithridate.

– Connais pas.

– M’étonne pas. Si tu lisais Racine, plutôt que des comics.

– Nah nah nah.

– Mithridate, jeune inculte, était… Bon déjà, précisons que nous parlons de Mithridate VI.

Facile à reconnaître, le 6 c’est celui qui a un lion comme casquette.

– 6 ?! Mais j’ai pas vu les premiers !

– Non, mais ça marche pas comme ça.

– Ah, c’est comme Star Wars, ils savent pas compter ?

– Non, c’est pas ça. Il y a eu des Mithridate 1 à 5, mais en fait on s’en fiche pour l’histoire du jour. On ne s’intéresse qu’au 6.

– C’est un stand-alone.

– Si tu veux. Mithridate VI, également dit Eupator, c’est-à-dire dont le père était bon, était roi du Pont.

– Pfff, c’est pas terrible comme nom pour un roi. C’est Dupont ou Dupond ?

– Ni l’un ni l’autre. Roi. Du. Pont. Le Pont, ou Pont-Euxin, est un royaume antique située sur la côté nord de la Turquie actuelle, côté Asie. Mithridate nait vers -132.

Les géographes antiques n’avaient pas encore découvert que « pont » signifie « pont », et non « mer ».

Il est le fils de Mithridate V Evergète, c’est-à-dire le Bienfaiteur.

– Je trouve que Bienfaiteur ça sonne mieux.

– J’ai tendance à être d’accord. Cela dit, tout bienfaiteur qu’il était, il se fait assassiner quand notre jeune Mithridate a une douzaine d’années. Ce dernier accède au trône vers 20 ans, et décide d’emblée de mettre sa mère en « résidence surveillée ».

– Ouch !

– Oui, bon, faut dire qu’elle était soupçonnée d’avoir liquidé son père.

– Bonne ambiance familiale.

– C’est le moins qu’on puisse dire, puisque pendant qu’il y est, il fait tuer son frère. Qui s’appelait aussi Mithridate (le Pont-Euxin souffrait alors d’une grave pénurie de prénoms), mais il ne l’a sans doute pas tué pour ça. Après des débuts aussi fracassants, et au vu des relations à la maison, il va passer son temps à craindre les assassinats.

– Surprenant.

– Mithridate travaille à renforcer son royaume. Il fait la guerre aux Scythes…

– Ha ! Tu vois que c’est du Star Wars !

– Nan, pas ceux-là. Les Scythes, un peuple d’Asie mineure à l’époque. Il s’en prend aussi aux Cimmériens…

– Conan ?!

– Non plus. Juste des voisins.

– Bon, ok, cela dit en dehors d’aller en guerre contre les Scythes et les Cimmériens, je vois pas bien où il est question de super-pouvoir.

– Mithridate a peur de se faire assassiner. Ce qu’on peut comprendre. Il craint notamment de se faire empoisonner, un truc qui arrivait somme toute assez souvent aux souverains de l’époque. Alors il décide de développer une résistance, voire une immunité aux poisons.

– Tu m’intéresses.

– Pour se protéger des poisons, il pratique l’exposition progressive. Il en absorbe régulièrement de petites quantités, trop faibles pour être mortelles. Puis après un moment, il augmente un peu la dose. Et ainsi de suite.

Nous utilisons la même méthode pour développer notre immunité à la gueule de bois.

– Et ça marche ?

– Faut croire. De fait, le processus lui-même, qui sera désormais connu sous le nom de mithridatisation (gros potentiel au scrabble), ne le tue pas.

– C’est peut-être qu’il ne pousse pas assez loin. Il est vraiment immunisé ?

– On dirait. Ce qui est sûr, c’est qu’il n’est pas mort empoisonné.

– Il est mort de quoi ?

– Un truc assez commun à l’époque : Rome. En dehors de tremper des tartines de cigüe dans un grand bol de cyanure tous les matins, Mithridate se voit en conquérant et cherche à étendre le Pont. Et donc forcément, au bout d’un moment, ça se passe mal avec Rome. Il résiste un moment, puis se fait défaire par Pompée. Et à ce moment, dans la grande tradition…

– Il se fait empoisonner !

– Du tout ! Il se fait trahir par son fils. Mithridate est trahi, et perdu. Et c’est alors que dans une belle trajectoire ironique, son super-pouvoir lui revient dans le nez. Mithridate se sait fichu. Il préfère mourir noblement. Et comment fait-il ?

– Ben, je…

– Il essaie de s’empoisonner ! Une fiole, un grand verre, et ça peut se finir vite fait et sans douleur. Sauf qu’évidemment, ça marche pas.

– Le con.

– Il essaie de se jeter sur son épée, mais il se rate. Je te laisse imaginer comme il a dû prendre du plaisir après avoir raté son suicide à l’épée. Au final, il doit demander à un de ses gardes du corps de le poignarder.

– Yuk.

« Et dire que j’ai failli être empoisonné… Je l’ai échappé belle ! »

– Eh oui. A avoir voulu résister au poison, il doit se faire ouvrir le bide. Conclusion ?

– Grand pouvoir, grandes emmerdes.

– Voilà. Bon, j’imagine que ça se passe mieux quand on ne vit pas dans une famille qui pratique allégrement l’assassinat inter et intra-générationnelle, et qu’on ne marche sur les pieds de Rome, mais c’est l’idée.

Et ne chopez pas la blennorragie, bordel !

2 réflexions sur « Mithridate : « J’aime qu’un plan se déroule sans accroc. » »

  1. « Je trouve que Bienfaiteur ça conne mieux »

    Je connaissais un peu cette histoire, mais il y a plein de détails qui m’étaient inconnus. Merci.

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