Pétanque céleste
– Le plus grand cratère de la planète ?
– Oui.
– Aucune idée.
– Vredefort, en Afrique du sud.
– Jamais entendu parler.
– 300 kilomètres de diamètre.
– Outch.
– Oui, ça a dû piquer, mais comme c’est tombé il y a quelque chose comme 2 milliards d’années, ça n’a pas dû déranger grand monde à part quelques amas de cellules pas bien finaudes.
– Pas de T-Rex vaporisé sur place.
– Non, ça, c’est celui qui a fini dans le Yucatan à la fin du Crétacé, à Chicxulub. Il y a 66 millions d’années, ce coup-ci.
– Ah ça pour être cré cré tassé, ça a du être cré cré tassé, dans la zone.
– … Les effets exacts de l’impact sont toujours discutés, d’ailleurs, mais la thèse la plus probable, c’est que tout ce qui faisait plus de 25 kilos sur cette planète s’est éteint dans la foulée. L’impact en lui-même a joué, évidemment, mais c’est surtout le climat qui a bougé, avec une atmosphère tellement saturée de poussières en suspension que la photosynthèse a décrété qu’il ne fallait plus compter sur elle, merci. Du coup, la planète s’est mangée un bon gros effondrement de la biomasse, végétale puis animale. Dont les T-Rex, Sam, oui.
– Heureusement que ça ne risque plus de nous arriver.
– La planète reçoit chaque jour une grosse centaine de tonnes de débris en tous genres sur la gueule, tu sais. Et le temps joue contre elle : des astéroïdes géocroiseurs, il y en un paquet. La plupart sont trop petits pour faire de gros dégâts mais statistiquement, on se prendra tôt ou tard un nouveau coup au but un peu sérieux. Un des derniers en date est devenu un running gag de la pop culture : l’événement de la Toungouska, 1000 fois la puissance d’Hiroshima et 60 millions d’arbres couchés tout de même, mais un seul mort parce que bon : la Sibérie. Et même si les amoureux de Nikola Tesla aiment raconter que c’est une de ses expériences de rayon de la mort qui a mal tourné, c’est probablement une météorite qui a ravagé la Sibérie centrale en 1908.
– La même en plein milieu de Londres ou de Paris, ça aurait fait jaser.
– Et encore, les dernières recherches laissent penser qu’il n’y a pas vraiment eu d’impact mais qu’une météorite a simplement « rebondi » sur l’atmosphère. Si les scientifiques ont raison, ce serait « seulement » une onde de choc, pas un joli carreau façon pétanque.
– Valait mieux.
– Comme tu dis. En tout cas, c’est le genre d’événements qui ont poussé les agences spatiales à bosser sur des technologies pour les repérer, d’une part, et pour en corriger les trajectoires d’autre part, du moins pour éloigner les plus grosses menaces au cas où. Deep Impact, par exemple.
– Prends moi pour un lapin nain, toi. J’ai vu le film, hein, tu ne me la feras pas.
– La sonde, Sam. Il y a eu une sonde.
– Oh. On a vraiment mis une tarte à une météorite ?
– Eh oui. Bref : la Terre se prend régulièrement des météorites sur la courge, au rythme d’une toutes les 6 à 30 minutes en moyenne. Et une fois encore, la plupart ne font que quelques grammes : même s’il vaut mieux ne pas être sur la trajectoire, leur impact n’a strictement aucune conséquence. Et puis parfois…
– Parfois quoi ?
– Ben parfois un brave pékin se la prend dans la gueule. Faut vraiment pas avoir de bol, mais ce n’est pas impossible.
– Mais non ?
– Mais si. Une recherche récente dans les archives turques laisse penser qu’un malheureux habitant de l’Irak actuel est un candidat sérieux au titre de première victime connue d’une chute de météorite, en 1888.
– Outch.
– Voilà. Imagine : tu es un brave paysan de l’Empire ottoman, tu bosses tranquillement dans ton champ et puis tu vois un joli point brillant dans le ciel. Qui grossit. Qui grossit vachement vite, même. Et boum, la seconde suivante, c’est toi qui sert d’engrais après t’être fait vaporiser un peu partout dans tes propres sillons. Un vrai miracle statistique.
