Un grand petit homme

Un grand petit homme

– Tiens, tu vas m’aider.

– Ah oui ?

– Ben oui, je compte sur…oh tu tiens à jouer la réticence, à protester et négocier, même si au final on sait tous les deux que tu vas finir par accepter de bonne grâce ?

– C’est-à-dire que oui, en fait, j’y suis un peu attaché.

– Mais tu sais que c’est artificiel, c’est un jeu, une façade.

– Non, pas vraiment.

– Si si, allons, je sais bien qu’au fond tu es serviable et bien disposé. En fait j’irais même jusqu’à dire…

– Non non non.

– Oh, quand même, en réalité…

– Je te l’interdis formellement.

– Accorde-moi que…

– Certainement pas.

– Le monde doit savoir que tu es foncièrement g…

– Un mot de plus et je ne réponds plus de rien.

– Toujours est-il que s’il pouvait se trouver quelqu’un, genre une bonne âme, pour me filer un coup de main…

– C’est mal parti. Il n’y a que moi.

– Tant pis, je vais faire avec.

– Raaah, ok, t’as besoin de quoi ?

– Je voudrais une belle et authentique histoire d’ascension sociale. J’ai l’impression qu’on a besoin de ça, un truc inspirant, tu comprends ?

– Oui, ça peut pas faire de mal.

– Genre quelqu’un qui partirait de vraiment bas, avec pas beaucoup de cartes en main, et qui réussirait à saisir le destin au collet pour lui faire rendre gorge, à forcer le cours des choses, pour aller plus loin qu’on aurait jamais pu l’imaginer. A partir de rien ou presque.

– Pierre Gattaz ?

– Excellent. Non.

– Tu tiens vraiment à ce qu’il ait pris un ascenseur ?

– Je ne vais pas être obtus sur ce point. Tant qu’il a emprunté un machin pour s’élever.

– Alors éventuellement j’ai un bateau à vapeur.

– Sans être expert il me semble que c’est pas un moyen de locomotion particulièrement connu pour sa mobilité verticale.

– Il est quand même passé du sud au nord, techniquement c’est une ascension.

– Ecoute, je ne vais pas faire le difficile.

– Pour une fois, profitons-en. Je vais donc te parler de Robert Smalls.

– Smalls, un grand homme ?

– Ha ha. Plutôt oui. Il nait le 5 avril 1839 dans la bourgade de Beaufort, en Caroline du Sud.

– Sweet Caroliiiine…

– Pas trop, non. Robert vient au monde esclave, fils de Lydia Polite, elle-même propriété d’Henry McKee.

– Lydia Polite ? Ben au moins il sera bien élevé.

– Tu as fini oui ?

– Pas tout à fait, pourquoi il s’appelle Smalls si le nom de sa mère est Polite ?

– Eh ben…j’en sais rien. De fait, l’identité de son père n’est pas bien établie. Sans doute un homme blanc, peut-être McKee lui-même, ou son fils. Toutes choses égales par ailleurs, on est d’accord, Robert s’en sort relativement bien puisqu’il travaille avec sa mère dans la maison du maître plutôt qu’aux champs.

– Parce qu’évidemment McKee est propriétaire foncier et agricole.

– Evidemment. Cependant sa mère était auparavant affectée aux champs, où les conditions sont de fait pires, et tient à ce que son fils sache comment y sont traités les esclaves. Elle le fait donc assister à plusieurs flagellations.

La sortie familiale du dimanche.

Ce qui rend le garçon beaucoup plus rétif à la discipline. Il finit à la prison de Beaufort à plusieurs occasions, et sa mère s’inquiète un peu.

– Il pourrait finir privé de liber…attends, non.

– Elle convainc McKee d’envoyer plutôt son fils travailler en ville.

– Ah oui, ça se fait ça ?

– C’est une pratique assez courante, oui. Les esclaves prennent des boulots civils classiques, et reversent l’essentiel de leur salaire à leur maître. Le jeune Robert, âgé de 12 ans, part donc se louer à Charleston. Il a royalement le droit de garder un dollar par semaine pour lui, tandis que le reste revient à McKee. Il commence par bosser dans un hôtel, puis comme lampiste. Sa chance est cependant que Charleston est une ville portuaire, et il part s’employer dans ce secteur. Il occupe plusieurs boulots, comme docker ou voilier, et finit par apprendre le métier de pilote de navire, même si en tant qu’esclave il n’a pas le droit d’exercer cette fonction. Ca lui permet en outre de très bien connaître le port de Charleston et les alentours.

– On sait jamais, ça pourrait être utile.

