Blockbusters

Blockbusters

– Eh ben dis donc, c’est comme ça que tu travailles ?!

– Mais…oui. Je ne vois pas où est le problème.

– Laisse-moi te renseigner alors. Le problème c’est que tu m’as convaincu de valider la création d’une division « Sciences Appliquées », entre nous je me demande toujours où tu es allé chercher ce nom…

C’est un mystère complet.

…afin de, c’était quoi déjà ?

– Exploiter notre désormais grande familiarité avec les inventions tordues et les inspirations étranges pour proposer des concepts innovateurs et brillants.

– C’est ça. J’avais quelques doutes, mais bon, après tout pourquoi pas, et j’ai eu la faiblesse de dire oui. Et maintenant que je débarque à l’improviste, tu fais quoi ?

– Ben…de la recherche.

– Tu appelles ça de la recherche ?

– Je compulse des documents, je fais le tour des sources disponibles.

– Tu es surtout en train de regarder un dessin animé pour enfants, là.

– Oui, et alors ? Tu n’as manifestement pas idée de la variété d’origine des bonnes idées.

– Tu vas me faire le coup de la sérendipité devant Blanche-Neige ?

– Pas du tout. J’ai choisi mon programme de visionnage à dessein. Hé hé, dessin.

– Je me gondole. C’est usant, je ne peux rien te confier de sérieux.

– Je proteste. Je m’y prends tout à fait sérieusement. J’ai un tube à essais et un bec Bunsen, des fois que, et pis t’as vu, j’ai mis une blouse. Scientifique et tout.

– Ah oui c’est…oh seigneur. Tu es quand même censé porter d’autres vêtements en dessous ! Pas uniquement la blouse.

– Oups.

– Et puis ton attirail n’est pas le problème. Tu dois développer des idées innovantes, et tu regardes du Disney !

– Oui, justement. C’est précisément l’idée.

– Tu veux trouver des idées originales, innovantes, et susceptibles de plaire dans des productions Disney ?

– C’est ça.

– Dis-moi, tu as regardé un Marvel ou un Star Wars récemment ?

– Non mais ça ce sont des pièces rapportées.

– Excuse-moi, mais même avec Dumbo ou les 101 Dalmatiens je ne vois pas ce que tu espères trouver.

– Ok, laisse-moi te poser une question : comment endommager un bâtiment dont les murs font plusieurs mètres d’épaisseur de béton armé ?

– Ce changement de sujet était violent. Comment endommager…je ne sais pas moi, je ne suis pas expert en armement.

– Lance des idées.

– Avec de très grosses bombes ?

– Ca paraît logique, mais faire exploser une charge à la surface d’une structure lourdement bétonnée finit par rencontrer des limites. Pour craquer des épaisseurs de plusieurs mètres, il faut des puissances qui sont hors de portée des explosifs conventionnels. Voire des non-conventionnels, au bout d’un moment.

– Tu veux dire qu’il y a des problèmes que même une quantité déraisonnable de dynamite ne peut pas régler ?

– C’est un peu ça, et ça me chagrine autant que toi. Mais moins que les braves stratèges qui se sont précisément retrouvés face à ce problème pendant la Seconde Guerre. L’histoire de la course entre le projectile et le blindage est vieille comme…les projectiles et les blindages, mais au début des années 40 les bunkers posent un problème manifestement très résistant.

– Je veux bien l’entendre, mais les champs de bataille n’en sont pas non plus couverts. C’est plus la guerre de tranchée.

– Tu as raison, cependant il y a au moins deux catégories de cibles stratégiques qui sont lourdement renforcées. La première, ce sont les sites d’assemblage et/ou de lancement des armes V.

– V comme…

– Vengeance, absolument, puisque c’est la signification de Vergeltungswaffen.

– Ah, les V1 et V2 ?

– Exactement. Le premier était une bombe volante, et le second un authentique missile balistique, le premier du genre.

V1 à droite, V2 à gauche.