– Paye ton miracle.
– Personne n’a jamais dit qu’un miracle devait avoir nécessairement des conséquences positives. Mais je te rassure, il y a eu mieux.
– Comment ça ?
– Quelqu’un s’est pris une météorite de quatre kilos en pleine poire et a survécu.
– Pardon ?
– Laisse-moi te présenter Ann Elizabeth Hodges.
– Jamais entendu parler.
– Et pour cause. En 1954, madame Hodges est une jeune femme au foyer comme beaucoup d’autres à Sylacauga, Alabama, entre Birmingham et Atlanta.
– Sweet home, Alabama. Where the skies are so blue.
– Ben parlons-en, du ciel bleu, justement. Le 30 novembre 1954, les habitants du coin qui regardaient en l’air au bon moment repèrent une ligne rougeâtre et brillante qui traîne derrière elle quelque croise qui ressemble à la fumée d’une chandelle.
– C’est un oiseau… C’est un avion… C’est Superman !
– Non, c’est une météorite de la taille d’un ananas qui choisit d’atterrir sur la maison de Ann Elizabeth Hodges à 14 h 46 très exactement. Enfin quand je dis sur la maison, je devrais plutôt dire à travers.
– Oh merde.
– Le fragment d’une météorite un peu plus grosse, fracturée en trois à son entrée dans l’atmosphère, traverse le toit, le grenier et le plafond de la maison de Hodges et finit dans le salon, où elle percute un poste de radio avant de finir sa course au beau milieu du canapé. Et tu sais qui était en train d’y battre le record national de sieste, dans le canapé ?
– Ann Elizabeth Hodges ?
– Gagné. La pauvre n’a évidemment rien compris à ce qui lui arrivait parce que « tiens une météorite vient de m’atterrir sur le bide » ne fait pas partie des premiers motifs qui te viennent à l’esprit quand on te réveille en sursaut.
– On a plutôt tendance à suspecter le chat.
– Généralement pour de bonnes raisons. Mais là, non. Anne Hodges se réveille dans une maison traversée de part en part avec une météorite de 3,8 kilos sur les genoux et une sacrée douleur sur le côté du corps.
– Salement touchée ?
– Juge par toi-même.
– Outch…
– Oui, c’est ce qu’on appelle un joli bleu. Mais quand tu viens de te prendre une caillasse venue du fin fond de l’espace, c’est ce qu’on appelle un moindre mal. Madame Hodges peut remercier son toit, son plafond et son poste de radio, qui ont sérieusement ralenti la course du bidule spatial. Même la couverture qu’elle portait lui a probablement évité une plaie ouverte. Elle pouvait marcher quand elle a filé à l’hôpital. Enfin après avoir écarté la foule.
– Hein ?
– Ben oui : l’impact avait fait un peu de bruit et tout le voisinage s’est immédiatement pointé pour voir ce qui s’était passé.
– C’est humain.
– « Oh un truc chelou vient d’exploser la baraque des voisins, si on filait voir de plus près ? »
– OK, c’est complètement con.
– Donc humain, on est d’accord. Bref, la foule se rassemble, les policiers se pointent et pendant qu’on s’occupe de madame Hodges, chacun y va de son explication, du crash aérien au missile communiste.
– Ah quand même. Marx attack.
– On est en 1954, la paranoïa est à son sommet. LES ROUGES, SAM, LA MENACE SOVIETIQUE. C’est d’ailleurs cette ambiance qui explique que les policiers présents confisquent la météorite séance tenante, avant d’alerter l’Air Force, qui se pointe façon Speedy Gonzales pour récupérer l’engin.
– Arriba, arriba, andale. Et elle a un mari, Anne Hodges ?
– Oui : Eugene Hodges, qui bosse dans les travaux publics. Il n’est pas bien loin et rapplique rapidement pour trouver son porche blindé de badauds qu’il doit limite écarter à grands coups de pompes dans le train avant d’enfin retrouver sa femme, légèrement sous le choc.
