Stopper Hitler avant qu’il soit trop tard : la conspiration Oster
Appelez ça la chance du diable. De son arrivée au pouvoir en 1933 à sa mort en 1945, Adolf Hitler échappa à plusieurs tentatives d’assassinat, souvent d’un cheveu. Le plus célèbre d’entre eux est sans doute l’attentat à la bombe qui a légèrement blessé le Führer en juillet 1944 dans son QG. Popularisée grâce au film Valkyrie, de Bryan Singer, la conjuration organisée par le colonel Claus von Stauffenberg n’est pourtant pas la première opération montée par de hauts gradés du Reich : six ans plus tôt, il s’en fallut de peu que quelques hommes décidés ne renversent Adolf Hitler.
28 septembre 1938, Berlin. Dans un des bâtiments du commandement militaire de la capitale du Reich, un groupe d’une cinquantaine de personnes s’est discrètement réuni. L’ambiance est tendue. Quelques officiers distribuent aux soldats des armes automatiques, des munitions et des grenades à main. Tous les hommes présents, soigneusement sélectionnés depuis plusieurs mois pour leur opposition obstinée au régime, s’apprêtent à commettre un acte qui leur coûtera la vie en cas d’échec : renverser le Führer. La seule manière, à leurs yeux, d’enrayer un processus qui mène droit à un nouvel embrasement de l’Europe, vingt ans après la fin de la Première guerre mondiale.
L’enjeu des Sudètes
Hans Oster, l’homme qui travaille depuis des mois à construire le réseau clandestin de militaires et d’officiers qui a patiemment préparé l’opération du 28 septembre, n’est pas tout à fait le premier venu. C’est un des hommes-clés de l’Abwehr, le service de renseignement et d’espionnage de l’état-major allemand. Autrement dit, un des officiers les mieux informés du pays.
Vétéran de 14-18, Oster avait d’abord considéré comme bien des cadres de la Wehrmacht que l’arrivée des Nazis au pouvoir, en 1933, était plutôt positive pour l’Allemagne. Dès 1934, la tournure prise par les événements le faisait très vite déchanter. Du massacre des SA par les SS au cours de la nuit des Longs Couteaux, en juillet 1934, à la mise en place des grandes lois antisémites votées à Nuremberg, en septembre 1935, les signes s’accumulaient, toujours plus sombres.
Pour le général Oster et pour le groupe qui se forme alors autour de lui, le doute est de moins en moins permis. Au vu de ses ambitions territoriales, toujours plus violemment assumées, le Führer est bien parti pour jeter l’Europe entière dans un nouveau conflit majeur, vingt ans après la fin de la Première guerre mondiale. Et la seule manière d’enrayer ce processus, c’est de l’arrêter quoiqu’il en coûte et par tous les moyens.
Pour ça, Oster est idéalement placé. Son rang dans la hiérarchie de l’Abwehr lui permet de fournir aux conjurés une série d’informations et de documents particulièrement utiles quand on commence à jouer un jeu aussi dangereux. Argent, faux papiers, couvertures, contacts, planques et réunions clandestines… Oster a entre les mains tout ce qui lui faut pour dissimuler les activités de ses camarades, présentées comme un travail de renseignement légitime et nécessaire.
Le long travail de sape s’accélère subitement en 1938. En février d’abord : le 4, un communiqué largement diffusé par la radio et dans la presse, annonce le remplacement d’une quinzaine de généraux et d’une cinquantaine d’officiers de haut rang par des proches du Führer. Dans ceux qui sont ainsi écartés brutalement, deux noms ressortent : Werner von Blomberg et Werner von Fritsch. Le premier est ministre de la guerre, le deuxième commande l’armée de terre, et les deux sont officiellement poussés à la démission par des affaires de mœurs. Blomberg a épousé une ancienne prostituée ; Fritch, lui, aurait une relation homosexuelle. Mais derrière cette purge se cache en fait autre chose. Les deux hommes, comme la plupart des officiers mis dehors, sont fermement opposés aux projets expansionnistes d’Hitler.
Pour les hommes réunis autour d’Oster, la purge de février 38 est un signe de plus de l’imminence du danger. Si Hitler est en train de faire le vide pour s’assurer que seuls des fidèles l’entourent, c’est que les choses se précisent.
Les mois qui suivent donnent raison à Oster : déjà extrême en Europe, la tension diplomatique monte encore d’un cran avec la crise des Sudètes. En partie peuplée d’Allemands, la région a été rattachée à la Tchécoslovaquie au lendemain de la Première guerre mondiale. En s’appuyant avec une certaine ironie sur le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, Hitler exige de plus en plus violemment le retour au sein du Reich d’une région qu’il considère comme allemande. Problème : la France a un accord militaire de défense avec Prague. Avec le jeu des alliances, toute agression contre la Tchécoslovaquie pourrait avoir un effet domino. Et conduire à l’entrée en guerre des grandes puissances : Allemagne, France, Angleterre et Italie… Fin septembre, la crise atteint un pic. Le 22 septembre, au cours d’une rencontre tendue, Chamberlain fait tout pour apaiser Hitler. Le bras-de-fer ne donne rien, au contraire : Hitler annonce qu’il refuse l’idée d’un référendum dans la région des Sudètes. Pire, il annonce au Premier Ministre britannique qu’il va franchir un cran supplémentaire. Si le 28 septembre à 2 heures de l’après-midi, les Tchécoslovaques n’ont pas cédé, il annonce qu’il fera entrer ses troupes dans les Sudètes le 1er octobre.