Ils étaient lancés vers l’Angleterre depuis des sites construits dans le nord de la France et aux Pays-Bas. Tu te doutes bien que ces derniers sont d’emblée devenus des objectifs prioritaires, mais les bombardements alliés n’étaient que peu efficaces sur les blockhaus allemands.

– Gênant. Et c’était quoi les autres cibles difficiles à atteindre ?

– Les bases sous-marines.

– Ah ben oui, vaut mieux envoyer des torpilles que des bombes.

– Non, pas les bases-marines sous l’eau, les bases sous-marines en surface.

– …

– Les bases de sous-marins, si tu préfères.

– C’est plus clair comme ça.

– Au risque d’être un peu lourd parce que c’est un sujet que nous avons déjà abordé, il faut vraiment insister sur l’importance de la guerre sous-marine, et les dégâts infligés par les U-Bots allemands. Grâce à la fameuse tactique de la meute de loups, ils font des ravages et constituent un réel problème, notamment pour la chaîne logistique transatlantique dont les Alliés ont besoin pour envisager de porter le combat en Europe.

– Raison pour laquelle ces derniers se décident à mobiliser des filles qui poussent des pions.

– Exactement. Ces demoiselles permettent d’ajuster les méthodes de défenses en mer, mais le meilleur moyen de se débarrasser des sous-marins seraient encore d’attaquer leurs bases, histoires d’en couler un maximum d’un coup.

– Et puis les chances pour un bombardier de perdre un duel avec un sous-marin sont limitées.

– Aussi. Cependant les Allemands avaient évidemment prévu le coup, et les bases sont lourdement fortifiées, au point que la stratégie classique à l’époque du tapis de bombes ne produit aucun résultat significatif.

« Aucun…on voit que c’est pas vous qui devez refaire la façade à chaque fois. »

– Bon, alors on fait quoi ?

– Les Américains ont une idée…que sans doute seuls les Américains pouvaient avoir : ils veulent carrément utiliser des bombardiers pour attaquer les bunkers.

– Pardon ?

– Tu m’as bien entendu. Ils veulent lancer des bombardiers à l’assaut.

– Mais, je…que… C’est ce que tout le monde, eux compris, fait déjà. On vient de parler de l’inefficacité de cette méthode.

– Aaaah, mais non. Jusque-là, ils utilisaient des bombes. Maintenant ils veulent y aller avec des bombardiers.

– J’ai basculé dans la 4e dimension.

– Non. Jusqu’à présent ils utilisaient des bombardiers pour lancer des bombes sur les cibles. Là, l’idée c’est d’envoyer directement le bombardier lui-même sur la cible. Y’a plus de bombes, c’est l’avion la bombe.

– On évacue l’intermédiaire.

– Voilà. Et c’est une idée qu’ils ont tout seuls à l’été 44, avant d’avoir eu à faire avec les attaques kamikazes. Sachant qu’il n’est pas du tout question de tuer l’équipage. Au contraire, l’idée est d’utiliser des appareils téléguidés. Radioguidés, pour être exact.

– Il va falloir des grosses manettes.

– Plutôt. L’idée est proposée un certain Jimmy Doolittle, qui en a fait d’autres et sur lequel on reviendra, à l’été 44. Elle est reprise à la fois par l’Air Force et la Navy, qui développent chacune leur projet, avec des approches…différentes

– C’est-à-dire ?

– Le principe est rigoureusement le même, mais pour une raison qui m’échappe totalement, ça les inspire de façons diamétralement opposées. La Navy baptise son projet Anvil, c’est-à-dire Enclume. Ca se tient, puisqu’il s’agit de balancer un truc très lourd sur la cible. Mais dans le même temps, l’Air Force considère que le bon nom pour faire exactement la même chose est…Aphrodite.

– Alors là je reconnais que la logique militaire m’échappe aussi.

Si ça vous évoque une attaque en piqué sur une position fortifiée, contactez votre centre de recrutement.