– Ca pourrait. En 1856, Robert épouse Hannah Jones, femme de chambre dans un hôtel et également esclave. Elle a déjà deux enfants, et ils en font deux supplémentaires, dont un seul (une fille) survit. Robert voudrait bien racheter la liberté de toute la famille.

– Ah ben oui, tiens. C’est possible ?

– C’est tout à fait possible. Le prix demandé est de 800 dollars. En 5 années de labeur, Robert a réussi à en économiser 100. Ce qui est certainement remarquable à partir de gages d’un dollar par semaine, mais à ce rythme il va devoir cotiser jusqu’à un âge très avancé pour pouvoir peut-être bénéficier d’un petit peu de liberté. Il y a même de bonnes chances pour qu’il se tue au travail et n’en profite jamais.

« Oui, et donc ? »

– Les perspectives sont moisies.

– Exactement. Quand éclate la Guerre de Sécession, Robert est réquisitionné comme navigateur/pilote sur le CSS Planter, un navire confédéré de transport, de surveillance, et de patrouille. Il opère dans le port, ainsi que sur des rivières de Caroline, Géorgie, et Floride.

– Attends, les Sudistes ils étaient tellement sudistes que même leurs bateaux s’appelaient « planteur » ?

– Ah ben ils ne faisaient pas semblant. Assez rapidement, le port de Charleston est soumis à un blocus par les forces de l’Union, qui envoie une petite flotte lui couper l’accès à la haute mer. Les bâtiments du Nord ne se situent ainsi qu’à 7 miles du port.

– Uh, c’est pas loin.

– Non. Le Planter compte en tout 9 membres d’équipage noirs, y compris Robert, dont les sympathies comme les intérêts vont quand même plutôt vers le Nord. Smalls commence donc à envisager un plan pour faire défection avec 7 d’entre eux.

– Le 8e il est puni ?

– Smalls ne lui fait pas confiance. Le 12 mai 1862, le Planter est envoyé à Coles Island, un poste confédéré en cours de démantèlement sur la rivière Stono, à une dizaine de miles au sud-ouest de Charleston. Le Planter y récupère quatre canons et des munitions pour les ramener au fort de Charleston. De retour au port, le bateau est ancré devant le QG du général Ripley, en charge du district de Charleston. Comme à leur habitude, les trois officiers blancs quittent le bord pour passer la nuit sur la terre ferme. Avant qu’ils partent, Smalls demande au capitaine s’il veut bien que les familles des membres d’équipage les rejoignent à bord. Ce qui se faisait de temps en temps. Le capitaine est d’accord, sous réserve que tout ce petit monde rentre chez lui avant le couvre-feu.

– Une petite soirée sympa, quoi.

– Là, Smalls et sa bande annoncent le plan à leurs familles : ça suffit comme ça, on prend le Planter et on fait défection. Les femmes et enfants sont un peu surpris et inquiets, voire alarmés, parce que l’entreprise n’est pas sans risque. Mais il s’agit de gagner sa liberté, donc globalement tout le monde est partant.

– Allez !

– Sur ce, trois hommes d’équipage raccompagnent les familles chez elles.

– Hein ?

– En fait ils vont se planquer dans un autre bateau à quai un peu plus loin. A trois heure du mat’, Smalls et 7 des 8 esclaves membres de l’équipage, donc, lancent l’opération. Robert enfile l’uniforme du capitaine et son chapeau, et prend la barre. Ils lèvent l’ancre, font une escale rapide pour récupérer les familles, et mettent le cap sur le large.

– Ca se fait facilement ?

– Pour espérer rejoindre la flotte de l’Union, il leur faut passer par 5 points de contrôle confédérés. Heureusement, Smalls connaît les procédures et les signaux à adresser à chacun. Il mimique le capitaine et passe sans encombre. A 4h30, le Planter dépasse le Fort Sumter, le dernier verrou de la baie. L’alarme n’est donnée que quand il est hors de portée de canon. Smalls met le cap droit sur la flotte de blocus nordiste, en remplaçant le drapeau confédéré par un blanc.

– Bien la peine.

– Un drapeau blanc, nouille. Le soleil se lève à temps pour qu’un membre de l’équipage de l’USS Onward repère l’étendard susdit et le signale avant que le navire fasse feu, dans la mesure où il avait identifié le bateau sudiste et s’apprêtait à lui envoyer une bordée.

– C’était moins une.