Pour Oster et le groupe de conjurés, c’est maintenant ou jamais. Et ça remonte jusqu’au sommet de l’Abwehr dont le patron, l’amiral Canaris, approuve le plan d’action qu’on monte en quelques heures, juste avant l’expiration de l’ultimatum annoncé par Hitler.
Chamberlain fait tout rater
L’objectif de la cinquantaine d’hommes armés qui attendent l’ordre de lancer le coup d’État est clair : foncer vers la Chancellerie où Hitler est de façon assez surprenante relativement vulnérable, protégé par une garde d’une quinzaine d’hommes à peine. Ce qui est plus ambigu, c’est l’objectif de l’opération. Une partie des conjurés pense qu’il s’agit d’enlever le Führer et de l’emmener dans une destination inconnue, dans l’attente d’un futur procès.
Seuls quelques-uns connaissent le but réel de l’opération. Pour eux, il n’est pas question de faire dans la dentelle mais bien d’ouvrir le feu sans sommation et d’abattre Adolf Hitler. Dans le même temps, d’autres petits groupes d’hommes décidés s’apprêtent à arrêter les hauts dignitaires du Reich. Des hommes de la 23e division d’infanterie, stationnée tout près de Berlin à Potsdam, entreront ensuite dans la danse pour neutraliser les troupes SS.
À cet instant, Oster et les conjurés n’attendent plus qu’une chose : l’annonce officielle de l’invasion des Sudètes. Sans cette décision qui reviendrait à déclencher une nouvelle guerre majeure, le coup d’État risquerait de faire long feu.
C’est là qu’on retrouve Chamberlain. Le Premier ministre est pourtant au courant qu’une opposition à Hitler existe en Allemagne. Mieux, il sait qu’elle montre très haut dans les cercles militaires. Depuis Berlin, on assure aux services britanniques qu’il ne faudrait pas 48 heures à l’Allemagne pour se retrouver dotée d’un nouveau gouvernement, capable de casser l’engrenage qui mène au conflit. Peu convaincu, Chamberlain décide de ne pas prendre le risque d’attendre le résultat d’un éventuel coup d’état. Le 28 septembre, à quelques heures de la fin du délai annoncé par Hitler, il passe par Mussolini pour arracher in extremis le principe d’une réunion de la dernière chance, montée en catastrophe à Munich.
À Berlin l’attaque contre le Führer, vouée à l’échec, est aussitôt annulée. Sans le savoir, Chamberlain vient peut-être de sauver la vie d’Adolf Hitler.
Corde à piano
On connaît la suite. Sans les Tchèques qui n’ont même pas été invités à une conférence qui décide de leurs sorts, la France de Daladier et l’Angleterre de Chamberlain cèdent et laissent Prague, en échange d’une promesse de paix que Hitler lui-même qualifiera de simple morceau de papier. Le 29 septembre, les accords sont signés. Les troupes allemandes annexent la région des Sudètes sans tirer un seul coup de feu. SI Daladier a la lucidité de ne se faire aucune allusion, Chamberlain triomphe, convaincu d’avoir sauvé la paix. Il ne lui faudra pas un an pour mesurer l’étendue de son erreur.
L’opération n’ayant jamais été déclenchée, aucun des conjurés ne fut inquiété à court terme. Hans Oster continua d’occuper son poste à l’Abwehr tout en devenant l’une des principales figures de la résistance allemande au nazisme, qu’il chercha à combattre par tous les moyens. En 1940, il alerta ainsi plus de vingt fois de suite les Néerlandais de l’imminence d’une invasion allemande, sans être entendu.
Dans les années qui suivirent, il sauva la vie de plusieurs Juifs allemands qu’il fit évacuer clandestinement en Suisse. C’est d’ailleurs ce qui finit par lui coûter son poste d’abord, la vie ensuite. Soupçonné par la Gestapo, Oster commença par passer plusieurs mois en résidence surveillée avant d’être arrêté au cours de la purge qui suivit l’attentat manqué à la bombe contre Hitler, en juillet 1944. Malheureusement pour Oster, les documents qu’on retrouva au printemps 1945 chez son ancien chef, l’amiral Canaris, l’impliquaient directement.
C’était le dernier clou qui manquait à leur cercueil. Le 4 avril, Oster, Canaris et d’autres officiers étaient condamnés à mort par une cour martiale montée à la hâte, au beau milieu du camp de concentration de Flossenbürg, en Bavière.
Le 8 avril à l’aube, on força Hans Oster, Wilhelm Canaris et les autres condamnés à se déshabiller. On les obligea ensuite à traverser le camp, entièrement nus devant tous les prisonniers réunis, jusqu’à l’échafaud où la pendaison les attendait, une pendaison réalisée avec des cordes de piano. Oster échappa au moins au sort de Canaris que son bourreau laissa étouffer de longues minutes avant de le détacher, puis de le pendre à nouveau pour lui faire en quelque sorte subir deux fois l’angoisse de l’agonie.
Trois semaines plus tard, Hitler se tirait une balle dans son bunker de Berlin.