– Dans le détail, l’idée est de convertir des B-17 et B-24 décommissionnés et retirés du service, parce qu’on ne va quand même pas faire exprès de détruire des appareils fonctionnels. On les débarrasse de tout un paquet d’équipements, qui vont des sièges aux mitrailleuses en passant par les rayonnages pour les bombes ou encore une bonne partie du blindage. Soit plus de 5 tonnes en tout, quand même. Et on y installe un système de guidage par radio et des caméras. Dans le même temps, l’appareil est rempli d’explosifs pour une charge représentant deux fois celle qu’emporte normalement un B 17 en service classique.

– Ca a plus l’impact de l’avion lui-même, le bunker devrait le sentir passer.

– C’est l’objectif. Un autre B-17, équipé de systèmes de pilotage par radio, vole un peu derrière et fait office de vaisseau-mère. L’idée initiale est que l’avion-bombe soit piloté à distance sur toute la durée de la mission, mais les tests montrent que le dispositif de pilotage à distance ne permet pas des décollages sûrs. Par conséquent, l’approche se fait avec un équipage. Il l’amène à proximité de la cible, confie les commandes au vaisseau-mère, puis évacue en parachute.

– Pas pour les missions loin en territoire ennemi alors.

– Sans doute pas, non. Le dispositif est donc testé, avec des résultats suffisamment probants pour envisager un déploiement dans un premier temps en Europe, et à terme au Japon. Mais le bilan des 14 missions menées en Europe à partir d’août 1944, y compris sur le Havre, est négatif. Aucune des cibles n’a été détruite, tandis que beaucoup des appareils ont été abattus par la défense anti-aérienne ou se sont écrasés après une perte du contrôle à distance. Plusieurs équipages y sont également restés, dont Joseph Kennedy Jr, le frère de. Au mieux, il y a eu quelques presqu’impacts.

– C’est un échec, quoi.

– Exactement. L’opération est donc suspendue jusqu’à nouvel ordre en janvier 45. Heureusement, il y a d’autres pistes pour attaquer les bunkers.

– Je t’écoute.

– On reste sur quelque chose de classique, c’est-à-dire des bombes. Mais puisque les impacts directs sur plusieurs mètres de béton armé ne fonctionnent pas, on va essayer les dégâts indirects.

– Euh, c’est-à-dire ?

– L’ingénieur britannique Barnes Wallis se dit que plutôt que de viser les cibles trop résistantes, il faut en endommager par proximité les fondations et la structure. C’est le concept de la bombe à onde de choc, ou bombe à tremblement de terre. Elle pénètre le sol avant d’exploser, et une fois qu’elle est plusieurs mètres sous terre la détonation provoque des vibrations suffisamment fortes pour fragiliser le bâtiment.

– La bombe-sapeur.

– Exactement. Wallis commence à y travailler à partir de 42. Son premier modèle est la Tallboy. Un grand garçon en effet, puisqu’on parle d’une bombe de plus de 6 mètres, pour un poids de 5,5 tonnes, dont 2,5 pour la charge. Faut dire que pour remplir sa mission et pénétrer effectivement dans le sol aussi loin que possible, elle est construite dans un acier particulièrement résistant.

C’est une grosse binette, quoi.

– Bon ben essayons ça alors.

– La Tallboy fait preuve de son efficacité lors d’attaques contre une chaîne d’assemblage de V2 dans le Pas-de-Calais, c’est l’opération Crossbow du 24 juin 44, ou les installations souterraines de Saumur les 8 et 9 juin. En tout elle permet des attaques efficaces contre plusieurs installations de lancement ou d’assemblage de V1/V2.

– Bien.

– Oui, au point que dans une logique assez prévisible les militaires veulent la même chose en plus gros. Un projet de modèle large de la Tallboy est envisagé en juillet 43, mais il est mis de côté. Il est relancé, sous le nom Grand Slam, en novembre 44, après notamment le début des bombardements de V2 en septembre. Ce modèle atteint lui 8 mètres de long, pour une masse de 10 tonnes, dont 4,3 d’explosifs.

Ce coup-ci les taupes n’ont plus aucune chance.

La Grand Slam est utilisée pour la première fois en mars 45 dans des attaques contre des viaducs ferroviaires, avec de bons résultats. Bons, mais pas optimaux.

