Objets trouvés

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– Dis, je ne me trompe pas, tu es bien allé faire deux-trois tours au Canada ?

– Ah oui. De beaux souvenirs.

– J’imagine. Te connaissant, tu as dû en profiter pour bien t’imprégner de la culture locale.

– Euh…oui. La culture.

« Remets-moi la même, cousin, je vais m’imprégner encore un peu. »

– Comment ça ? Tu n’es pas allé au Musée de la Guerre d’Ottawa ?

– Ben non. J’ai manqué quelque chose ?

– Un peu, oui. Comme les vestiges de l’invasion de l’Amérique du Nord par les troupes du 3ème Reich.

– Pardon ?!

– Ok, invasion est peut-être un peu fort. Je ne t’apprends cependant pas que pendant la Seconde Guerre Mondiale, il n’y a pas eu de combat sur le territoire continental des Etats-Unis.

– Non, j’étais au courant.

– Hé bien pourtant, il y a eu une opération terrestre menée par les Allemands. De la même façon qu’il y a eu une attaque américaine sur le sol du Japon (c’est là) les Nazis ont posé une fois le pied en Amérique du Nord.

En Amérique du Sud, c’est arrivéplusieurs fois.

– Je confirme que je l’ignorais.

– Mettons-nous d’accord, je ne te parle pas d’une opération d’ampleur, ni de combats. Il s’agissait plutôt d’implanter un réseau de surveillance. Mais ce qui est fort c’est qu’il est resté en place pendant plus de 30 ans.

– Tu es en train de me dire qu’il y a eu des espions nazis en Amérique jusque dans les années 70 ?

– En quelque sorte. Mais il n’y en avait qu’un, et il était dormant.

– Ca peut déjà faire des dégâts. Il y a un nom ton espion ?

– Kurt.

– Juste Kurt ?

– Oui.

– C’est un peu kurt. C’est un nom de code ?

– Non non. Plutôt un diminutif, son état civil complet étant Wetter-Funkgerät Land-26.

– Uh ?

– Station météo radio terrestre 26. Parce que quand je dis que les forces allemandes ont posé le pied en Amérique, je ne te parle pas de l’armée de terre, des forces aériennes, ou de la marine. Non, ce sont les services météos. Bien aidés par la marine cela dit, qui a fait l’essentiel du boulot.

– J’exige des explications.

– Avec plaisir. La météo est un élément pour le moins important pour planifier et mener des opérations militaires, jusque-là tu me suis.

– Ca va.

– Or la Terre fonctionne ainsi que les perturbations et systèmes dépressionnaires se déplacent d’ouest en est dans l’Atlantique. Globalement, l’essentiel de ce qui nous arrive dessus vient du côté de l’Amérique.

Cela dit on ne vous en voudra pas si vous retenez que c’est la faute des Britanniques.

Par conséquent, le commandement allemand considérait comme utile de disposer d’informations météorologiques issues de cette zone pour avoir une bonne visibilité sur les évolutions à venir. Dans un premier temps, il décide donc de positionner dans les secteurs nord et ouest-atlantique des stations habitées, ou des bateaux météos, mais c’est exposer les équipages au risque d’être capturés. On peut également envoyer des sous-marins réaliser des relevés et observations, mais ils doivent rompre le silence radio pour envoyer leurs rapports, et risquent ainsi d’être repérés. C’est quand même dommage de se faire couler pour avoir prévenu qu’on allait avoir des voiles nuageux en début de soirée.

– Je le conçois.

– La solution, ce sont des stations météo automatiques, qui effectuent leurs relevés et les envoient toutes seules. Des Wetter Funkgerät Land. En 1943, Siemens met au point ces machines autonomes, qui prennent la forme d’ensembles de 10 conteneurs en acier, soit 2 pour les instruments et l’antenne et 8 pour les batteries. Ils mesurent chacun environ un mètre pour une centaine de kilos. L’antenne fait elle 10 mètres. Les batteries permettent en principe une autonomie de six mois. 14 de ces stations sont déployées dans la zone Arctique, c’est-à-dire au Groenland, dans les îles Spitzberg, et en Norvège. Il y en a également 5 en mer de Barents. Il est également prévu d’en installer 2 en Amérique du Nord.

