Comtesse gothique

Comtesse gothique

– Sam, je t’emmène ce soir dans les méandres du 16e siècle mystérieux, aux confins de l’étrange et de la nuit, au cœur du pays magyar et …

– Enlève cette lampe de sous ton visage, fous-moi ce bâton d’encens à la poubelle et éteins ces bougies, tu es ridicule.

– Mais c’est pour installer une atmosphère.

– Elles sont parfumées à la lavande.

– OKAY MONSIEUR RABAT-JOIE C’EST MIEUX LÀ ?

– Disons qu’on respire. Alors, ton affaire ?

On fait des efforts et tout et c’est comme ça qu’on est remercié.

– Elle commence en Hongrie, en 1560, dans une famille de vieux comtes d’origine transylvanienne, les Báthory, avec la naissance d’une petite fille : Elisabeth. Elle reçoit l’éducation typique de son milieu et de son époque, à savoir qu’on la prépare à se marier au motif que toute jeune fille à sang bleu dispose d’une valeur maritale et marchande non négligeable.

– Surtout qu’on a les dents longues, dans sa famille.

– Je vois p…

– Sa famille de Transylvanie.

– Oui et qu’est ce qu…

– LE PAYS DE DRACULA.

– Alors j’ai peut-être des bougies à la lavande, mais je ne fais pas des jeux de mots pourris sur les dents de Dracula, moi, je me respecte et… C’est une vilaine toux que tu as là.

– … Non mais teuheurheuuuûh ça va passer, continue.

– Dès 11 ans, la pauvre môme est promise à son futur époux et expédiée chez sa future belle-mère qui complète dieu merci son éducation, en dépassant le stade du « sois belle, mais surtout tais-toi et enfante ». Elisabeth devient une femme cultivée, savante, érudite même, capable de lire et de parler en six langues, semble-t-il. Et elle a de l’allure, la jeune comtesse : ses contemporains la décrivent comme une femme élancée, le teint diaphane, le regard intense.

Bon, c’est une copie, on dirait surtout une meringue, mais il y a quelque chose dans l’œil d’un peu spécial, non ?

– Et ils n’en rajoutent pas un peu ?

– Écoute, il semble bien que non. Ce qui est en tout cas certain, c’est qu’elle a du caractère et un respect assez modéré des règles censées lui dicter son comportement puisqu’elle s’encanaille quelque peu, au point de connaître à 15 ans une brève histoire avec un paysan du coin.

– C’est très Lady Chatterley, ton truc.

– C’est surtout très emmerdant, parce qu’elle se retrouve en cloque jusqu’aux yeux. Du coup, colossal scandale, étouffé en beauté pour préserver les intérêts bien compris de sa famille et de celle de son futur époux. On ne sait pas ce qu’il arriva à l’enfant, a priori une petite fille. Tout est possible, du couvent à l’orphelinat en passant par la petite fosse discrète au coin d’un fourré.

– Le jeune papa non plus, on ne sait pas trop ce qu’il est devenu ?

– Nope et je ne suis pas particulièrement optimiste. Toujours est-il que voilà notre Élisabeth mariée en bonne et due forme avec un homme un rien plus vieux qu’elle, Ferenc Nádasdy. Et les jeunes époux filent s’installer dans les Carpates, dans un château que Ferenc offre à sa jeune épouse avant d’aller s’occuper à des trucs de nobles comme poutrer des Turcs.

« Bon anniversaire, chérie ».

– Et Elisabeth, elle chante des cantiques ?

– M’as pas l’air d’être trop le genre. Pour éviter de s’emmerder à cent sous de l’heure, elle en profite pour apprendre à gérer seul son domaine et ses affaires. Et puis elle travaille sa réputation : dans le voisinage, elle est réputée pour sa bonté et pour l’attention qu’elle porte aux gens de peu.

– Bref, la princesse idéale.

– Ce n’est pas vraiment du flan, on a pas mal de lettres qui montrent qu’elle les défend souvent dans des procès ou en leur filant quelques ronds. Toujours est-il qu’après dix ans, son mari rentre enfin à la maison et lui fait cinq enfants.

– D’un coup ?