– Comment ça ?

– Je vais commencer par souligner un réel avantage des bombes à tremblement de terre : elles n’ont pas besoin d’être précises. De ce point de vue, Walis a été malin, et il a contourné une difficulté posée par les modes d’attaque de l’époque. A savoir le bombardement de zone, en tapis. Bien sûr, les bombardiers avaient des mires et autres systèmes de visée, mais la précision n’était pas leur fort. Donc on balançait un max de bombes sur la zone voulue, en se disant qu’il y en aurait bien quelques-unes qui tomberaient juste. De ce point de vue, les Tallboy et Grand Slam sont bien pensées : puisqu’il s’agit de s’enfoncer dans le sol et de fragiliser la structure, il suffit qu’elles tombent globalement à proximité de la cible.

– On évacue le problème du manque de précision.

– Voilà. Par ailleurs, puisqu’elle est quand même conçue pour pénétrer dans des matériaux, la bombe à tremblement de terre dispose d’une bien meilleure capacité à rentrer dans du béton que les autres, même si ce n’est pas sa vocation première. Meilleure, mais pas suffisante. Donc on peut mener des attaques plus efficaces contre des structures renforcées, mais pas toutes, pas tout le temps. Les bases de sous-marins en particulier continuent à faire de la résistance.

– C’est agaçant.

– S’y ajoute un autre problème, à savoir que ce sont des munitions particulièrement lourdes, ce qui finit par limiter la portée des bombardiers qui les embarquent, même les plus puissants. Non, tu vois, ce qu’il faudrait c’est une bombe qui ne « secoue » pas la structure, mais qui la pénètre bel et bien. Qui ne s’attaque pas à l’enveloppe, mais à son contenu.

– Oui, je comprends bien mais qui est-ce qui va nous inventer ça.

– Oh, tu le connais.

– Tu sais, moi, les ingénieurs en armement, à part le Coyote de Tex Avery…

– Tu n’es pas si loin. Plus petit, avec des grandes oreilles.

– Hein ?

– Mickey.

– Mickey…Mouse ?

– Lui-même. Enfin, je veux dire Disney.

– Mais quel est le rapport ?

– La solution, l’idée brillante qui va permettre de concevoir de réelles bombes anti-blockhaus, d’authentiques bunker-busters, vient directement de chez Walt Disney.

– J’ignorais qu’ils avaient une division de recherche militaire.

– Non. De nos jours on ne peut plus rien exclure, mais à l’époque leurs projets de domination mondiale étaient moins avancés, donc non. En 1941, Walt Disney a déjà créé ses personnages les plus emblématiques à travers des dessins animés courts, mais a également sorti 4 longs métrages en couleur qui ont connu un succès mondial, à savoir Blanche-Neige, dont le dessin a été inspiré par qui tu sais, Pinocchio, Dumbo, Fantasia. Et il y a évidemment d’autres projets en cours, mais après l’attaque de Pearl Harbor Walt décide de presque tous les surprendre pour se mettre au service du gouvernement. Comme d’’autres d’ailleurs, le studio se consacre à la production de films de propagande pour soutenir le moral de la population. Tu as des films aussi bien pour mettre en valeur les troupes US que pour ridiculiser l’ennemi.

Malheureusement, le message « méfiez-vous du Donald nazi » a été oublié après quelques générations.

– C’est de bonne guerre, si j’ose dire.

– Certes. Mais c’est ainsi que le studio sort en juillet 1943 un dessin animé de 70 minutes, soit un format long pour l’époque, intitulé Victory through Air Power, la Victoire à travers la puissance aérienne. Il s’inspire d’un livre du même titre écrit par Alexandre Prokofiev de Seversky, un aviateur russo-américain qui a développé des théories sur l’arme aérienne et les façons de s’en servir.

Tapis de bombes et d’allitérations en approche.

Et c’est ainsi qu’il y a une séquence qui illustre un bombardement sur une base de sous-marins. Elle est couronnée de succès parce qu’on voit bien la bombe passer directement à travers le béton. Or cette bombe ne ressemble à aucune autre.