– Ca risque d’être un peu plus compliqué.

– En effet. Et d’ailleurs, le bâtiment U-867, c’est-à-dire le sous-marin qui devait en déployer une, est coulé en septembre 1944.

– La station rapporte un niveau d’humidité élevé et de très fortes pressions.

– Oui, mais il s’agissait de la deuxième opération de ce type. La première, quasiment un an plus tôt, a elle été couronnée de succès. Pas gagné pourtant, parce que pendant le voyage aller le sous-marin U-537 essuie une tempête, puis se prend pour le Titanic et mange une grosse glace. Ce qui le laisse avec une fuite et sans son canon anti-aérien. Pour autant, le 22 octobre 1943, le sous-marin U-537 fait surface dans la baie Martin, au Labrador.

– Sur les côtes canadiennes, donc.

– Oui, ben ça compte comme l’Amérique, hein ! C’est le seul navire allemand à avoir réalisé un débarquement sur les côtes nord-américaines pendant le conflit.

« Ha ha, vos niveaux de précipitations nous appartiennent ! »

A bord se trouvent deux scientifiques, le météorologue Kurt Sommermeyer, qui donne son prénom à la station, et son assistant Walter Hildebrandt. Ils dirigent l’opération de déploiement, qui demande près de deux jours. La station est mise en place sur une colline d’une cinquantaine de mètres, à environ 100 mètres du rivage. Comme la zone est fréquentée par des Inuits et des chasseurs, un habile camouflage est mis en place.

– Des filets avec des feuilles ? Des faux rochers ? On déguise l’antenne en arbre ?

– Non, rien de tout ça. Les Allemands dispersent des paquets vides de cigarettes américaines autour, et apposent sur la station un signe indiquant qu’elle appartient au Service Canadien des Météores. Qui n’existe pas, mais ils tablent sur le fait que le trappeur local n’est pas forcément au courant.

– Je pense qu’ils ne prennent pas un trop gros risque sur ce coup.

– Ceci fait, tout le monde rembarque et rentre à la maison.

– C’est ça, rentrez chez vous, bande de sales Nazis ! Allez, en Naziland !

– C’est-à-dire qu’en l’occurrence l’équipage rejoint le port de Lorient.

– Oui ben fallait pas les laisser rentrer, que veux-tu que je te dise.

– Le U-537 ne finira pas la guerre, puisqu’il est coulé quelques mois plus tard. Quant à Kurt, il émet pendant deux semaines, puis c’est le silence. Manifestement les batteries ont eu un problème. Mais la brave station reste en place, fidèle au poste bien que silencieuse. Elle finit d’ailleurs par tomber dans l’oubli.

– Ah ben ça, si elle ne dit rien, c’est un risque.

– Dans les années 70, Franz Selinger, employé de chez Siemens, prend sa retraite. Pour s’occuper, il décide d’écrire sur l’histoire des services météo allemands. Il tombe sur les papiers de Kurt, Sommermeyer, et découvre l’existence de Kurt, la station. En 1977, il contacte un historien de l’armée canadienne, Alec Douglas. Détail amusant, c’est également en 1977 qu’un vaste projet de recensement archéologique de la région de la baie Martin est mené par des équipes américaines et canadiennes. Le géomorphologiste Peter Johnson tombe sur la station, mais pense que c’est un équipement militaire canadien.

– Le camouflage a marché !

– Je ne peux pas te garantir qu’il a lu le signe et a marché, mais toujours est-il qu’il ne devine en effet pas la véritable identifié de Kurt. En 1981, Douglas, l’historien de l’armée, se rend sur place, et il retrouve la station.

Ich bin Kanadien, je vous dis.

Cette dernière est démontée, et installée dans le Musée d’Ottawa. Où elle témoigne de cette audacieuse opération, qui restera dans les annales des services météorologiques.