– Exactement. Smalls demande au capitaine de l’Onward un drapeau des Etats-Unis à hisser, et lui remet le Planter ainsi que sa cargaison. Ce sont ainsi 16 hommes, femmes, et enfants noirs que Smalls fait passer au Nord. Et aussi les canons récupérés à Coles Island et 100 kg de munitions.

« Bienvenue, vous avez manifestement ce qu’il faut pour être citoyens des Etats-Unis. »

– Et bien fait pour le Sud !

– Ca ne s’arrête pas là le concernant. Smalls livre le carnet de codes du capitaine du Planter. Non seulement il liste les signaux de reconnaissance confédérés, mais comprend également des cartes détaillées des mines et torpilles disposées dans le port de Charleston. Sachant qu’en plus Smalls connait le coin comme sa poche. Sa défection est donc considérée comme des plus précieuses en termes de renseignements. Il livre de nombreuses informations détaillées sur les défenses de Charleston au commandant de la flotte de blocus, le vice-amiral Samuel DuPont. Il lui apprend par exemple que la garnison de Charleston est bien inférieure à ce que pensaient les Nordistes, ou que la position de Coles Island a été démantelée. Ce qui permet aux Unionistes de la capturer, avec ses batteries, une semaine plus tard et sans tirer un coup.

– Dommage pour eux. Oh, non, d’accord. Très bien.

– Au vu de tout ça, DuPont recommande Smalls auprès du secrétaire à la Marine, pour la qualité de son caractère et de ses informations, ainsi que sa grande intelligence. Smalls devient un héros du Nord, puisque son histoire est reprise par plusieurs journaux.

« No small feat. »

Le Congrès adopte une loi pour verser une prime à Robert et ses coéquipiers pour la capture du Planter, de l’ordre de 1 500 dollars par tête de pipe (l’équivalent de 40 000 euros). Dans le même temps, la presse du Sud demande des sanctions exemplaires pour les officiers qui ont laissé les esclaves s’échapper.

– Je suis sûr qu’ils méritent.

– Smalls est sollicité pour se rendre à New York afin de lever des fonds pour les ex-esclaves, mais DuPont le garde auprès de lui pour ses informations et sa connaissance du secteur. En août 62, il accepte de l’envoyer à Washington pour tenter de convaincre le ministre de la Guerre, Edwin Stanton, de laisser des Noirs rejoindre l’armée de l’Union. Plusieurs généraux l’avaient déjà demandé et donné des ordres à cette fin, mais Lincoln s’y était opposé. Cette fois Stanton donne son autorisation pour recruter 5 000 hommes de Port Royal, qui deviennent les 1er et 2e régiments « colorés », c’est la dénomination officielle, de Caroline du Sud.

– Et Robert lui-même ?

– Il continue à travailler comme civil pour la Navy, avant d’être transféré à l’armée de terre en mars 1863. Il pilote le Crusader et le Planter, participant ainsi au blocus de Charleston ainsi qu’à des opérations de déminage. Il est aussi conduit à piloter également le cuirassé Keokuk, puis le Isaac Smith.

– Je préfère Keokuk, comme nom.

– Moi aussi. Le 1er décembre 1863, alors qu’il pilote le Planter, ce dernier est attaqué par des batteries sudistes.

Pour jouer des blanches.

Le capitaine va se planquer dans la réserve de charbon.

– Dans la réserve de charbon ?

– Oui…bon, certes c’était une partie renforcée du bateau mais quand même, il va se protéger de tir d’artillerie dans l’endroit où on stocke le combustible. Toujours est-il que Smalls refuse l’idée de se rendre, convaincu que lui et les autres Noirs de l’équipage ne seront pas traités comme des prisonniers de guerre.

– Il n’a sans doute pas tort.

– Sans doute. Il prend donc la barre et conduit le Planter en sécurité. Ce qui lui vaut d’être promu capitaine et de prendre le commandement du bateau. Il devient ainsi le seul capitaine noir de l’US Navy non seulement de la guerre, mais de tout le 19e. Même si techniquement il n’était pas capitaine.

– Comment ça ?

– Dans les faits, Robert était le pilote du Planter. Cependant la Navy ne l’autorisait pas à porter officiellement ce titre, puisqu’il n’était pas diplômé de l’académie navale. Afin qu’il reçoive bien sa paie de capitaine, il est fait second lieutenant du 1er régiment des volontaires de Caroline du Sud, relevant donc de l’armée de terre, détaché en tant que pilote.

– C’est particulièrement simple.