– Comment ça ?

– C’est une bombe propulsée. Sans s’inspirer de rien d’existant, Seversky n’a rien conceptualisé de tel, un dessinateur a l’idée, Dieu sait comment et pourquoi, peut-être tout simplement pour renforcer l’idée de la vélocité de la charge, de la représenter comme une combinaison entre une bombe classique et une fusée.

C’était ça ou un marteau géant.

C’est une proposition absolument originale, qui relève certainement plus de l’esprit cartoon que d’autre chose. Mais parmi les spectateurs de Victory through Air Power, il y a Edward Terrel.

– Connais pas.

– Terrel est un officier britannique de la réserve royale navale, qui avant la guerre exerçait le métier d’avocat. C’est aussi un inventeur à ses heures perdues, qui a déposé des brevets pour un économe, le couteau pour peler les légumes, et des systèmes de rechargement de stylo à plume.

– Exactement le profil pour concevoir des armes innovantes.

– Précisément. Au fond la question est simple : que faut-il pour réussir une bonne pénétration ?

– Je, euh…

– Par bonne, j’entends évidemment profonde, rapide, et puissante.

– Non mais attend…

– Je ne suis qu’à moitié surpris que tu ne saches pas bien me répondre, à vrai dire.

– C’est-à-dire que je te rappelle que notre public-cible…

– Ok, puisque manifestement tu n’en as aucune idée, la puissance de pénétration repose sur la masse, la densité, et la vitesse. Augmenter la masse et la densité, c’est globalement ce qu’on a fait avec les bombes à tremblement de terre. Pour ce qui est de la vitesse, une bombe de 5 tonnes qui tombe en chute libre atteint le sol à environ 1 200 km/h, soit un poil en-dessous de la vitesse du son. Jusqu’à présent, les ingénieurs n’avaient pas pensé à jouer sur ce facteur. En propulsant l’engin comme le propose Disney, on peut aller plus vite, donc taper plus fort, donc pénétrer plus loin.

– C’est la devise olympique du bombardement.

– Terrel se penche donc sur sa table à dessin. Il conçoit ainsi la Concrete-Piercing/Rocket-Assisted Bomb, littéralement la bombe perceuse de béton assistée par fusée, également appelée Disney Swish, ou plus simplement Disney Bomb. Soit une munition de 5 mètres de long, pour un poids de 2 tonnes et une charge explosive de 230 kg. C’est 10 fois moins qu’une TallBoy, mais l’idée est ici qu’elle explosera une fois à l’intérieur du bâtiment visé, et non pas à l’extérieur pour en fragiliser la structure.

– Donc on peut faire mieux avec moins.

– Exactement. Autre point important, l’aérodynamique. La Disney Bomb n’a pas la forme classique d’une bombe, elle est plutôt effilée, comme…un dard. C’est bien un dard pour la pénétration.

– Tu joues avec la ligne là.

– Pour te donner une meilleure idée, elle fait 43 cm de diamètre au niveau de la queue, mais seulement 28 à la pointe. Attends, je te fais un dessin du meilleur profil pour pénétrer fort et loin…

– Vraiment ?

Mais oui, allez.

– Comme tu peux le voir, la vraie spécificité est à l’arrière, où se trouvent les DIX-NEUF fusées de propulsion, qui marchent à la cordite, une poudre à base de nitroglycérine. La bombe est conçue pour être lâchée à 6 km d’altitude, et les fusées s’allument à 1 500 mètres après une trentaine de secondes de chute libre. Elles ne poussent pendant seulement 3 secondes, mais c’était suffisant pour atteindre la vitesse souhaitée au moment de l’impact, soit près de 1 600 km/h, ou 440 mètres par seconde. Mach 1.29, pour le dire autrement. Une bombe supersonique, qui doit ainsi pouvoir traverser près de 5 mètres de béton armé avant d’exploser.

– Fini de rire pour les blockhaus.

