Shiva chercher un peu loin

Shiva chercher un peu loin

Hier, c’était Maha Shivaratri, je ne vous apprends évidemment rien. Ou peut-être ? Maha Shivaratri, autrement dit la nuit consacrée à la vénération de Shiva. L’occasion idéale, une fois le jeûne rompu et les rites terminés, de préciser deux-trois petites choses à son propos. Et de rebalancer quelques pelletées de terre sur un film dont nous avons déjà dit un peu de mal par le passé.

Ha, l’histoire peut être cruelle. La distance, aussi. Bon, disons l’espace-temps. L’espace-temps peut être cruel. Avec les années et les kilomètres, telle figure de nature à inspirer le plus grand respect et la dévotion à un moment donné peut ainsi devenir, ailleurs ou plus tard, synonyme de farce.

Imaginons que je vous parle d’une personne particulièrement dégourdie et habile (pour une fois, je ne parle donc pas de moi), du genre qui est capable, dans les limites de ce qui est humainement possible, de s’atteler à plusieurs tâches en même temps. L’ayant entendu suffisamment souvent pour envisager un traitement préventif contre l’ulcère, je vous fiche mon billet que quelqu’un finira par dire que l’individu en question est comparable à Shiva.

Parce que tout le monde sait que Shiva c’est…euh…une nana qui a quatre bras, donc elle doit être douée pour passer l’aspirateur et faire le repassage en même temps. Ce qui est évidemment absurde, parce qu’indépendamment du nombre de bras faut se déplacer pour passer l’aspirateur, mais ce n’est pas le sujet. Le sujet, c’est Shiva.

Shiva est le troisième membre de la trinité puranique. Ce qui vous avance bien. Pour faire simple, l’hindouisme repose sur deux principaux corpus, deux ensembles de textes. Il y a d’abord eu les védas, puis les purânas. Toutes choses égales par ailleurs, on peut comparer à l’ancien et au nouveau testaments chrétiens.

En simplifiant pas mal, les védas distinguent les dieux présents sur terre, dans l’air, et au ciel, ce qui conduit à en mettre trois sur le devant de la scène : Agni, Indra/Vâyu, et Sûrya/Mithra/Varuna. Oui, je cite plusieurs noms pour certains, parce que c’est compliqué. Dans les védas, il n’est pas question de Shiva, juste d’une divinité qui lui sera ensuite assimilée, son précurseur rétrospectif si vous voulez, à savoir Rudra.

Dans les purânas, c’est plus simple. Nous avons une trinité bien établie : Brahma, Vishnu, et Shiva. Ils sont chacun responsables de l’un des aspects fondamentaux de l’univers. Brahma est le créateur, Vishnu le protecteur, et Shiva le destructeur. Par leurs actions combinées, ils permettent la marche du monde. Sauf que ce n’est évidemment pas si simple. L’univers étant considéré comme cyclique, avec des alternances régulières création/préservation/destruction, celui qui détruit permet ainsi le cycle suivant et une nouvelle éclosion (l’univers est un œuf), et fait donc œuvre de création. Par ailleurs, on trouve successivement des hymnes qui expliquent que chacun des trois est en fait beaucoup plus important et puissant que les autres.

Pour autant, Shiva symbolise la destruction. Il est le fameux « Destructeur des Mondes ». Sa peau est bleue, souvent, le Gange prend sa source dans son chignon, et il est surnommé Mahadeva, ce qui signifie le plus haut dieu, voir ce que je viens de dire sur le côté école des fans de la triade puranique (ils sont chacun mieux que les autres). Par conséquent, s’il est en effet souvent représenté avec quatre bras, c’est en général pour manier toutes sortes d’armes légendaires (haches, épées, arcs et flèches) qui sont toutes capables de ravager des armées entières (et dans les légendes épiques hindoues, les armées elles se comptent en millions de combattants), d’aplanir des montagnes, de fendre la terre et le ciel. Sa préférée c’est le trident.

Vous noterez l’absence de plumeau, fer à repasser, éponge, et autres accessoires ménagers.

Il porte aussi souvent un ou plusieurs serpents autour du cou. Ou un collier de crânes, en fonction des circonstances. Je ne vous ferai pas l’affront de vous rappeler à quelles occasions il est bienvenu d’arborer l’un ou l’autre.

Shiva ravage, mutile, explose, immole, défonce, annihile, fracasse, détruit, poutre, saccage, oblitère, fume, démembre, pulvérise, et globalement malmène comme personne. Pour autant, comme la destruction est préalable à la régénération, la danse de Shiva est également un acte de création.

Shiva en train de mettre le feu à la piste. Sans doute littéralement.