– Plus tard, quand il demande à percevoir sa retraite de la marine, on lui répond qu’il n’a pas été officiellement désigné capitaine. Il conteste et confirme qu’il a bien reçu un document officiel, mais l’a perdu. En 1883, un projet de loi est discuté pour l’inscrire au registre des retraités de la marine, mais le processus ne va pas son terme. En 1897, le Congrès lui accorde une retraite équivalente à celle d’un capitaine de la Navy (30 dollars par mois).

– Le Congrès ? Le Congrès central des Etats-Unis prend une mesure rien que pour lui ?

– C’est que sa carrière ne s’est pas arrêtée là. En mai 64, Smalls assiste à la convention nationale républicaine à Baltimore, où il milite désormais. Quelques semaines plus tard, il convoie le Planter à Philadelphie pour une révision. Pendant qu’il est en cale sèche, Robert promeut une campagne de levée de fonds pour assurer l’éducation des anciens esclaves. Il en profite pour se mettre à l’apprentissage de la lecture et de l’écriture.

– Ca peut servir.

– A la même époque, alors qu’il prend un tram, un passager blanc lui « demande » de lui laisser sa place assise. Robert, un héros de guerre, préfère descendre que de voyager sur la plateforme bondée. Il lance alors une action de boycott des trams. L’épisode est cité quelques années plus tard dans les débats qui conduisent le congrès de Pennsylvanie à mettre en place des transports publics.

– Me rappelle quelqu’un.

– De fait. Smalls est libéré de ses obligations militaires le 11 juin 1865. Au total, il a participé à 17 batailles au cours de la guerre. Il continue à piloter le Planter pendant encore quelques mois, pour des missions de livraisons de vivres et de provisions à des affranchis qui ont perdu leurs maisons pendant la guerre.

– Il va arrêter de faire des choses remarquables à un moment ? Ca devient vexant là.

– Euh…une fois démobilisé, il retourne à Beaufort, et rachète la maison de son ancien maître, saisi en 1863 pour refus de payer l’impôt. Ce que le propriétaire initial contestera devant la justice quelques années plus tard, sans succès. Le procès établit un précédent pour plusieurs autres similaires qui suivront, et fait jurisprudence.

– Bien fait.

– Robert permet ensuite à la veuve de son ex-maître, dans la dèche, de s’installer dans son ancienne maison jusqu’à sa mort.

– Vexant, j’ai dit.

– Par ailleurs, il rachète un bâtiment dans Beaufort et le convertit en école pour jeunes enfants noirs. Désolé, il est irrécupérable. Dans le même temps, en 1866, il se lance dans les affaires, toujours à Beaufort. Il ouvre un magasin pour affranchis. Non, pas les mafieux, les ex-esclaves. Puis en 1870, il construit avec plusieurs partenaires une ligne de voie ferrée de 35 km, opérée par chevaux, pour relier les docks de Charleston et des entrepôts situés dans les terres. A une exception près, le comité de direction de la compagnie n’est composé que de Noirs. En 1872, il lance également un journal local, le Beaufort Southern Standard.

– Héros de guerre, entrepreneur, notable, parton de presse…plus qu’à se lancer en politique, il cochera toutes les cases.

– Ca tombe bien, il est élu républicain à la chambre des représentants au Congrès de Caroline du Sud en 1868, au sein duquel il promeut en particulier l’éducation gratuite et obligatoire et les droits civiques.

Bingo !

– C’est toujours surprenant d’entendre ça à propos d’un Républicain.

– Oui, faut rappeler que Lincoln était républicain, et que les Démocrates s’opposaient à lui et notamment à sa politique en matière de droits civiques.

– Autres temps…

– Robert passe au Sénat de l’état en 1870, où il préside le comité des impressions pendant son mandat, c’est-à-dire jusqu’en 1874. Il est élu vice-président du parti républicain en Caroline du Sud, et participe aux conventions nationales. En parallèle, il devient en 1873 colonel dans la milice d’état de la Caroline du Sud, c’est-à-dire l’armée de réserve de l’état. Il monte jusqu’au grade de général, avant que les Démocrates prennent l’état en 1877, en conséquence de quoi il n’ira pas plus loin. Enfin, je veux dire, dans la réserve. Il continue sa carrière politique.

– Dans quelle direction ?

– Vers Washington. En 1874, il est élu du 5e district de Caroline du Sud à la Chambre des représentants du Congrès, où il sert deux mandats entre 74 et 78. Au cours du premier, il propose en 1876 une loi pour lever toute forme de discrimination raciale dans les recrutements militaires, l’idée étant que la couleur des soldats ne joue plus dans leur affectation. La proposition est cependant rejetée.

– La guerre n’a pas tout réglé.