– Mais non, j’ai accéléré. Elle adore ses mômes et s’en occupe bien au-delà des mœurs en usage en ce temps-là mais la vie est moche et trois d’entre eux meurent en bas âge.

Je ne sais pas si ça joue, mais quand son mari meurt en 1604, les langues commencent à salement se délier au sujet d’Elisabeth Bathory.

– C’est-à-dire ?

– Les accusations se multiplient, toutes dans le même sens : la belle comtesse serait une veuve noire et une cinglée de première. C’est un pasteur, István Magyari, qui alerte les autorités en premier : des fidèles lui racontent des trucs à peine croyables.

– Ben, s’ils sont à peine croyables, il ne faut peut-être pas les croi…

– Ils sont 300, les fidèles.

– Ah.

– Voilà. Le bon pasteur décide que ça le dépasse de très loin et alerte la cour de Vienne, qui envoient des enquêteurs dans les Carpates sous l’autorité du palatin de Hongrie, György Thurzó.

– Ahaaaaa n’importe quoi, le Palatin, c’est une montagne à Rome.

– C’est le plus haut dignitaire du Hongrie après le roi, l’administrateur de la cour royale et le juge suprême, patate.

– Ne sois pas condescendant.

– Pardon. Bref : dans le château, les enquêteurs de Thurzo trouvent des trucs un peu compromettants, comme par exemple des cadavres. Et dans les geôles, ils récupèrent un paquet de femmes mourantes, sans compter d’autres prisonnières qui sont dans un moins sale état. L’accusation se précise : on arrête quatre serviteurs de la comtesse et deux ans plus tard, en 1610, boum : procès.

– Et ça ne fait pas un peu tache, une comtesse devant le tribunal ?

– Son rang et son pognon font qu’elle n’y assiste pas. On se contente de l’assigner à résidence et on charge les lampistes.

– Et ils sont accusés de quoi ?

– De meurtres. Avec un énorme « S » : ça va de 40 – c’est le chiffre retenu à son procès – à plusieurs centaines. Beaucoup de centaines : un témoin affirme que la Comtesse possède un petit carnet dans lequel il a compté 650 noms.

– Et ce carnet…

– N’a jamais été retrouvé. En revanche, le tribunal découvre que les quatre serviteurs arrêtés ont rempli auprès d’Elisabeth le même rôle que celui des complices de Gilles de Rais, au 15e siècle. En gros, ils recrutent des victimes pour leur maîtresse sous prétexte de leur offrir un travail au château.

– Et laisse-moi deviner, il n’y a pas de poste à pourvoir ?

– Non, mais ceci dit, on ne peut pas dire qu’elles s’ennuient, les jeunes filles. Elisabeth leur tombe dessus dans les grandes largeurs. La douce comtesse se mue en givrée de première, torture les gosses, les brûle, les fouette. Le procès vire au délire gothique et sadique. Les témoins affirment que la comtesse aime bien faire ses victimes de froid et de faim et les mutilent un peu partout, surtout là.

– Où ça ?

– Là : sous les jupes.

– Oh.

– Oui. Elle s’amuse aussi avec une vieille torture médiévale qui consiste à ligoter les jeunes filles avec des cordes qu’on mouille ensuite pour les faire gonfler.

– Moche.

– Oui, c’est sportif.  On les brûle au tisonnier, on leur arrache les ongles. Elle a un autre jeu amusant : jeter dans leur cellule la clef de leurs verrous.

– Ben c’est pas dr…

– Chauffée à blanc, la clef.

– Mais bordel.

– Quoi, c’est innovant et disruptif. Et puis Elisabeth aime beaucoup jouer avec des aiguilles, aussi. Dans son château, mais aussi dans ses autres demeures ou le long de la route. Au procès, on raconte qu’elle assassine certaines femmes dans son carrosse avant de jeter le corps le long de la route, abandonné au froid et aux loups.

– Il n’y avait pas aussi une histoire de bains, comment dire spéciaux ?

– Aaaaah, la légende de la Comtesse sanglante…

– C’est faux ?