– Ah ben ça, une météorite, ça secoue.
– C’est plutôt la foule qui la perturbe. Evidemment, l’affaire fait pas mal de foin : touchée par une météorite, l’histoire est chouette même si l’Air Force confirme rapidement qu’il s’agit « seulement » d’une météorite et pas d’un abominable complot marxiste-léniniste contre le rêve américain. Les médias s’en donnent à cœur joie et Ann Hodges connaît un quart d’heure de gloire warholien qu’elle n’a d’ailleurs jamais demandé, et qu’elle va plutôt tenter de fuir comme la peste, à une ou deux conférences de presse près. Elle a un autre problème, Ann Hodges.
– Du genre ?
– Ben elle a un gros trou dans son toit et on est en novembre.
– Oh.
– Oui. Mais pas de problème, elle et son mari ont une idée en or : vendre la météorite pour se faire du blé et payer les réparations.
– Bien vu.
– Sauf qu’ils sont locataires, les Hodges, pas propriétaires – et leur landlady, madame Birdie Guy, a bien l’intention de faire valoir le fait que c’est SA baraque, donc SA météorite. D’où cette bien belle question qui se posent aux avocats : à qui appartient cette putain de caillasse ?
– Elles ont dû adorer ça, les stars du barreau.
– Oui, d’autant que l’Alabama et l’Etat fédéral ont aussi de solides arguments à faire valoir, sans compter les musées locaux, bref, un bien beau sac de nœuds.
– Qui s’est résolu comment ?
– Techniquement, c’est plutôt la proprio, Birdie Guy, qui avait raison. Mais l’opinion publique penchait plutôt pour les Hodges et Birdie Guy a fini par accepter un accord devant les tribunaux, contre 500 dollars.
– C’est pas beaucoup.
– Des dollars de l’époque, tout de même. Mais oui, c’est peu. Et à leur grande désillusion, les Hodges vont réaliser que leur pierre ne vaut pas grand-chose : entre les recours et les procès, la hype est retombée. Eugene a refusé une offre du Smithsonian, jugée trop faible et… N’a jamais réussi à la vendre. En 1956, le couple a fini par l’offrir au Museum d’Histoire Naturelle de l’Alabama, où elle est toujours exposée aujourd’hui.
– C’est un peu dommage de gagner au loto spatial sans pouvoir en tirer un minimum de profit, quand même.
– Oui, la météorite ne leur aura finalement valu que des emmerdements, aux Hodges. Ann Elisabeth ne s’est jamais vraiment remise du choc – enfin physiquement si, mais pas sur le plan mental. Elle s’est séparée de son mari en 1964 après avoir traversé plusieurs épisodes de dépression nerveuse et elle est morte d’un problème aux reins en 1972. Rien à voir avec la météorite, mais son état général n’a pas aidé.
– Et la baraque ?
– Elle a cramé dans un incendie quelques années plus tard. Il ne reste plus rien du seul site au monde où un être humain ait survécu à sa rencontre avec une météorite…
3 réflexions sur « Pétanque céleste »
« Eugene a refusé une offre du Smithsonian, jugée trop faible » mais jpp de la cupidité des gens XD
Moi un machin céleste qui aurait manqué d’écharper ma chère et tendre, je serais prêt à m’en débarrasser pour rien, juste pour plus l’avoir dans mon champ d’vision XD
Cela dit, ce serait marrant dans la fiction, de voir des gens essayer de se faire du fric sur une catastrophe spatiale, ça donnerait sûrement une bonne comédie burlesque. Au lieu de ça, on a la moitié de New York ravagée dans Armageddon et un robot géant qui fait flipper le chien en tombant dans la piscine dans Transformers (ouais c’est pas d’la caillasse mais ça reste un machin qui tombe du ciel). Faut croire que la fiction préfère lapider les personnages à coup d’pierres spatiales que d’en sortir de bonnes blagues.
‘devriez être scénaristes de ciné, tous les deux.
Et merci pour l’article, bon dimanche à vous !
C’est pas décennal.
Marx attack…