L’hindouisme, c’est pas binaire. Et dans le même ordre d’idée, son rôle de Destructeur Universel n’en fait pas pour autant le « méchant » du panthéon hindouiste.

Vous n’aurez en outre pas manqué de remarquer que Shiva est une divinité mâle. Il a une épouse, Pârvâti, qui sous ses différents aspects est tout aussi disposée à la multiplication des membres et à la diplomatie.

Kâli, littéralement la forme noire de Pârvâti, qui n’hésite pas à porter le collier de crânes ET la jupe de mains. Quelle audace !

Shiva est tellement une divinité mâle, et tellement associé à l’idée de création, même s’il est explicitement présenté comme le dieu de la destruction et qu’il y a par ailleurs un dieu créateur (Brahma), que son symbole est le lingam. Le lingam, pour ceux qui n’ont pas lu le Kama Sûtra, c’est le…la…enfin vous voyez, c’est le truc, là…

Une bite.

Mais oui, après tout, pourquoi faire compliqué ? Comme symbole d’énergie vitale, c’est simple. Je vous signale par ailleurs que les rites de Maha Shivaratri incluent notamment l’onction du lingam, ce qui ne manque pas de m’amuser. Si « adresser sa fervente dévotion à Shiva » n’est pas une expression hindouiste pour des pratiques que d’autres grandes religions réprouvent, je vais être très déçu de ce manque d’à-propos.

Et…c’est ce qui nous amène à revoir de fond en comble certains fondements de la culture occidentale.

Entendons-nous bien : en vrai, Indiana Jones est aussi archéologue que moi cordonnier (alerte info : je ne suis pas du tout mais alors pas du tout cordonnier). Il a pillé et détruit plus d’objets anciens que beaucoup d’universitaires n’en ont référencés dans toute leur carrière, ses méthodes sont tout sauf académiques, et Dieu sait dans quel ouvrage il a lu que l’outil de travail de base était le fouet plutôt que la brosse. Cela dit on ne peut pas lui enlever une animosité certaine pour les nazis, ça joue plutôt en sa faveur.

Dans la même veine, dans Le Temple maudit, comme il faut bien une figure diabolique, Kâli devient une déesse assoiffée de sang, alors qu’en fait…euh, non, rien, en fait les sacrifices humains font en principe complètement partie de son culte, et la secte des Thugs a bel et bien commis des assassinats jusqu’au XIXème siècle, comme mon estimé confrère n’a pas manqué de vous le raconter en détail.

Je suis surpris Kâli. Surpris et déçu.

A sa décharge, elle a des besoins moyennement végans :

« La chair de l’antilope et du rhinocéros charment [Kâli] pour cinq cents ans ; mais un sacrifice humain accompagné des formules appropriées lui procure un plaisir de mille ans, et le sacrifice de trois hommes un plaisir de cent mille ans. »

Personnellement j’en conclurais qu’une antilope tous les cinq cents ans devrait suffire, et que les Thugs cherchaient manifestement à l’engraisser, mais je ne suis pas brahmane. Pour autant, Kâli est une déesse révérée du panthéon, pas (uniquement) l’objet d’un culte occulte (disparu) (en principe). Ce n’est cependant pas là que ce que nous savons de Shiva nous conduit à revoir complètement le sens du film.

Ca ne vous a jamais surpris, vous, l’incapacité d’Indy à garder une nana d’une aventure à l’autre ? Certes, un obscur et particulièrement mauvais film apocryphe sorti dans les années 2000 tente de nous expliquer qu’il aurait eu un enfant avec Marion, qui se serait par la suite avéré être profondément demeuré, et on peut imaginer que ça l’ait refroidi. Mais la véritable raison n’est pas là. Indy multiplie les conquêtes, mais ne les garde pas, parce que…c’est pas son truc, les filles.

Au cœur du Temple Maudit, il y a la quête pour retrouver des pierres magiques qui apportent la prospérité au village qui les possède. Et aussi les enfants, mais bon les enfants ça se trouve plus facilement que des pierres magiques, quand même. Les pierres en question sont magiques parce qu’elles sont bénies par Shiva. Elles ont même un nom, les Shivalinga. Autrement dit, Shiva Lingam. Autrement autrement dit…

Absolument, c’est une bite.

Que le phallus magique de Shiva procure des récoltes abondantes, c’est logique. Mais maintenant, allez regarder à nouveau la scène finale. Vous savez, quand deux hommes dépoitraillés, musclés, et en sueur se battent pour mettre la main sur le zizi enchanté…

« Le sac de phallus est pour moi ! »

Ca explique des choses non ?

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