-C’est le projet. L’Amirauté soutient l’idée, mais le Ministère de l’Air est réticent. Terrel rencontre le conseiller scientifique de Churchill pour le convaincre, et après plusieurs mois de blocage le cabinet de guerre finit par valider le projet en mai 44, avec comme cible première les bases de sous-marins. En raison de sa taille, la Disney Bomb ne peut pas être transportée par des appareils britanniques. Seuls peuvent l’emporter les bombardiers US B-17 Flying Fortress et B-29 Super Fortress.

– En attendant la sortie du Mega Hyper In Your Face Fortress.

– C’est ça. Et encore, pas question de la charger dans la soute, elle doit être suspendue directement sous les ailes, ce qui limite la charge à deux bombes par appareil.

L’idée initiale de la suspendre à trois officiers n’a pas été retenue.

C’est la raison pour laquelle le projet devient une coopération américano-britannique. En raison de ses caractéristiques propres et de son mode de propulsion, la Disney Swish ne se comporte pas comme une bombe classique en chute libre, mais présente des trajectoires différentes. Il a donc fallu retravailler spécifiquement les dispositifs de visée. Sachant qu’il fallait un coup au but pour qu’elle soit efficace.

– Tu veux dire qu’il fallait pouvoir viser juste à 6 km d’altitude, depuis un bombardier, avec toutes les incertitudes liées aux conditions ?

– C’est ça. Par conséquent une bonne partie des essais menés d’abord à Southampton, puis plus tard sur un bunker allemand capturé en septembre 44, a pour but de recalibrer et régler les mires. Finalement, tout est validé début 1945. Le premier déploiement en combat se fait lors d’une attaque contre le port néerlandais d’Ijmuiden, qui avait été équipé de deux quais pour sous-marins avec des toits en béton armé de 4,2 et 3,6 mètres d’épaisseur. Les deux structures avaient déjà essuyé 4 attaques de Tallboys depuis août 44, soit 53 bombes à tremblements de terre, plus de nombreux autres raids classiques, sans grand effet.

– Mais cette fois on a le bon outil.

Ca fait toute la différence.

– Le 10 février, les bases de sous-marins d’Ijmuiden reçoivent une pluie de 18 Disney Bombs, et les résultats sont suffisamment probants pour qu’une deuxième attaque soit décidée. Tu as même un reportage sur le sujet. La deuxième mission vise la base sous-marine de Brême, dans le port de Farge, le 30 mars. Plus de 60 bombes sont larguées. Une seule réussit à frapper exactement en plein dans le mille.

– Heureusement qu’ils ont refait de tests pour améliorer la visée.

– Oui mais ça suffit. La bombe traverse le plafond de 4,6 mètres et ravage totalement la base.

La vie imite l’art.

La dernière attaque est lancée le 4 avril sur Hambourg, avec 24 B-17 qui bombardent plusieurs positions fortifiées dans la ville. Cependant avec l’avancée de la Guerre, les autres attaques programmées en mai sont annulées. Au total, 158 Disney Bombs ont été larguées pendant le conflit.

– Je dirais que l’idée est validée, mais que ce n’est pas encore tout à fait au point.

– Tu n’as pas tort. L’effet sur le conflit est réduit, mais elle sert de base au développement des futures générations de bombes anti-bunkers. C’est pourquoi après la guerre, les Américains et les Britanniques continuent à travailler ensemble sur ce type de munition dans le cadre du projet Ruby, en utilisant notamment ce qui reste des installations de Brême et l’île d’Heligoland comme sites de test. 76 bombes Disney sont larguées dans ce cadre, qui réalisent des performances de pénétrations comprises entre 4,46 et 4,87 mètres de béton armé. Et aujourd’hui les bunker-busters constituent une classe de bombes à part entière.

– Tout ça sur une idée de Mickey.

– Voilà. C’est vraiment le studio connu qui a cassé la baraque.

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One thought on “Blockbusters

  1. Bonjour,
    Merci pour ce sujet, j’ignorais tout des bombes Disney.
    Une petite coquille : « C’est 10 fois qu’une TallBoy »
    10 fois moins ?
    Et aussi, merci de manière générale pour En Marge, en fait.

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