– Je regarderai les présentateurs météo d’un autre œil.

– Si tu veux, j’ai l’histoire d’un autre équipement militaire allemand qui a fini exposé au Canada.

– Oh ben tant que je suis là.

– Ce n’est sans doute pas le contingent auquel on pense le plus spontanément, mais les troupes canadiennes se sont également illustrées en Europe en 1944-45.

– Hé, lors du débarquement ce sont elles qui ont pris Juno Beach.

– Typiquement. En mai 1945, quand la guerre proprement dite est pliée, le Canada constitue une unité spéciale, l’équipe de collection du Musée Canadien de l’Armée. Le groupe est composé de 5 hommes, sous le commandement du capitaine Farley Mowat. Sa mission consiste à mettre la main sur un maximum de matériel, notamment allemand, afin qu’il puisse par la suite être étudié et exposé au pays. Y compris sans forcément demander l’autorisation.

Capitaine. Canadien. Transporte des marchandises louches.

En moins de 4 mois, ils récupèrent plus de 700 tonnes de matériel. Dont des mini sous-marins, c’est important.

– C’est important ?

– Oui. En haut de la liste de courses de Mowat, une des pièces les plus recherchées de l’époque : l’arme de Vengeance.

– Hein ? T’es sûr que c’est pas plutôt Indiana Jones qui récupère ce genre de trucs ?

– Oui. L’Aggregat 4, ou Arme de Vengeance 2, plus connu sous le sigle de V2.

– Ah, oui, je vois.

– Le premier missile balistique de l’histoire. Autrement dit une technologie sur laquelle tous les vainqueurs souhaitent mettre la main, soit en récupérant les scientifiques qui l’ont mise au point, ce que feront les Américains et les Russes à grande échelle, soit déjà en ramenant chez eux des fusées à étudier.

– Ils restaient des V2 qui traînaient ?

– Oui. Tous ceux produits n’ont pas été tirés. L’occasion de souligner que si le V2 a eu un effet psychologique conséquent sur ceux qui en ont été la cible, en premier lieu les Britanniques, et s’il a constitué une avancée technologies majeure, en tant qu’arme de guerre, il est plutôt…pas terrible.

– Comment ça ?

– On estime qu’environ 6 000 V2 ont été construits, dont une grosse moitié, de l’ordre de 3 220, a été tirée. Les chiffres varient, mais ils auraient fait entre 2 700 et 5 500 morts.

– C’est une belle variation.

– Oui, mais même en retenant l’hypothèse haute, et même si de toute évidence c’est toujours un chiffre terrible, ça fait moins de deux morts par fusée. Pour une charge explosive d’une tonne, l’efficacité n’a rien d’ébouriffante.

– Certes. Pourquoi ?

– Parce que l’arme n’est pas particulièrement précise, ce qui fait qu’on ne l’utilise que de façon assez indiscriminée sur de grandes cibles, typiquement des villes, sans plus de détail. En outre, il n’est pas rare qu’elle connaisse des problèmes techniques et n’arrive pas à destination.

– Pas l’atout décisif qu’espérait l’Allemagne.

– Non. D’autant moins que le coût de fabrication était exorbitant. En main d’œuvre, déjà. Les Allemands ont largement eu recours aux prisonniers pour construire les V2, et la mortalité parmi eux était épouvantable. Ici encore je suis obligé d’admettre de grandes variations dans les chiffres disponibles, mais on parle de plus de 12 000 prisonniers qui seraient morts pour fabriquer les fusées. Le V2 a tué plus de gens dans sa phase de construction que pendant son utilisation.

– Y’a manifestement un truc pas optimal.

– Attends, je ne t’ai pas parlé du coût. Le développement des V2 est chiffré à 40 milliards de dollars. Et c’est sans compter les patates.

– Non, ici on utilise des unités sérieuses : milliers, millions, milliards. On ne parle pas en patates.