– Non, loin de là. D’autant que les vaincus sont revanchards. En 1876 toujours, Smalls se rend dans le cadre de sa campagne de réélection à un meeting à Edgefield, en Caroline du Sud. Là, la réunion est envahie par des Chemises Rouges, l’équivalent local du KKK, menés par un ancien général confédéré, Matthew Butler. Ce dernier menace directement Smalls.

– Bonne ambiance dans les campagnes, ça pour le coup c’est une constante.

– Dans le même temps, l’adversaire démocrate de Smalls, George Tillman, mène une campagne violente, reprenant un discours proche de celui des Chemises Rouges et allant jusqu’à promouvoir toutes sortes de moyens illégaux pour empêcher les électeurs républicains de voter.

– Là non plus, on n’a rien inventé ces dernières années.

– Pour te donner une idée de l’atmosphère de la campagne, Robert en vient à décrire Tillman comme la personnification de la collusion entre Démocrates et Chemises Rouges et « l’ennemi de ma race ». Le gouverneur décide d’ailleurs de déployer des troupes fédérales pour protéger les bureaux de vote, et finalement Smalls l’emporte contre Tillman par 52 % des voix contre 48 %.

– Pas passé loin.

– Oh mais ce n’est pas fini. Tillman conteste les résultats, mais surtout dès l’été 77 les Démocrates de Caroline du Sud accusent Robert d’avoir accepté un pot-de-vin de 5 000 dollars dans le cadre de l’attribution d’un contrat d’impression par le comité du sénat de Caroline.

– Calomnie !

– Je suis bien incapable de me prononcer sur le fond, mais le fait est que Robert est condamné à trois ans le 26 novembre, avant d’être libéré après trois jours suite à son appel devant la cour suprême de l’état. Ce qui lui permet de retourner à Washington pour se défendre face à Tillman devant le Comité Electoral du Congrès. Qui est contrôlé par les Démocrates et donne raison à Tillman, mais la Chambre ne le suit pas. Et sur ce Robert doit déjà mener campagne pour sa réélection en 1878, vive les mandats de deux ans, dans un climat particulièrement lourd et violent. Son appel n’a pas encore été jugé à ce moment. Tillman est à nouveau son adversaire, et alors que les menaces conduisent de nombreux électeurs noirs à rester chez eux, il l’emporte largement avec 71 % des votes.

– C’est navrant.

– En 1879, la Cour Suprême de Caroline du Sud rejette l’appel de Smalls, mais le gouverneur l’amnistie.

– Attends, tu n’as pas dit que les Démocrates avaient pris la tête de l’état ?

– Si, le gouverneur démocrate amnistie Smalls. Il prend cette décision contre la garantie du ministère fédéral de la justice de ne pas poursuivre plusieurs élus démocrates de l’état, accusés de fraudes électorales.

– C’est ma-gni-fique.

– Cet épisode nuit cependant à Robert, qui perd les élections de 1878 et 1880. Il n’est cependant pas du genre à se décourager, et continue à se présenter. Il retrouve son siège en 1882, puis est à nouveau élu en 1884 dans un autre district (le 7e), où il aligne deux mandats. De fait il est resté le dernier Républicain élu au Congrès dans le 5e district de Caroline du Sud jusqu’en 2010.

– A ceci près que les Républicains de 2010 sont plutôt proches des Démocrates de 1878.

– Le changement dans la continuité. En 1890, Robert raccroche. Faut dire qu’il vient de se remarier.

– Félicitations.

– Sur ce, le président Harrison le nomme percepteur des douanes à Beaufort, poste qu’il tient pendant plus de 20 ans, jusqu’en 1913, avec une interruption de quatre ans pendant le second mandat du président démocrate Cleveland entre 93 et 97.

– Peut pas rester tranquille à profiter de ses vieux jours et de son épouse ?

– La pauvre disparaît en 1895, mais non, Robert ne tient manifestement pas en place. Et encore, on lui propose par la suite de devenir colonel dans un régiment noir pendant la guerre contre l’Espagne, ainsi qu’un poste d’ambassadeur au Libéria. Mais il décline.

– Ah, quand même…

– Parce qu’entre-temps il est devenu diabétique. Faut croire que ça ne l’empêche pas de gérer les douanes. Il faut donc attendre 1913 pour qu’un changement de bord à la Maison Blanche conduise à lui retirer son office. Robert Smalls est alors finalement à la retraite. Il n’en profite pas longtemps, puisque la malaria l’emporte le 23 février 1915.

– Faut dire qu’à part président, il ne lui restait plus vraiment de marches à gravir.

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