– En tout cas, cette histoire n’est pas évoquée dans le procès de 1610 et Dieu sait qu’on y a raconté des trucs abominables sur Elisabeth. En revanche, on s’est mis petit à petit à raconter que si la Comtesse tuait des jeunes filles, c’est pour remplir sa baignoire du sang des jeunes vierges et s’y baigner, dans l’idée de conserver une jeunesse éternelle (alors que ce n’est pas du tout la bonne méthode) . Pour faire bonne mesure, on murmure aussi que ne supportant pas le contact rêche des serviettes, elle fait lécher le sang qui reste sur sa peau par d’autres jeunes filles réduites en esclavage.

– Mais alors c’est faux ?

– Je te sens déçu, mais déçu… Ce n’est pas que ce soit vrai ou faux, c’est que c’est improuvable. D’un côté, on a vu bien pire chez certains criminels, à commencer par Gilles de Rais. De l’autre, on n’a littéralement rien pour appuyer cette thèse en dehors de quelques restes de racontars et de folklore. La première mention de cette histoire apparaît largement plus d’un siècle plus tard dans le texte d’un jésuite, László Turóczi, qui publie un recueil d’histoires situées en Hongrie.

– JE SUIS DÉÇU.

– C’est ton côté malade. Et puis j’avoue que le coup de la méchante noble qui vit dans un château reculé en assassinant de pures jeunes filles, il ne manque pas grand-chose pour que ça vire soit au conte de fées façon Blanche-Neige, soit au porno d’horreur des années 70.

C’est nous ou même la baignoire est suggestive ?

– Alors vraiment, ce n’est pas du tout ce que je…

–  Non ben non. On fera quand même un petit contrôle de ton historique Google dans quelques semaines.

– POUR REVENIR AU SUJET le procès s’est fini comment ?

– Les quatre pinpins ont pris cher. Ils sont tous condamnés au bûcher, mais on leur coupe aussi les doigts avant pour corser un peu.

– C’est un manque de respect total pour les doigts de l’homme.

– …

– …

– BREF. Ils payent pour la comtesse, qui meurt ceci dit peu de temps après, en 1614, sans avoir jamais été officiellement inquiétée. Ce qui permet à son fils d’hériter sans aucun problème.

– Elle avait quel âge ?

– 54 ans. On l’a enterrée dans la petite chapelle près de son château, la face contre terre pour qu’elle ne puisse pas regarder le Ciel, paraît-il. Mais tu ne sais pas le plus beau ?

– Non ?

– Son fils.

– Eh ben quoi, son fils ?

– Devine son prénom.

– Aucune idée.

– Pal.

« On m’appelle ? »

5 réflexions sur « Comtesse gothique »

  1. Il manque des mots un peu partout, c’est pas cool ça !!!
    – un respect assez des règles
    – la comtesse aime bien faire ses victimes de froid et de faim

    Et sinon, le fiston, Pal, genre Palpatine ? 😀

  2. Bonjour, et merci pour cette histoire, les autres qui viennent avant et toutes celles d’Avec un grand H, le livre écrit petit mais dense qui fait bien dans la bibliothèque malgré sa taille, comme évoqué par d’autres sur Twitter.
    Bouh que ne j’aime pas faire ça, mais je reconnais que ça picote assez pour que je ne me retienne pas ; le suspense est affreux : « elle a du caractère et un respect assez… » assez quoi, bon sang ! (haha, bon sang, c’est… pardon)
    Et puis le circonflexe sur tache, il fait tache, hein.
    Et puis « M’as pas l’air » ne m’a pas l’air net.
    Et les quatre pinpins, il ne peuvent prendre cher qu’une fois, pas chers. Et on leur coup les doigts, du coupe ? Ou on les coud, mais ça me paraît moins facile.
    Franchement, j’aime pas faire le désagréable, hein, alors je dis le fond de ma pensée : le style est toujours aussi réjouissant.
    Sans parler du fond.
    Merci pout tout et encore toutes mes excuses.

      1. C’est exactement ça. Et je vous remercie de le souligner sur Twitter, ça m’a permis de vous citer. D’ailleurs, j’aime beaucoup ce que vous faites. Sur Twitter. Enfin, dans la vraie vie, mais tel que vous le racontez sur Twitter. Enfin bon. C’est comme pour Padre Pio, je suis, je suis, je ne dis rien, je profite, et je ne dis même pas merci. C’est mal. Alors merci.

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