– Je fais bien référence aux pommes de terre. Les V2 étaient propulsés à l’oxygène et à l’éthanol. Donc en fait, le carburant c’était de l’eau mélangée à de l’alcool. Ce dernier était produit à partir de pommes de terre. Sur la fin de la guerre, la production d’alcool pour les V2 mobilisait l’essentiel des récoltes allemandes de tubercules.

« Montag, kartofen ; Dienstag, kartofen Mittwoch… »

Par ailleurs, les stocks d’alcool utilisés pour la construction étaient l’objet d’un étrange phénomène. On avait beau entreposer le précieux liquide dans des containers bien étanches, il subissait « une évaporation bien plus importante que ne laissait prévoir tous les modèles chimiques ».

– Euh, c’est-à-dire ?

– C’est-à-dire que les équipes de construction et lancement, scientifiques et ingénieurs, picolaient sévère.

– Naaan.

– Oh que si. Ils organisaient même des soirées carburant. Et ils ne faisaient pas semblant de carburer. Au point que le programme de construction en était significativement retardé. Ce qui a conduit à une belle partie de jeu du chat et de la souris.

– Attention, les jeux à boire ça peut mal finir.

– Tu ne crois pas si bien dire. Pour éviter que le carburant de la vengeance finisse dans les verres, on y ajoute une teinture qui le rend imbuvable. Mais on a affaire à des ingénieurs, ils développent donc un système de filtration. A base de pommes de terre, d’ailleurs. Alors un additif qui provoque de sévères renvois est mélangé à l’éthanol. Résultat ?

– Ben ils arrêtent de boire ?

– Non, y’a soudainement beaucoup de malades dans les équipes.

– Sérieusement, les gars…

– Il est donc décidé de remplacer l’éthanol par du méthanol, autrement dit de l’alcool de bois. Résultat : un aveugle et un mort.

– Aouch.

– Ce coup-ci, ils arrêtent leurs conneries.

– Tu m’étonnes.

– Pour en revenir au capitaine Mowat, ses hommes reçoivent en juillet 1945 un tuyau de la résistance néerlandaise. Il y a un convoi ferré de V2, non détruits, à l’arrêt sur une voie du côté de Nienburg, en Allemagne. Il est gardé par un détachement britannique, qui ne compte certainement pas laisser les Canadiens, tout sujets de la couronne qu’ils soient, récupérer une fusée.

– Va falloir ruser ?

– Tout juste. Les Canadiens se rendent sur place, et observent. Ils réalisent que l’une des fusées, en bout de train, est en partie cachée par des arbres, et accessible depuis une route le long de la voie. Ils se procurent une dépanneuse et une grosse remorque pour sous-marin, et planquent le tout. Sur ce, l’un des membres du groupe va à la rencontre des gardes. Avec quelques bouteilles de gin sous le coude.

« Vous prendrez bien un peu de carburant ? Pour la route. »

Pendant que les gardes sont…moins vigilants, le reste de l’équipe de Mowat dépose le V2 sur la remorque et se fait la malle. L’idée est d’emmener le tout aux Pays-Bas, pour embarquer le chargement dans un cargo direction le Canada.

– Je veux bien, mais ça doit quand même pas être très discret, non ?

– Un V2 ? Ben disons que ça mesure 14 mètres pour 4,5 tonnes à vide. Donc, non, sachant que c’est une cargaison particulièrement recherchée, il va falloir ruser pour que les Américains laissent passer. La fusée est donc déguisée.

– Comment ça ?

– Un coup de peinture, une hélice et un périscope en bois, et tu as ?

– Aucune idée.

– Un sous-marin de poche expérimental.

On n’y voit que du feu.

– Bien joué.

– La fusée arrive au Canada, ou elle passe quelques années entre les mains des militaires, avant d’être exhibée à l’Exposition Nationale de 1950. Puis d’être entreposée sur une base aérienne. On perd sa trace quand cette dernière est fermée en 1969. Si tu te sens une âme d’archéologue militaire…

– Bouge pas, j’ai trois planches de placo et un pot de peinture.

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